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23 août 2004

10 décembre 1975
El Autentico
Histoire de la Triple A : annihiler les exilés

 

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Extrait de
El Autentico
Page 4
10 décembre 1975

HISTOIRE DE LA TRIPLE A : ANNIHILER LES EXILES
(Seconde Note) [1]

Comme on l’a vu dans la note précédente, ce qu’on appelle de façon générique AAA (Alliance Anti-impérialiste Argentine) porte la marque de fabrique de l’impérialisme américain, qui a créé des organismes semblables dans tout le Tiers Monde, du le sud-est asiatique jusqu’au Liban, en passant par l’Afrique et l’Amérique latine.

La destruction du peronisme, confiée à José López Rega par les chefs de la CIA, incluait naturellement l’extermination d’authentiques peronistes comme Atilio López, Julio Troxier, Chávez et de dizaines de militants de base. On a déjà vu comment a participé à cette tâche une bande de policiers délinquants, dirigée par le commissaire Juan Ramón Morales et par le chef de la garde d’Isabel Martínez de Perón, le commissaire Almirón. C’était en revanche un aspect d’une politique plus vaste qui englobait tout le Cône Sud. À partir de 1955, les Etats-Unis, alliés aux oligarchies nationales, ont détruit dans ce secteur géographique tout vestige de pouvoir populaire. La justice sociale, et la démocratie organisée ont été rasées successivement en Argentine, au Brésil, la Bolivie, l’Uruguay, le Chili, toujours par des moyens violents.

Les Yankies contre la libération continentale.

Le retour en Argentine du Général Perón en 1972, ajouté au processus militaire péruvien et à la présence au gouvernement chilien de l’Unité Populaire, ouvrait une perspective de libération continentale que les Etats-Unis n’étaient disposés à tolérer. Le président Allende a été renversé, avec l’intervention, maintenant prouvée, de la CIA. L’Argentine était cernée.

À l’encerclement externe, s’est ajoutée la trahison interne. Les fugitifs de la terreur de Pinochet, de Banzer, de Bordaberry, qui s’étaient réfugiés dans nos pays confiants en leur tradition d’hospitalité et aux drapeaux généreux du 11 mars, allaient faire l’objet d’une persécution aussi implacable que celle qui s’abattait sur leurs propres pays. Confinés au début, harcelés et humiliés ensuite, des dizaines d’entre eux seraient finalement assassinés par une branche de l’AAA dont les racines se trouvaient dans un appareil policier contrôlé par López Rega, et à travers López Rega, par la CIA.

Conférence secrète à Buenos Aires

Pendant les premiers mois du gouvernement populaire on a enregistré un changement dans les institutions policières du pays. La torture a disparu, les confrontations armées avec des groupes politiques ont été réduites au minimum, - il a été possible de lever les "barrières" des commissariats, surtout la barrière fondamentale qui pendant les dictatures militaires avait séparé à la police du peuple."

Ce changement, toutefois, était superficiel. Les tortionnaires, les assassins, étaient momentanément mis de coté, mais non éliminés. Le 25 mai 73 ce fut une trêve qui a protégé non seulement les guérilleros emprisonnés - comme on le prétend maintenant - mais aussi les artisans de la gégène, les ravisseurs de Verd et Maestre, et les assassins de Brandazza.

Le massacre de Cordoba était déjà prévu

Le ministre López Rega allait les ressusciter, leur restituer le pouvoir de vie ou de mort qu’ils avaient perdu le 11 mars. Ce jour là, le commissaire Alberto Villar était un vaincu, mais en juin il était le chef de sécurité du MBS, et en janvier 74 c’était un triomphateur.

Sous-chef (ensuite chef) de la Police Fédérale et tête pensante de l’AAA, pendant le Carnaval de cette année là, il s’est réuni avec les policiers envoyés par Pinochet, par Banzer et par Bordaberry pour consigner les fondements doctrinaires et opérationnels de la persécution de milliers Chiliens, Uruguayens et boliviens qui s’étaient réfugiés dans notre pays.

La version sténographique de cette sinistre réunion servira peut-être un jour de socle pour le procès en suspens contre l’AAA.

En tout cas, elle explique pourquoi allaient mourir le général Prats et une demi - centaine de d’exilés qui ont suivi jusqu’au massacre de la semaine dernière à Cordoba.

Pinochet dicte des conditions

Représentant du Chili (Général X de Carabiniers [2] :

"La Délégation du Chili soumet à vos considérations les propositions suivants.

 Première, accréditer dans chaque ambassade un Attaché de Sécurité, qui peut être membre des Forces Armées ou de la Police... dont les fonctions de base seraient la coordination avec la Police ou le Représentant de Sécurité de chaque pays ou de différents organismes locaux...

 Seconde proposition, de manière semblable à ce qu’a Interpol à Paris, nous devons avoir aussi une Centrale d’informations, où on pourra recueillir des données concernant des ’individus qui sont marxistes...

 Troisième proposition, des échanges programmés et imprévus de personnes : que nous puissions venir, aller en Bolivie et que la Bolivie puisse aller au Chili, et que nous puissions venir à nouveau en Argentine ... que l’on puisse arriver directement en toute confiance à chacun des organismes de Sécurité de chacun des pays, et exposer pourquoi nous venons, que nous n’ayons pas besoin d’une invitation formelle préalablement...

 Quatrième proposition, la nécessité d’établir un canal de communication... À titre d’exemple, je suggère deux canaux, un formel qui pourrait être l’Attaché de Sécurité, et un direct entre les Services de Sécurité, ce pourquoi nous pourrions occuper le réseau, ENTEL de téléphones avec le système d’écoutes...

 Cinquième proposition, la nécessité d’établir un échange de stages pour l’entraînement de personnel dans la base ou par des cours formels,ce qui peut aussi être l’entraînement dans le travail sans avoir besoin de cours...

 Sixième proposition, un album (de photos)... "

Indubitablement l’envoyé de Pinochet, qui était déjà plusieurs milliers de morts sur le dos, savait encore mieux que Villar de quoi il parlait, et sa voix allait être la voix directrice dans ce congrès secret de policiers qui avait lieu à Buenos Aires - nous le rappelions - au début 1974. Ce qui est intéressant, c’est qu’à aucun de ces experts en répression qui aiment tant parler de "pénétration étrangère" n’est passé par la tête, qu’introduire dans le réseau ENTEL un système yankie de codage de voix, au service de Pinochet, était quelque chose comme « le modèle » de l’intervention étrangère en Argentine.

Banzer : d’accord

Monsieur le Sous-chef de la Police Fédérale (Commissaire VILLAR) :
"Quelqu’un souhaite exprimer une autre proposition ?

 Représentant de la Bolivie : La délégation de la Bolivie suggère que tous les éléments marxistes qui sont dans les divers pays soient maintenus à une certaine distance, de telle sorte que nous empêchions l’afflux de ces derniers vers les zones frontalières."

Bordaberry : YES

Représentant de l’Uruguay (Inspecteur Général CASTIGLIONE) :
"Ce que j’allais proposer est déjà inclus dans ce qu’a exposé Monsieur le général des Carabiniers. En particulier, nous réitérerions l’offre que nous avons déjà fait de maintenir là en manière permanente un ou davantage de fonctionnaires, surtout dans des zones critiques, comme le Littoral, en collaborant avec la police argentine en vue d’identifier des gens".

Monsieur le Sous-chef de la Police Fédérale (Commissaire VILLAR) :
"Il n’y a aucun problème. Le chef du DAE (Département d’Affaires Étrangères de SSF) va ensuite prendre contact avec l’Inspecteur Général Castiglione, pour bien coordonner ces liaisons. La même chose pour le Chili, s’il a besoin d’avoir des gens dans la zone Mendoza, San Juan ou de la zone qui est déterminée, de même pour la Bolivie dans le cas de Salta, Jujuy".

Étrangers en SSF

Les mots de Villar montrent à l’évidence qu’il lui paraissait correct que des policiers du Chili, de Bolivie et d’Uruguay - c’est-à-dire, des "agents étrangers" - opéreraient librement en territoire argentin, pourvu que cela soit effectué dans le dos du Congrès ou des journalistes (qui n’ont même pas entendu parler de cette réunion), et surtout dans le dos du peuple argentin.
Et effectivement, les moyens d’assurer le secret à travers des communications encodées, etc., ont occupé une bonne part du conclave.

Mais Villar a été beaucoup plus loin, comme le prouvent ces extraits de son intervention :

"Monsieur le Sous-chef de la Policier Fédérale (Commissaire VILLAR) : Le rapport que nous allons faire au gouvernement national est la fixation du lieu de résidence des exilés, ainsi que la surveillance hebdomadaire de ceux-ci, ce qui les empêchera de voyager à travers la République et d’être dans des zones de frontière. En ce qui concerne les stages, vous pouvez compter avec... Les albums sont confectionnés... dans l’ambassade ; le plus sûr c’est qu’ils soient les Attachés Militaires, puisque dans le personnel civil des ambassades il peut y avoir quelqu’un qui ait des idées un peu différentes des nôtres... A été approuvé par notre gouvernement l’Attaché Policier, qui sera appelé Attaché Légal pour lui donner une couverture... Quand le problème sera urgent, ils peuvent prendre contact avec le Quartier général ou le Sous-commandement ou bien avec la Surintendance de Sécurité Fédérale, en disant que quelqu’un vient, nous pouvons, dire que vient une commission de : narcotiques, que pensez- vous ? Une "commission de narcotiques" voyage en votre direction, et nous saurons ainsi déjà de quoi il s’agit... "

Villar n’était pas ingénieux, mais si un bon élève : dans l’école yankie d’espionnage, l’"attaché légal" de l’ambassade est l’agent du FBI, et la "commission de narcotiques", la clique habituelle de l’espionnage politique.

Le délégué Chilien a voulu savoir de toutes manières comment on gèrerait ces « courriers ».

Villar a répondu : "Monsieur le général, je crois qu’une bonne couverture serait de lui donner un passeport diplomatique, et qu’il soit transféré d’ambassade en ambassade... Ils vont techniquement être en relation avec la Surintendance de Sécurité Fédérale, qui est l’organisme spécialisé en Intelligence. Une fois que le « courrier » arrive de l’ambassade, il est en territoire argentin, il est soumis à la sécurité de notre police, c’est-à-dire qui se logerait sans charge et travaillerait déjà directement avec celle-ci, soit dans la rue, les brigades, ou en portant les nouvelles directives du "modus operandi" qui peuvent apparaître, du mouvement de citoyens chiliens, boliviens ou d’autres pays qui s’activent ici"...

L’internationalisme de Villar allait plus loin :

"Non seulement nous devons prêter attention aux citoyens de nos pays, mais aussi aux cubains, tchèques, allemands ou toute nationalité pour que les archives soient le plus complètes possibles"

Tous ces accords ont été formalisés et Buenos Aires s’est transformée en le siège de la Centrale d’Intelligence, qui dans une étrange union maritale unissait le gouvernement populaire avec les dictatures du Cône Sud.

Pour les fugitifs chiliens, uruguayens et boliviens, les conséquences ont été profondes. L’entrée à la PF (Police Fédérale argentine) de policiers de ces pays a commencé à se concrétiser une semaine après la réunion.

Les conditions, déjà dures, dans lesquelles vivaient les exilés se sont rapidement aggravées. A la surveillance et aux visites de contrôle suivirent les détentions, aux détentions les coups, aux coups les disparitions et les déportations secrètes. Villar avait promis que la DAE allait s’occuper des étrangers qui dérangeaient Pinochet, Banzer, Bordaberry, et elle s’était effectivement occupée d’eux. En août, ont commencé à apparaître dans la décharge de Lugano les premiers cadavres de boliviens des bidonvilles. En septembre, une bombe déchiquetait le général Prats, ex commandant en chef de l’armée Chilienne. Le même mois la police argentine enlevait les uruguayens Daniel Banfi, Luis Latrónica et Guillermo Jabif. Le recours de Hábeas Corpus présenté, on admet qu’ils sont détenus. Mais ensuite on le nie.

À la fin octobre, les cadavres des trois Uruguayens apparaissent dans un puits à San Antonio d’Areco "avec plusieurs impacts de balle, avec des mutilations aux jambes et aux bras : ils ont des marques de torture ; ils ont une mutilation des organes génitaux ; ils ont une couche acide et de chaux", comme on le constate dans la plainte déposée auprès du Tribunal Russell. [3]

L’AAA s’attribua ces morts. C’était un déguisement confortable, qui réussissait. Pour ors le docteur Balbín et d’autres politiciens plus mineurs réclamaient déjà pour l’État le "monopole de la violence". Comme si l’AAA n’était pas aussi un sceau qu’assumait l’État, maintenant livré à l’impérialisme américain, pour poursuivre le peuple. Aujourd’hui, jusqu’à ces légers voiles sont tombés. L’explosion à Tucuman de sept otages politiques, le massacre à Cordoba de neuf étudiants latino-américains, révèlent que les désirs pieux du docteur Balbín ont été accomplis, et que sur la trahison des espoirs populaires règne dans sa plénitude la terreur officielle -

(A suivre)

Traduction Pour El Correo : Estelle et Carlos Debiasi

Notes de El Correo :

Notes

[1El Correo est intéressé par la première et troisième notes qui nous manquent. Si quelqu’un les a, merci de nous les envoyer.

[2Le général "X" est-il Contreras, quelqu’un connaît-il l’identité du Général "X" ?

[3Nous cherchons à connaître le lieu de concervation de archives du Tribunal Russell.

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