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6 octobre 2006

L’historien Abraham Zylberman s’exprime.

60 ans après le Tribunal de Nuremberg, on n’a pas beaucoup appris.

"Le éthique a largement dépassé le juridique".

 

Plus d’un demi - siècle après la création du tribunal international, l’historien indique que "on a pas beaucoup appris " de tout cela et que de nos jours on continue à commettre des crimes lèse-humanité. Mais il souligne la valeur de la sentence, malgré les manipulations politiques.

Par María Laura Carpineta
Página 12 . Buenos Aires, Jeudi, 5 octobre 2006.

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Cela a marqué l’Histoire et plus jamais cela ne s’est répété. Cette semaine le premier tribunal international, composé par les quatre vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale, condamnant un des plus grands massacres qu’a connus l’humanité, fête ses 60 ans. Sous le régime allemand nazi, et ses gouvernements alliés, sont morts six millions de juifs, six millions de slaves, quatre millions de prisonniers de guerre soviétiques, trois millions et demi polonais non juifs et presque trois millions de dissidents politiques, gitans, handicapés et homosexuels.

Le Tribunal de Nuremberg a révélé les secrets de ce génocide et a condamné ses principaux responsables politiques. La majorité a été condamnée à mort et le reste à des peines de 25 à 10 années. L’historien de la Fondation pour la Mémoire de l’Holocauste, Abraham Zylberman, a analysé les succès et les échecs de ce processus et les intérêts qui ont agi dans l’ombre.

Quelle a été l’importance du Tribunal de Nuremberg ?

L’importance des jugements nous devons la chercher au moment où ils ont été rendus parce que, avec le temps, ils ont été dépassés et on n’a pas beaucoup appris d’eux. Nous nous en souvenons maintenant parce que c’est l’anniversaire.

Dépassés comment ?

La hiérarchie nazie a été jugée pour crime guerre, crime contre l’humanité et action de cruauté. Durant les 60 dernières années, beaucoup d’états ont dépassé, et de loin, ces accusations et devraient être, peut-être, sur le banc des accusés. En ce sens, il me paraît qu’on n’a pas beaucoup appris. Mais en son temps ce fut une revendication importante, mais plus que de la Justice, que de l’éthique. Du point de vue juridique, personne ne peut être condamné pour des infractions commises antécédentes à une loi. Les condamnés de Nuremberg ont été jugés par ceux qui avaient gagné la guerre et ils ont été accusés d’infractions qui ont commencé à être considérées comme infractions à partir de cette expérience. C’est pourquoi, le juridique n’est pas très important dans ce cas. Ici l’éthique transcende le juridique. D’une certaine manière, ce fut une leçon d’éthique qui a consigné un précédent. Que cela n’ait pas été pris en considération c’est une autre question. De plus, tous les criminels n’ont pas été jugés, mais seulement les têtes. Il paraîtrait qu’on validait déjà à cette époque le concept de l’obéissance due.

Pourquoi a t-on fait cette distinction entre juger seulement les chefs et de laisser le reste aux pays où les crimes avaient été commis ?

D’abord, parce qu’on entrait dans la Guerre Froide. Il y avait beaucoup d’intérêts en jeu et, en outre, on aurait du juger la moitié de l’Allemagne. Politiquement ceci ne pouvait pas être fait. Il fallait donner un exemple, en jugeant les gros poissons et tout en commençant la reconstruction de l’Allemagne.

Vous faites référence à de nombreux intérêts en jeu, quels étaient-ils ?

On peut se demander quel rôle a tenu chacun des pays qui ont fait partie du tribunal. L’Union Soviétique fut celle qui prétendait obtenir des verdicts plus extrêmes, comme la mort. Une hypothèse est que ce fut une façon de faire justice pour avoir signé un accord avec l’Allemagne et avoir été trahie dans l’invasion de 1941. En outre, beaucoup de soviétiques ont souffert dans cette invasion.

Et pourquoi la France n’a pas agi de la même manière ?

Pour a France, il faut la prendre avec des pincètes. Durant les années soixante-dix, quand on a amené à Paris le responsable du meurtre du héros de la résistance de Lyon, Jean Moulin, nombreux sont les gens qui ont refusé qu’il soit jugé parce qu’ils avaient peur que du jugement sorte à la lumière toute l’histoire putréfiée de la collaboration française. En outre, après l’occupation, la France n’avait pas la capacité de décider. Mais le cas des Etats-Unis était différent. Dans ce pays il y avait un mouvement assez important qui avait sympathisé avec le nazisme, et s’opposait même à ce que les Etats-Unis entrent en guerre avec l’Allemagne. Quand Roosevelt fut candidat à la Présidence, l’autre candidat Républicain était le pilote Charles Lindbergh, un sympathisant déclaré du nazisme. Il y a même des photographies de Lindbergh avec Hitler. Ceci a servi pour qu’après la guerre des techniciens et des scientifiques trouvent là un refuge de premier ordre, en collaborant au développement de la technologie atomique et spatiale.

Certains disent que les pressions sont parvenues à arrêter certaines des sentences, en a-t-il été ainsi ?

Par exemple, Hjalmar Schacht, qui était ministre d’Économie et président de la Banque Centrale de l’Allemagne, a eu une peine très légère parce qu’il a ensuite collaboré à la reconstruction de l’économie des Etats-Unis. Schacht est mort tranquillement dans les années soixante-dix. Mais avant, pendant les années du dégel, il collaborait comme conseiller économique des pays occidentaux. Il a été fonctionnaire du gouvernement d’Hitler, mais de là à dire qu’il a été nazi c’est quelque chose d’incertain. En revanche, ceux qui ont été condamnés à mort étaient réellement des criminels. Par exemple, Julius Streicher, le directeur du journal de publicité Der Stuermer (L’Assaut). Comme diffuseur d’une idéologie, il était responsable. Il était tellement convaincu qu’avant de mourir il a crié : "Heil Hitler".

Et un ministre d’Économie n’est pas responsable ?

C’est qu’il n’était pas celui qui était à la conception de l’économie. Le réarmement a été conçu par Goering. Les peines ont été... on ne peut pas trouver une logique à pourquoi à certains ont été condamné à 25 années, d’autres à dix et la majorité à mort.

Fussent des décisions politiques ?

Je crois que oui. Ce fut un jugement politique. En 1942, quand on prendra connaissance exactement des crimes qui étaient commis, la réponse fut qu’à la fin de la guerre ils jugeraient tous les coupables.

Les puissances occidentales savaient en 1942 ce qui se passait en Allemagne et dans le reste des pays qui étaient sous leur influence ?

Absolument. Par exemple, il y a eu des témoignages de membres de la résistance polonaise des non juifs qui avaient visité le "Ghetto" de Varsovie avant de partir aux Etats-Unis pour pouvoir rapporter les horreurs qu’ on vivait là bas . En outre, ces hommes portaient de l’information au gouvernement polonais en exil et au gouvernement anglais. Ils le savaient aussi parce qu’en 1944 la Force Aérienne des Etats-Unis a photographié le Camps d’Auschwitz. A ce moment, on a demandé ensuite à l’Angleterre et aux Etats-Unis de bombarder les voies ferrées pour compliquer le transport. Ne pas empêcher l’extermination parce que cela aurait été très compliqué, mais bien de gêner le transport des prisonniers vers les camps de concentration.
La réponse fut que les avions n’avaient pas la capacité d’aller et revenir (dans la nuit) et qu’ils devaient voler de jour, avec le risque conséquent d’être abattus. Mais plus que tout, la priorité était de terminer la guerre, parce une fois terminée on pourrait juger les responsables.
Une des plus grandes craintes de l’Angleterre était que s’il des juifs étaient sauvés - pendant la guerre des négociations eu lieu pour échanger des camions contre des juifs d’Hongrie, mais Londres s’est opposé - ceux-ci ils iraient en Palestine. Là-bas, les Anglais voulaient s’assurer un bon rapport avec les arabes, qui à ce moment étaient la population majoritaire. Même, une fois les armées alliées entrées -je ne parle pas de l’Union Soviétique- dans les camps de concentration en Allemagne et en voyant ce spectacle, l’Angleterre a continué à s’opposer à l’entrée de juifs en Palestine. Il y a eu une politique anti-juive pendant ces années là. Une fois la guerre finie, des camps de refugiés pour les survivants ont été ouverts. Il y eu des camps qui ont fonctionné en Allemagne jusqu’en 1957. Plus de dix années après la fin de la guerre !

Cette politique antijuive dont parlez-vous, quand est-elle née ?Bien avant le commencement de la guerre. A l’époque, il y avait des possibilités d’émigrer de l’Allemagne et le monde n’a pas voulu ouvrir les portes aux immigrants juifs. Par exemple, l’Australie, qui à ce moment disait : nous ne voulons pas qu’il y ait d’antisémitisme et, si nous apportons des juifs, allons créer l’antisémitisme dans notre pays. Ou comme on disait en Argentine et dans d’autres pays : nous avons besoin d’immigrants qui soient des agriculteurs et les juifs ne le sont pas. C’est pourquoi, nous ne pouvons pas les laisser entrer.

Pourquoi les preuves du génocide qui ont été connues à Nuremberg n’ont-elles pas causé une commotion instantanée dans le monde ?

Je vous le demande : cela a-t-il attiré l’attention mondiale sur le génocide arménien ? Non.
Alors, pourquoi devrait-il le faire le génocide juif ? Mais plus tard cela est devenu un sujet de grande importance pour tout le monde...
L’Holocauste a commencé à attirer l’attention quand on a fait le jugement d’Eichmann en 1960. Pas avant. Ce jugement a révélé au monde tout ce qui était arrivé avec des détails.

Et le Tribunal de Nuremberg n’a pas aidé à mettre le sujet sur la table ?

Je crois que non. Le grand Tribunal de Nuremberg a pris fin le 1er octobre 1946 et l’idée était qu’on commence immédiatement une nouvelle vie ; il fallait oublier. De même, Nuremberg est digne d’être étudié comme pièce juridique. Ses témoignages, en outre, sont très précieux pour comprendre ce qu’il s’est passé. Il y a le témoignage d’un collaborateur d’Eichmann qui a déclaré qu’il a seulement entendu une fois Eichmann dire qu’il fallait tuer les juifs. Ceci est important puisque, selon la documentation qui existe, les juifs il ne les a jamais tués. Reste seulement les photos qu’ont prises les nazis eux mêmes. En partie, parce qu’ils croyaient qu’ils ne perdraient jamais la guerre et seraient jugés. Et en partie parce que, comme disait Hitler, personne ne voulait des juifs. Hitler disait : tous se plaignent de que nous maltraitons les juifs mais pourquoi ils n’acceptent pas de juifs dans leurs pays. Ceci, il le dit en 1939, six ans après être arrivé au pouvoir. L’apprentissage pour moi a été nul.

L’apprentissage a été nul parce que les vainqueurs de la guerre sont encore les mêmes que ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir ?

En réalité, les perdants d’ hier sont aussi les vainqueurs d’aujourd’hui. La reconstruction allemande a été le produit d’un accord tacite entre des vainqueurs et les perdants parce qu’il était nécessaire de reconstruire l’Allemagne. Il était nécessaire parce qu’il y avait en face un ennemi qu’il fallait contenir. Le procès a été un procès en toutes lettres. Mais, en réalité, ce fut une opération politique du aux nécessités du moment.
La mort des responsables nazis a été un fait de justice et un fait moral. Laisser libres les poissons pas très gros et ne rien faire pour chercher les gros poissons qui ont trouvé refuge dans d’autres pays ce fut, par contre, un acte d’injustice. Tous savaient où était Eichmann, où était Mengele. Par exemple, Walter Rauff était au Chili et fut le conseiller de Pinochet pendant sa présidence. Klaus Barbie vivait en Bolivie et dirigeait une entreprise de navigation à la vue de tous.

Quelle phrase ou témoignage aimez-vous vous rappeler de Nuremberg ?

Quand le trésorier américain Robert Jackson a dit : si nous n’avions pas fait le Tribunal de Nuremberg, c’est comme s’il n’y avait pas eu de guerre, s’il n’y avait pas eu de morts. Une façon de terminer la guerre a été de faire de la justice.


Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

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