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15 novembre 2003

"ALCA et DETTE, les deux faces d’une domination" : Claudio Katz

par Claudio Katz *

 

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Le gouvernement de Bush a établi deux priorités économiques pour l’Amérique latine : avancer avec l’ALCA et renforcer le paiement de la dette externe. Les deux objectifs sont intimement entremélés et constituent des aspects complémentaires de la domination impérialiste. La sujétion commerciale accentue les ligotages financiers de la région et les transferts de devises vers le Nord facilitent la soumission du commerce extérieur latino-américain aux nécessités étasuniennes.

Le contrôle étasunien de son " arrière cour " est devenu davantage nécessaire depuis le bourbier auquel font face ses troupes en Irak. Ce cauchemar ressemble chaque fois plus au Vietnam au fur et à mesure qu’augmente la résistance populaire partout dans le monde arabe. Devant la perspective d’un conflit long et coûteux, les Etats-Unis essayent d’assurer leur contrôle sur les ressources stratégiques de l’Amérique latine. L’ALCA et la dette sont les instruments de cette domination.

Les urgences de l’ALCA

Il existe trois raisons qui expliquent l’anxiété étasunienne pour avancer sur l’adhésion à des traités de libre commerce qui permettent l’accroissement des exportations.

L’administration républicaine supporte un déficit commercial débordant, qui contrairement à la période Clinton s’est amplifié dans un contexte de baisse de croissance, de chômage ascendant et de désorganisation importante des comptes publics. Ce déséquilibre commercial n’est pas nouveau mais son impact peut être traumatique, si s’essouffle l’afflux international de capitaux qui vient alimenter l’économie étasunienne à un moment de stagnation de l’investissement. L’ALCA a pour objectif de favoriser les ventes externes à travers des politiques qui maintiennent le cours du dollar à un niveau compatible avec le revenu de ces capitaux étrangers. Deuxièmement, cette convention renforcerait le dérèglement des mouvements internationaux de capital dont ont besoin des banques étasuniennes pour obtenir à l’extérieur des opérations financières de haute rentabilité. Comme les taux étasuniens baissent pour entraîner la relance économique locale, les financiers placent à nouveau des capitaux en Amérique latine. Mais ils exigent maintenant de plus grandes assurances juridiques pour leurs investissements.

En troisième lieu, les Etats-Unis ne sont pas en concurrence avec des rivaux dispersés du vieux continent, mais avec le bloc de l’Union Européenne qui conteste l’hégémonie commerciale et monétaire de la première puissance. L’adhésion de l’ALCA a pour objectif de garantir que l’Amérique latine restera dans le secteur du dollar pendant une période de chocs prévisibles entre les deux grands concurrents du marché mondial. L’Europe jette des ponts vers les dominions étasuniens d’Amérique latine, en offrant des traités régionaux de libre commerce (avec le Mercosur) ou bilatéraux avec certains pays ( Brésil).

Les buts impérialistes de l’Europe ne diffèrent pas de l’expansionnisme étasunien. L’espoir d’un traitement plus bénin par les capitalistes du vieux continent est un mythe qui subsiste parmi beaucoup de progressistes. Mais il suffit d’observer le résultat de la "reconquête espagnole" du nouveau continent - qui pendant 1995-2000 a servi de canal pour de multiples investissements européens - pour réfuter cette croyance. Le volume de ces fonds fut destiné à financer les privatisations de services publics qui ont décapitalisé la région et ont réduit son autonomie économique. La priorité de l’Union Européenne - en pleine expansion vers l’Est - est de solidifier les revenus des nouveaux membres de la Communauté et c’est pourquoi, ils cherchent à absorber les ressources des autres pays périphériques du Monde [1]

Mais les Etats-Unis ont aussi besoin de fonds et essayent de fermer l’accès à ses rivaux européens en propulsant l’ALCA. Mais cette association n’est pas réduite à la signature d’une convention commerciale. L’ALCA constitue en même temps un instrument de pression pour adhérer à des traités par deux autres voies : l’OMC et les conventions bilatérales.
L’instance multilatérale

Par le biais de l’Organisation Mondiale de Commerce (OMC) les grandes puissances exercent une domination évidente sur la périphérie. Toutes les décisions qui sont adoptées dans ce cadre affectent les pays sous-développés. On réduit des tarifs dans les secteurs qui profitent aux capitalistes du centre et on maintient les barrières dans des secteurs qui affectent les grandes entreprises.

Cette asymétrie a été vérifiée depuis 1947 jusqu’aux années 90 dans les conventions successives qui ont déréglé le commerce des produits industriels. Sur ce terrain la supériorité compétitive des économies avancées sur celles retardées a été évidente. Mais au cours de la dernière décennie les négociations ont tourné autour de deux autres secteurs d’intérêt prioritaires pour les capitalistes du Premier Monde : les services et la propriété intellectuelle.

Dans ces deux segments les grandes compagnies obtiendraient des bénéfices additionnels si on autorisait de nouvelles privatisations et des droits de participation des capitaux étrangers aux cessions étatiques de l’Amérique latine. Une autre exigence des compagnies est l’encaissement de plus grandes sommes à titre de brevets, spécialement sur le terrain des biens informatiques. Dans le cas des produits liés à la médecine, cette même demande a une connotation dramatique, parce que l’augmentation des remèdes pousserait directement à la morgue millions de pauvres de la région.

L’euphorie libre échangiste des principaux gouvernements occidentaux se dilue brutalement quand on examine le dérèglement des secteurs les plus protégés des économies développées. Ici le point le plus critique est la question agricole, parce que dans le Premier Monde existe depuis des décennies un système de subventions destinées à soutenir les prix et à résister à la surproduction structurelle. L’Union Européenne vient d’étendre l’utilisation de ce système (PAC) jusqu’à l’année 2013 et les Etats-Unis ont ratifié des subventions ("farm bill") qui sur la dernière décennie on été multipliées par six.

"Les avantages du libre commerce" et de "l’absence de discriminations" sont examinés, par conséquent, dans une atmosphère d’hypocrisie effrontée. Les Etats-Unis et l’Europe allèguent qu’ils ne peuvent pas négocier le sujet agricole avec l’Amérique latine sans arriver préalablement à un accord entre eux. Est même en vigueur une clause appelée « clause de paix" qui empêche de porter devant les tribunaux commerciaux internationaux les polémiques sur ce secteur. Suite à cette interdiction insoluble à la table de négociation sont seulement traités les sujets qui concernent les grandes puissances.

Mais comme ce programme inévitablement inonde les discussions à l’OMC, les Etats-Unis se sont lancés à obtenir par le chemin bilatéral ce qu’ils ne peuvent pas imposer à travers la négociation collective.

Le chemin bilatéral

En souscrivant des traités particuliers avec différents pays périphériques, les Etats-Unis cherchent à casser l’"impasse" dans laquelle se trouve le dérèglement général et essayent aussi de diluer toute possibilité de résistance commune par la périphérie. Par ce chemin, ils prétendent, en outre, préserver les barrières protectionnistes dans quelques secteurs industriels par des avantages compétitifs (par exemple, l’acier) et introduire de nouveaux mécanismes pour masquer des tarifs additionnels (comme la loi imminente contre le bioterrorisme).

Le gouvernement de Bush a fortement poussé les traités bilatéraux. Il a déjà signé 170 conventions de différents types dans un rayon qui couvre pratiquement toute la planète. Il choisit quelques partenaires privilégiés dans chaque région (Singapour, l’Israël, la Jordanie, l’Australie) comme piliers de ses intérêts propres dans chaque continent.

En Amérique latine la convention la plus récente a été signée au terme d’une longue négociation secrète avec le Chili et inclut des aspects de libéralisation financière qui débordent largement le cadre commercial. Encore aujourd’hui on ne connaît pas les différents aspects des "petites lignes" de cet accord, mais la disparité gigantesque du PBI entre les deux nations (134 fois de différence) illustre finalement quel type de concurrence offre cette association.

Aucun secteur industriel transandin ne se trouve en condition de supporter une avalanche exportatrice américaine, mais les groupes agro-miniers locaux ont promu la convention parce qu’ils ont construit des niches pour commercialiser leurs produits sur le marché étasunien. Les compagnies fruitières, de pêche, de bois veulent améliorer leur propre rentabilité en sacrifiant le reste du pays et ne tiennent pas compte de la pression fiscale croissante et de la faillite des petites et des moyennes des entreprises que suppose l’accord. En perspective, la convention pourrait aussi conduire à la privatisation croissante en faveur de compagnies étrangères du cuivre [2].

Mais le Chili est déjà une économie ouverte à l’extérieur, son commerce est complémentaire de l’étasunien et il détient une structure industrielle très limitée. C’est pourquoi le traité n’aura pas un impact comparable à celui qu’ il produira dans des économies périphériques de grande taille. L’ exemple précédent de ce qui s’est produit au Mexique au bout d’une décennie d’utilisation en illustre bien les effets.

Depuis la signature de ce traité, la croissance moyenne industrielle du Mexique a été très, très basse, dans un cadre de dénationalisation vertigineuse des chaînes commerciales et des banques (90% dans des mains étrangères) et le recul spectaculaire de la participation de composants nationaux dans les produits fabriqués dans les « maquilladoras » ou maquilas, (de 91% en 1983 à à 37% en 1996). L’impact de cette réorganisation est vérifié dans les 28.000 petites entreprises qui ont fait faillite, l’inégalité régionale croissante (les investissements se concentrent dans le nord près de la frontière en dépit du sud du pays) et la crise agricole provoquée par l’importation massive d’aliments étasunien.

Mais l’accord a aussi précipité une explosion d’émigration, puisque seulement un mexicain sur trois a un travail formel. Face à cette alluvion de pauvreté, les Etats-Unis ferment la frontière, ratifient que la liberté de circulation des marchandises et les capitaux n’est pas étendue aux individus. Voilà le double modèle qui règle les processus d’intégration sous le capitalisme.

Multiples voies pour un même objectif

L’ALCA est un projet complémentaire des négociations multilatérales et bilatérales. C’est pourquoi la signature de l’accord avant l’année 2005 est seulement un aspect de l’avance de la domination commerciale étasunienne. Ceux qui anticipent en déclarant que ces négociations "elles stagnent" , n’observent pas les multiples voies qu’entame ce processus.

Les Etats-Unis ne se préoccupent pas de normaliser un traité qui couvre depuis Alaska jusqu’à Terre du Feu, mais de la réalisation d’objectifs précis, qui dans l’immédiat sont centrés sur la libéralisation des services et les garanties aux investisseurs [3]. C’est pourquoi ils ont adapté chaque négociation à leurs convenances. Ils signent des accords en direct (le Chili, le Guatemala, le Costa Rica) et séduisent avec la même carotte d’autres nations (Uruguay, le Pérou, la Colombie) pour isoler leur principal adversaire commercial (Brésil), affaiblir un concurrent agricole sérieux (Argentine) et miner un régime politique crucifié (Venezuela).

S’ils ne réussissent pas à tous les soumettre, ils essayeront probablement la rupture géographique- commerciale entre un groupe plus associé du Pacifique (le Mexique, le Chili, Amérique Centrale, le Pérou, la Colombie) et autre secteur de l’Atlantique (le Brésil, l’Argentine, le Venezuela) plus soumis à l’usure de négociations toujours inachevées.

Ces mécanismes de pression ont été soulignés après la dernière réunion de Cancún. Là, est apparu un groupe de 22 nations périphériques (conduites par le Brésil, l’Inde et Malaisie) qui ont refusé d’ examiner le programme fixé par les Etats-Unis et l’Europe. La tentative postérieure de former un alignement commercial autonome de l’Amérique latine a échoué parce que les Etats-Unis ont forcé la désertion de plusieurs participants.

L’Amérique latine fait face à la perspective d’une détérioration sérieuse en termes d’échanges. Mais l’intention impérialiste tend aussi au contrôle direct du pétrole du Mexique, du Venezuela et l’Équateur, des forêts de l’Amazonie et des réserves d’eau de la triple Frontière. L’impérialisme avance par différents chemins vers ces objectifs.

Domination Financière

Tous les projets de renforcement de la suprématie commerciale américaine reposent sur le croissant assujetissement financier de l’Amérique latine. L’ALCA s’affirme dans le paiement de la dette externe, parce que l’accomplissement de conventions d’ouverture et dérèglement exige la supervision directe du FMI de la politique économique dans la région.
C’est pourquoi , cela manque de sens d’ examiner l’ALCA sans parler de la dette. Ce sont deux processus dépendants l’ un de l’autre. Chaque paiement d’intérêts renforce la perte de souveraineté de pays qui sont forcés d’adhérer à des traités commerciaux défavorables et ce résultat à son tour aboutit à de plus grandes concessions financières. Un cercle vicieux semblable ne peut pas être interrompu sans rejeter la domination impérialiste dans les deux domaines.

La saignée financière que provoque actuellement le paiement de la dette, asphyxie l’économie régionale, et produit des forts transferts de ressources et de successifs programmes d’ajustement de contraction. Ces politiques restrictives ont causé une nouvelle période de stagnation productive, après le cycle de relance modérée (1990-95) qui a suivi "la décennie perdue" des années 80. Le PBI par habitant a seulement augmenté de 0.4% en 2001, est tombé à 0.6% en 2002 et il est prévu un accroissement dérisoire de 1.5% en 2003, qui situera cet indicateur 2% sous le niveau atteint en 1997. L’année passée quelques pays ont vécu des situations de dépression inconnue jusqu’alors (comme l’effondrement de 11% du PBI en Argentine), dans un tableau de récession générale de l’investissement étranger (de 67.000 millions de dollars en moyenne pendant la période 1997-2001 à à 39.000 millions dans le 2002). Etl’attraction capitaliste des « maquiladoras » mexicaines ou d’Amérique centrale tend à diminuer face à la rivalité du sud-est Asiatique, dans la concurrence internationale sauvage pour baisser le coût de la main d’oeuvre.

La stagnation productive d’Amérique latine s’explique parce que le déficit commercial du début des années 90 - résultant de l’élan d’importations qui a produit la relance- s’est transformé actuellement en un excédent significatif.

L’hémorragie que provoque le paiement de la dette se vérifie aussi dans l’expansion de la misère. Le chômage a atteint un pic scandaleux pendant l’année passée et le nombre total de pauvres a grimpé de 203 à 214 millions de personnes entre 1997 et 2001. En Argentine, le Venezuela ou la Colombie ont la moyenne régionale de pauvres (50-55%) et au Honduras, au Paraguay, à l’Équateur ou la Bolivie le même drame affecte le 60 ou 80% de la population. On affirme à plusieurs reprises que l’Amérique latine est la région avec le plus grand niveau d’inégalité de toute la planète (10% des habitants monopolisent 48% des revenus), mais peu décrivent comment le paiement de la dette recrée cette polarisation. Les ajustements du FMI sont tellement asphyxiants, que même en récupérant les taux de croissance du début des années 90, c’est seulement vers l’année 2015 que le pourcentage de pauvreté retrouverait à nouveau les niveaux de la décennie passée.

L’ hémorragie de la dette aboutit, en outre, à la périodique cessation de paiements des pays les plus touchés et c’est pourquoi l’année passée, la crainte d’ une contagion régionale du défaut argentin a créé un climat de catastrophe financière. La possibilité d’une chute du Brésil a notamment précipité la fuite des capitaux et a renforcé les dérèglements des changes dans toute la région. Le Pérou, le Paraguay et l’Uruguay ont été plusieurs fois au bord du défaut et ce danger a même gagné des économies qui paraissent aujourd’hui éloignées de la cessation de paiements. Par exemple, au Mexique le pourcentage de la dette en comparaison au PBI est actuellement semblable à celui qui a dominé pendant la période qui a précédé à la grande crise des années 80 [4]

Dans la mesure où le défaut argentin n’a pas dramatiquement contaminé le reste de l’Amérique latine, un climat d’un certain soulagement a régné avec l’impact d’un nouvel afflux de capitaux à court terme vers la région. Mais ce type de pauses sont du pain pour aujourd’hui et de la faim pour demain, parce qu’elles répètent le modèle de cycles régionaux d’endettement latino-américain attachés aux fluctuations de la liquidité des économies développées. Dans les étapes de retour de ces capitaux, on diffuse généralement des théories sur la résurgence latinoaméricaine, qui se dissolvent à la même vitesse à laquelle réapparaît la crise. Au lieu de réitérer ces fantaisies, il convient de reconnaître jusqu’à quel point le paiement de la dette obstrue structurellement le progrès en Amérique latine.

Les conséquences pour l’Argentine

Comme l’Argentine est le principal pays endetté en défaut dans le monde, il occupe une place clef dans la renégociation de la dette et dans les négociations de l’ALCA. Chaque décision financière du pays a un impact immédiat sur toute la zone et c’est pourquoi la signature récente de l’accord avec le FMI s’avère tellement négative, tant par l’acceptation du critère de l’excédent budgétaire, que par la décision de négocier dans les cadres établis par le Fonds. Qu’une nation dévastée par la pauvreté et le chômage accepte de produire un excédent budgétaire de 3% de son PBI pour payer les créanciers constitue un précédent néfaste pour toutes nations qui souffrent de l’ hémorragie de la dette.

Au lieu de recourir au déficit budgétaire - qui est traditionnellement appliqué pour relancer les économies frappées par la dépression - on a confirmé une politique d’ajustement permanent. L’objectif de cette décision a été d’assurer aux organismes multilatéraux un paiement privilégié, c’est-à-dire aux principaux responsables de la crise. Mais en outre, on a contracté ce compromis en échange de rien. Les dérogations n’auront pas de contrepartie, parce que l’Argentine ne recevra pas un seul dollar d’argent frais. Dans les conditions d’isolement financier international dont souffre le pays, il n’y avait aucune nécessité de signer un accord, dont en revanche le FMI lui avait besoin. Cette institution affrontait la perspective de fortes pertes patrimoniales et d’une aide éventuelle du Trésor américain. En signant un accord tellement défavorable l’Argentine est plus exposée aux pressions commerciales des Etats Unis.

Après la rencontre avec Bush, le président Kirchner a réaffirmé le principe de négociation de l’ALCA dans le cadre rendu propice par les Etats-Unis. L’ex fonctionnaire menemiste qui dirige ces négociations (M.Redrado) a proposé d’examiner la convention en garantissant les subventions américaines aux terres cultivables, si les Etats-Unis compensent cette concession par des réductions tarifaires en faveur de quelques exportations argentines (citrons, miel, acier). Jusqu’à présent la contre-offre américaine inclut seulement cette diminution sur des produits marginaux (artisanats). Mais le plus important est que l’Argentine accepte de négocier sur ce qui intéresse les Etats-Unis et aussi transférer à l’OMC les sujets que les Etats-Unis ne veulent pas aborder. Ces négociations peuvent être très nuisibles pour l’Argentine pour quatre raisons.

D’abord, avec le maintien des subventions agricoles aux Etats-Unis ce qui confirme un critère d’inégalité énorme dans les relations commerciales entre deux pays concurrents, qui offrent les mêmes exportations aux mêmes marchés. En décidant un système de liberté compétitive totale, en garantissant la subvention explicite qu’effectue son concurrent, l’Argentine accepte de jouer dans l’équipe des perdants. L’effet final de ce dérèglement peut être dramatique, parce qu’au bout d’un néfaste processus de reprimarisation le pays se retrouve plus dépendant de son exportation d’aliments.

En second terme, l’impact sur l’industrie de n’importe quelle négociation de libre commerce serait destructeur, puisqu’il supposerait le recommencement d’un cycle d’ouverture et de destruction conséquente du tissu productif. L’expérience de la convertibilité ne laisse aucune marge de doute sur les résultats des diminutions douanières dans un pays périphérique.
En troisième lieu, comme le pays a déjà « mis au enchères » ses principales entreprises publiques, l’exigence étasunienne de libéraliser les services n’a pas tant comme objectif les privatisations, peut-être l’ALCA profiterait-il aux entreprises étasuniennes intéressées de repousser leurs concurrents européens dans la gestion de certains secteurs. Mais ce qui est évident est l’intention des entreprises étasuniennes d’étendre leur participation aux affaires de services publics, activités sanitaires et éducatives que gère encore directement l’état. Se joue aussi ici le problème de la propriété intellectuelle et il est très significatif que le gouvernement de Kirchner appuie l’approbation législative du régime qui favorise les laboratoires étrangers.

Finalement, l’ALCA (ou une convention équivalente) renforcerait le transfert de souveraineté aux tribunaux internationaux pour résoudre des litiges commerciaux. Comme le pays accumule une angoissante charge de demandes financières par le défaut de la dette, un flot de jugements et d’embargos renforcerait la dégradation du pays dans une situation néo-coloniale.

Les problèmes du Mercosur

Face à l’avance de la pression étasunienne pour installer l’ALCA, Lula et Kirchner ont ratifié le maintien du MERCOSUR, avec de nombreuses déclarations et gestes destinés à souligner la continuité de l’accord. Mais la crise de cette convention n’est pas résolue avec des réunions, proclamations et voyages présidentiels. En comparaison au processus d’intégration européenne ou aux initiatives multilatérales et bilatérales que promeuvent les Etats-Unis, le MERCOSUR survit à peine.

Plus d’une décennie s’est écoulée depuis sa formation, le Brésil et l’Argentine n’ont pas réussi à avancer dans la formaation d’un secteur monétaire commun et n’ont pas pu non plus dépasser leurs divergences tarifaires. Il est certain que l’échange commercial s’est sensiblement multiplié, mais ce saut n’est pas synonyme d’intégration. L’union douanière de fait ne fonctionne pas, parce que le tarif externe commun est perforé par l’ouverture radicale qu’a mise en oeuvre l’Argentine pendant la convertibilité, sans aucun type d’accompagnement par le Brésil. C’est pourquoi persistent des différences entre les régimes tarifaires qui régissent dans les deux pays. Les systèmes d’admission temporaire de l’Argentine sont l’antithèse de la protection sélective qu’impose le Brésil.

Mais aussi les échanges courants sont périodiquement touchés par l’utilisation de politiques de subventions divergentes, qui jusqu’à présent n’ont pas pu être harmonisées parce que ne fonctionne pas non plus le système d’arbitrages prévus en cas de conflits commerciaux. La corrélation politique de cette inconsistance économique est l’absence d’institutions communes pour toute la zone. Lula et Kirchner ont décidé récemment de casser cette "impasse" avec le projet de former une Législature régionale pour l’année 2008. Mais dans la zone, on ne manque pas de sceaux de ce type. Un Parlement latino-américain existe depuis beaucoup de temps, sans qu’aucun citoyen n’ait la plus petite idée des activités qu’il effectue. Sans monnaie commune, ni politiques macro-économiques conjointes, le MERCOSUR continuera à sommeiller.

Ce diagnostic est partagé par beaucoup d’analystes qui regrettent le "manque de politiques communes" ou l’"absence de mécanismes harmonisateurs". Mais à quoi obéissent ces manques ? La réponse est très simple : la dépendance unilatérale de chaque pays envers ses créanciers et le type des conventions qu’ils signent avec le FMI.

Dans chaque renégociation de la dette, l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay souscrivent des compromis d’ajustement qui empêchent toute coordination régionale effective. Dans ces accords on définit des pourcentages d’excédent différenciés, des calendriers fiscaux différents et des politiques de subvention industrielle particulières. Cette absence de politiques communes est aggravée dans les périodes de crises bancaires et de change , qui explosent dans chaque pays et que les différents gouvernements essayent de dépasser avec des ajustements récessifs désynchronisés. Dans ces conditions l’intégration devient fictive.

Cette érosion des accords est démontrée dans les oscillations récurrentes de la balance commerciale entre le Brésil et l’Argentine qui succèdent aux crises de dévaluation qui affectent chaque nation. L’effondrement de la convertibilité a semblé amorcer un cycle d’excédent argentin, mais comme la récession brésilienne coïncide avec la récupération économique locale est réapparu dans le pays le discours qui se plaint de "l’invasion des importations paulistes". En plus les tensions ont été réactivées dans les secteurs les plus conflictuels (chaussures, textiles, ligne blanche). Ces chocs illustrent la friabilité de l’intégration commerciale dans le cadre de contextes productifs et macro-économiques dissemblables [5].

Malgré sa dimension continentale, le Brésil ne peut pas imiter les Etats-Unis comme zone locomotive, ni l’Allemagne dans son appui à une monnaie commune. Les deux grands partenaires de l’Amérique du Sud sont des pays soumis à la domination impérialiste et ils ne se profilent pas comme un bloc compétitif sur le marché mondial. C’est pourquoi l’augmentation de l’échange commercial entre l’Argentine et le Brésil, n’a amélioré le profil d’aucun des deux pays face à leurs concurrents hors de la zone régionale.

Ces faiblesses se manifestent de façon plus aiguë quand la conjoncture économique est divergente. Par exemple, actuellement l’Argentine commence à émerger de la pire dépression de son histoire, tandis qu’au Brésil le dénouement des déséquilibres accumulés pendant la dernière décennie ne s’est pas produit.

Alliances très changeantes

Beaucoup d’intellectuels progressistes sont passés du rejet frontal des projets des Etats-Unis à l’acceptation d’un "ALCA possible", "amélioré" ou "plus équitable" [6]. Ils défendent la thèse de "négocier depuis le MERCOSUR", en supposant qu’un front commun de cette région freinera la charge commerciale des Etats Unis. Comme premier pas dans cette direction, l’Argentine et le Brésil ont proposé une offre commune de libéralisation de certains services, qui ne coïncide pas avec les secteurs réclamés par le gouvernement de Bush (banques, moyens de communication, activités médicinales, télécommunications).

Mais la grande question tourne autour de la cohérence de ce front pour contenir l’ALCA. D’une part, le Paraguay et l’Uruguay sont déjà touchésparles Etats-Unis pour faire face à des négociations bilatérales et d’autre part, la continuité de la société argentine- brésilienne est douteuse. Le pari stratégique étasunien est d’affaiblir la bourgeoisie brésilienne, qui gère le seul secteur industriel moyennement autonome en Amérique du Sud.

Face à cette offensive : le compromis argentin avec son voisin se maintiendra-t-il ?
Les classes dominantes des deux pays maintiennent des points de conflit très différents avec les Etats-Unis et en outre ont développé des relations différentes avec leurs pairs du Nord. C’est pourquoi toutes les négociations de l’ALCA se développent en secret et avec la présence des multiples lobbys patronaux, qui cherchent des gains pour leurs propres intérêts. Dans le document préliminaire de la convention figurent 9000 « crochets » (points de conflit) qu’on examine dans l’atmosphère typique truquée qui entoure toute négociation capitaliste.

Tant au Brésil qu’ en Argentine existe une tension grave entre les groupes exportateurs qui veulent obtenir une miette du marché des Etats Unis et les secteurs industriels menacés par l’ouverture commerciale. C’est pourquoi les chanceliers des deux pays font des acrobaties pour expliquer quel type d’ALCA s’avérerait acceptable pour tous les groupes dans la discorde.

Comme cela s’est toujours produit, les classes dominantes chercheront la sortie qui convient le plus à leurs poches en souscrivant un ALCA total, partiel, conjoint ou séparé. Mais dans aucun cas , elles ne placeront les nécessités populaires dans l’agenda de ces « négo ».

Alternatives populaires

Ceux qui présentent le MERCOSUR comme l’alternative à l’ALCA, omettent d’expliquer que la période passée depuis la formation de cette alliance a été tellement néfaste pour les travailleurs et les désoeuvrés de la région. Depuis les années 90, l’ajustement a été brutal sur tous les terrains : baisse des salaires, licenciements massifs, paupérisation. La tragédie sociale sans précédent qui a accompagné la formation du MERCOSUR indique que cet accord ne représente pas un remède pour les problèmes de la région. Entre temps, les affaires de plusieurs groupes de chefs d’entreprise ont prospéré avec des subventions et des bénéfices tarifaires, alors que la majorité populaire a supporté les coups de la flexibilité du travail et de réduction des salaires.

Face à ce résultat, de nombreux analystes proposent de reformuler l’alliance en créant "Un autre MERCOSUR" de type "populaire" ou "social". Mais tout comme l’ALCA le problème n’est pas situé dans le nom, mais dans le contenu du projet. Le MERCOSUR continuera à servir les intérêts de la minorité capitaliste s’il tourne autour de l’amélioration de la rentabilité des entreprises insérées dans plusieurs pays. Il continuera à profiter à un groupe choisi d’ entreprises s’il se limite à promouvoir des "économies d’échelle" basées sur "la baisse de prix du coût salarial" et continuera en perfectionnant la division du travail dans des zones qui apportent des matières premières et des localités qui industrialisent ces ressources.

La seule option positive est de changer les priorités et de placer l’intégration au service des aspirations populaires. Il faut coordonner la solidarité et non la compétitivité, assurer la stabilité de l’emploi et non la libre mobilité des capitaux, éliminer la pauvreté et la malnutrition et non les restrictions aux affaires chefs d’entreprise. Ce type d’intégration ne doit pas se développer autour du commerce, mais doit être développé en fonction des revendications sociales. La priorité est d’unir les peuples et ne pas les attacher aux intérêts de chaque classe dominante.

Par ce chemin, on peut concevoir non seulement une alliance des travailleurs, des paysans et des chômeurs de la région, mais aussi une coordination avec les opprimés des pays développés. Un agriculteur des Etats Unis appauvri par la faute de « l’agrobussines » a davantage d’intérêts en commun avec un paysan sud-américain qu’avec les multinationales qui obtiennent des bénéfices avec les souffrances de tous les deux.
Mais il faut d’abord avancer vers une intégration des peuples latinoaméricains en ratifiant la priorité d’une bataille conjointe contre la domination commerciale et financière de l’impérialisme. Séparer la résistance à l’ALCA, de la lutte pour cesser le paiement de la dette externe conduit à l’échec des deux objectifs. Tout frein de l’ALCA accompagné du maintien du paiement de la dette implique la continuité de l’ajustement. C’est pourquoi l’action contre l’ALCA doit rejoindre le rejet de la dette et la militarisation de la région. La campagne qui est actuellement développée en Argentine ("Consultation populaire de l’Autoconvocatoria Non à l’ALCA") réunit justement ces trois sujets dans une même action.
Ce programme rassemble le message des grandes mobilisations populaires qui sont actuellement enregistrées en Amérique latine. Les marches populaires au Pérou, les grèves en Uruguay et au Chili, les manifestations au Venezuela, les occupations de terre au Brésil, les actions de travailleurs et piqueteros de l’Argentine sont invariablement contre le FMI et l’ALCA.

Mais l’ exploit récent d’une plus grande portée fut mené par les révoltés de la Bolivie. Ce soulèvement incarne les revendications historiques de la population (sortie vers la mer, la défense des cocaleros, la terre et les aliments pour les paysans, dignité pour les cultures locales) et s’avère frontalement opposées au paiement de la dette et à l’ALCA. Les demandes sociales font face au FMI et l’exigence d’industrialiser le gaz dans le pays défie l’ALCA. Privatiser l’extraction de cette ressource et exporter le brut vers les Etats-Unis est justement la priorité d’un accord de libre commerce avec la Bolivie.

Ceux qui ont souffert pendant des siècles du pillage de l’argent, du salpêtre et de l’étain ont héroïquement résisté à une nouvelle déprédation.
La bataille contre la dette et l’ALCA ressuscite l’aspiration populaire d’atteindre l’unité régionale et de casser les chaînes de 500 années d’oppression. Cette aspiration est présente entre les travailleurs, paysans et chômeurs qui combattent pour changer la terrible succession d’épreuves qui a marqué l’histoire de l’Amérique latine.

* Claudio Katz, économiste, Professeur de l’UBA, chercheur du Conicet, membre de l’EDI (Économistes de Gauche)
 Courrier : claudiok@arnet.com.ar
 URL : www.netforsys.com/claudiokatz

Traduction de l’espagnol pour El Correo : Estelle et Carlos Debiasi

Notes :

Notes

[1Buster Gustavo. "l’Union Européenne et l’Amérique latine". Séminaire Amerique Latine. Sortir de l’impasse de la dette et de l’ajustement ". Bruxelles 23-25 mai 2003.

[2Azocar Oscar. "Le Chili : le TLC avec les Etats-Unis, gagnants et perdants ". Rébellion, 7-6-03

[3Arceo Enrique. "L’ALCA est un règlement déguisé de liberté". Pagina 12, 13-10-03.

[4Guillen R Arturo "Mexique : dette et développement économique ". Ponenecia au séminaire Amérique Latine. Sortir de l’impasse de la dette et l’ajustement ". Bruxelles 23-25 mai 2003.

[5Nogueira Uziel, "les cycles divergents". Clarin, 27-7-03

[6Par exemple : Amorin Celso. "Commerce et Développement : Quel ALCA est possible ?. Clarin, 1-8- 03

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