Portada del sitio > Imperio y Resistencia > Organismos y ONGs de dominación > 2,6 millions de plaintes contre l’Irak: affaire classée
Par Gilles Labarthe
La Gauche, Genève, lundi 22 Septembre 2003
La Commission d’indemnisation des Nations unies (UNCC) finit de classer le remboursement d’une des plus incroyables dettes de l’Histoire: les 350 milliards de dollars réclamés à l’Irak par les familles, entreprises et gouvernements victimes de l’invasion du Koweït en 1990. Plus de 2,6 millions de plaintes ont été déposées auprès de cette commission unique en son genre, alimentée directement par un prélèvement de 30% sur le programme «pétrole contre nourriture», alors que le peuple irakien vit dans la misère. Retour sur un véritable «casse du siècle» orchestré par les Nations Unies, qui a largement profité aux multinationales américaines, européennes, mais aussi à des entreprises suisses.
Villa «La Pelouse», Genève. Dans le cadre bucolique d’une maison de maître surplombant les rives du Léman, des membres du conseil d’administration de la Commission d’indemnisation des Nations Unies (UNCC) rangent leurs dossiers. Ils viennent de clore jeudi dernier leur 49e session au Palais des Nations à Genève. «Le travail de la commission a été dur», confie l’un des fonctionnaires, avec un air penaud, plus soulagé que franchement satisfait de la tâche accomplie. Qu’on en juge: depuis sa création en 1991, l’UNCC a examiné plus de 2,6millions de plaintes en provenance de 96Etats. Victimes civiles de l’invasion du Koweït en 1990, entreprises réclamant à l’Irak des indemnités pour pertes et manque à gagner, gouvernements lésés... un formidable concert des plaignants s’est engouffré dans la brèche ouverte par le Conseil de sécurité de l’ONU en 1991, quand l’organisme a déclaré l’Irak «responsable, en vertu du droit international», des pertes et dommages subis par les gouvernements alliés au lendemain de la guerre du Golfe.
Sommes vertigineuses
Au fil des réunions onusiennes, il a fallu trier le bon grain de l’ivraie, démasquer les abus... un travail de fourmi, explique Pavel Skomorokhin, chef du «Governing council sercretariat» à l’UNCC, qui feuillette pour l’exemple un gros rapport de la commission onusienne. «La majeure partie des plaintes proviennent des demandes d’indemnités, formulées par des victimes et des sociétés koweïtiennes. Plus de 98% des demandes totales ont été examinées, il a fallu faire vite.»
Le Koweït n’est pas seul à être payé en retour. Les multinationales, et notamment des compagnies pétrolières et d’aviation, ont aussi contribué à hypothéquer l’avenir du peuple irakien dans le cadre des incroyables remboursements orchestrés par l’UNCC. Dans le seul rapport de décembre 1999 sur les «recommandations de la commission concernant les plaintes de la catégorie E2» -industrie des transports- les sommes apparaissent vertigineuses. Egyptair, aux premières loges lors du conflit, a réclamé 410 millions de dollars. Royal Jordanian Airlines, 292 millions. Plus loin, Alitalia, 342 millions, KLM, 218 millions...
En réalité, la plupart des firmes ont déclaré des montants dix fois supérieurs aux pertes directes, avec l’approbation de leur gouvernement. Philip Morris, Hewlett Packard, Caterpillar, Goodyear, Procter&Gamble, Unilever ont également prélevé des millions pour «pertes de marchandises». Sur les versements de 46,6 milliards de dollars déjà approuvés par l’UNCC, se dégage une liste des pays qui ont jusqu’à présent été le mieux servis par la commission: en plus du Koweït, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, Israël et l’Arabie saoudite.
La Suisse aussi
Et la Suisse? «Nous avons reçu les plaintes d’un certain nombre d’entreprises suisses qui étaient impliquées dans des projets au Koweït et en Irak, rappelle le haut responsable de l’UNCC. La plupart ont été très vite satisfaites dans leur demande de remboursement. Les sommes réclamées ne figurent pas parmi les plus élevées.»
Au total, elles avoisinent tout de même les 334millions, sommes approuvées par la Confédération sans aucun examen détaillé des dossiers. En tête de peloton, Swissair a exigé 41 millions de dollars, essentiellement pour «manque à gagner». Elle n’en a finalement obtenu que 8,2 millions, sa demande étant jugée surévaluée ou «sans rapport direct avec le conflit» par l’UNCC. Swiss Reinsurance a réclamé 8,4 millions et la Swiss Pool for Aviation Insurance, 5,5 millions. Nestlé, environ 2,4 million pour «pertes de biens»...
Quand il faut sauter sur l’occasion, qu’importe le sérieux des éléments présentés. Les entreprises suisses Szbazo Marketing, Advanced Technical, Rieber AG, Hydromeca SA, Delma Watch, Cattin Machines ont toutes tenté leur chance auprès de l’UNCC, pour des sommes et des bonheurs divers -la palme de la déception revenant à Dixi SA, qui n’a pas hésité à demander 5,4millions de dédommagements pour «frais engagés et manque à gagner». Elle n’a finalement touché que 110000 dollars, faute de preuves suffisantes.
Un marasme qui a choqué parlementaires fédéraux et députés cantonaux, donnant lieu en juin 2001 à un courrier adressé à Kofi Annan, le secrétaire général des Nations Unies, pour lui proposer la cessation pure et simple des paiements. D’autres ont dénoncé sans relâche la partialité des procédures en cours devant la commission. Peine perdue. «Dans bien des cas, les dossiers des plaintes sont à peine été examinés, voire ouverts», témoigne à Genève un ancien membre de l’UNCC, sous couvert d’anonymat.
Mais à la villa «La Pelouse», les critiques à l’encontre du fonctionnement onusien semblent toujours se perdre comme dans un salon feutré. «Le système de paiement de l’UNCC est en train de se modifier, nuance cependant un haut responsable de l’organisme. Il s’adapte aux ventes actuelles du pétrole irakien.»
Jusqu’en 2060
Le pourcentage de prélèvement pour les fonds d’indemnisation de l’UNCC est en effet tombé de 30% à 25% en décembre 2002. Le 22 mai dernier, peu après la «victoire» des forces de la coalition en Irak, le Conseil de sécurité l’a brusquement abaissé à 5% des revenus d’exportation. Un retour à la raison?
La baisse subite des prélèvements ne signifie pas que l’UNCC entend mettre un terme à sa mission de ponction des revenus irakiens, qui se situe toujours autour de 1,5 milliard par an. Elle représenterait plutôt un nouveau geste de patience et d’allégeance de la commission envers le gouvernement Bush, analysent des observateurs.
«Plus la dette antérieure à la guerre de 2003 est élevée, plus les Etats-Unis et leurs alliés devront attendre pour être remboursés sur les frais qu’ils engagent dans la reconstruction», souligne Eric Toussaint, qui revendique avec le Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM) la liquidation globale et immédiate des créances de l’Irak.
On le sait, le gouvernement Bush n’aime pas attendre. La population irakienne, elle, peut toujours compter. Sans une révision complète du système d’indemnisations de l’UNCC, l’Irak ne devrait pas être «libéré» avant 2060.
L’UNCC en quelques chiffres
Organe dépendant du Conseil de sécurité de l’ONU, la Commission d’indemnisation des Nations Unies (UNCC) a été créée en 1991. Elle occupe environ 250fonctionnaires dans plusieurs bureaux de la Genève internationale, et coûte 50millions de dollars par an à l’Irak pour son seul fonctionnement.
Pourvue de commissaires et d’experts, l’UNCC a pour rôle de recueillir et de traiter les demandes d’indemnisation concernant «les pertes et les dommages directs subis par des particuliers, des sociétés, des gouvernements et des organisations internationales du fait de l’invasion et de l’occupation illégale du Koweït par l’Irak du 2 août 1990 au 2 mars 1991».
Au total, la commission a enregistré 2,6millions de réclamations, pour un montant évalué à environ 350milliards de dollars. Les demandes d’indemnisation sont classées en plusieurs catégories:
– atteintes individuelles (A-D),
– pertes subies par les sociétés et entreprises d’Etat ou privées (E),
– par les gouvernements et organisations internationales (F).
Elles ont été présentées par 96 gouvernements.
A l’issue de la 49è session de son conseil d’administration, qui s’est déroulé à Genève du 16 au 18septembre, et jusqu’à ce jour, l’UNCC a approuvé le versement d’un montant de 46,6 milliards de dollars. Elle a déjà mis à la disposition des gouvernements plus de 17,8 milliards pour «rembourser» les victimes civiles, comme les multinationales. «Les derniers cas à traiter concernent surtout les plaintes des Etats, liées à des dommages environnementaux. Ils devraient être réglés cet automne, au plus tard en décembre », informe à Genève Pavel Skomorokhin, responsable du «Governing council sercretariat» à l’UNCC.