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8 mars 2014

The Guardian : le soutien des États-Unis à un changement de gouvernement au Venezuela est une erreur

par Mark Weisbrot *

 

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Quand devient-il légitime d’essayer de renverser un gouvernement élu démocratiquement ? À Washington, la réponse à cette question a toujours été évidente : quand le gouvernement des États-Unis le décide. Il n’est pas surprenant qu’en général, les gouvernements latino-américains ne le voient pas de cet œil-là.

Dimanche 16 février, les gouvernements du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Venezuela) ont publié un communiqué à propos des manifestations de la semaine précédente au Venezuela. Ils ont qualifié « les récents actes de violence » qui s’y sont déroulés de « tentatives de déstabilisation de l’ordre démocratique ». Ils ont été très clairs concernant leur position.

Les gouvernements ont déclaré de façon limpide

« leur ferme engagement pour le respect des institutions démocratiques et, dans cette optique, [qu’ils condamnaient] les actions criminelles des groupes violents qui cherchent à semer l’intolérance et la haine en République bolivarienne du Venezuela comme moyen de lutte politique ».

Il faut se souvenir que l’année dernière, quand des manifestations d’une ampleur bien plus importante avaient ébranlé le Brésil, ni le Mercosur ni les gouvernements voisins n’avaient émis de déclaration. Ce n’était pas parce qu’ils n’appréciaient pas la présidente Dilma Rousseff, mais bien parce que ces manifestations ne semblaient pas avoir pour but de renverser le gouvernement brésilien élu démocratiquement.

Le gouvernement d’Obama, avec un peu plus de subtilité, a lui aussi énoncé clairement sa position. Quand le secrétaire d’État John Kerry déclare : « Nous sommes particulièrement alarmés par les nouvelles des arrestations et des détentions menées par le gouvernement vénézuélien d’un grand nombre de manifestants anti-gouvernementaux », il prend position politiquement. En effet, de nombreux manifestants ont commis des crimes : ils ont agressé et blessé des policiers avec des morceaux de béton et des cocktails Molotov, brûlé des véhicules, détruit et incendié des bâtiments gouvernementaux, entre autres actes de violence et de vandalisme.

La semaine dernière, sous couvert d’anonymat, un porte-parole du Département d’État des États-Unis a été encore plus clair en faisant part de sa réaction face aux protestations. Il a exprimé son inquiétude quant à « l’affaiblissement des institutions démocratiques au Venezuela » en déclarant que c’était de la faute du gouvernement, et qu’il existait une obligation « de la part des institutions gouvernementales de fournir des solutions efficaces aux besoins socio-économiques légitimes des citoyens ». Ce porte-parole s’est uni aux efforts de l’opposition pour discréditer le gouvernement en place, étape vitale de cette stratégie de « changement de régime ».

Naturellement, nous savons tous qui, au Venezuela, est soutenu par le gouvernement des États-Unis. En vérité, ils ne s’en cachent pas : cinq millions de dollars du budget fédéral des États-Unis pour 2014 sont destinés à financer les activités de l’opposition au Venezuela — et il est quasi-certain que ce n’est que la partie émergée de l’iceberg — auxquels s’ajoutent les centaines de millions de dollars ayant servi à les financer ouvertement ces 15 dernières années.

Mais ce qui rend les déclarations des États-Unis si importantes et qui provoque la colère des gouvernements de la région, c’est qu’elles indiquent à l’opposition qu’une fois encore, Washington soutient un changement de gouvernement. Kerry avait fait la même chose en avril dernier, lors de l’élection de Maduro à la présidence, quand le candidat de l’opposition Henrique Capriles avait affirmé que l’élection était frauduleuse. Kerry avait refusé de reconnaître le résultat du scrutin. La posture agressive et antidémocratique de Kerry lui avait valu des réprimandes si sévères de la part des gouvernements d’Amérique du Sud qu’il avait dû changer de cap et reconnaître le gouvernement de Maduro. (Pour ceux qui n’ont pas suivi ces événements : il n’y avait aucun doute possible quant aux résultats des élections).

Le fait que Kerry reconnaisse les résultats électoraux avait mis fin à la tentative de l’opposition pour discréditer le gouvernement élu. Après la victoire du PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela) de Maduro aux élections municipales en décembre avec une large avance, l’opposition avait été vaincue. Malgré une inflation de 56 % et une grande pénurie de biens de consommation, une solide majorité avait voté pour le gouvernement. Son élection ne pouvait être attribuée au charisme personnel de Hugo Chávez, décédé depuis près d’un an, et elle n’avait rien d’irrationnel. En effet, même si les choses sont plus difficiles depuis environ un an, la majorité des vénézuéliens qui avaient été marginalisés et exclus par les gouvernements précédents ont tout de même vu leur niveau de vie nettement s’améliorer sur les 11 dernières années, c’est-à-dire depuis la nationalisation de l’industrie pétrolière. Cette partie de la population était certes très critique concernant le gouvernement et l’économie, mais les riches politiciens de droite qui dirigeaient l’opposition ne reflétaient pas leurs valeurs et ne leur inspiraient pas confiance.

Le chef de l’opposition Leopoldo López (qui était en compétition avec Capriles pour prendre la tête du parti) a décrit les manifestations actuelles comme un événement qui pourrait forcer Maduro à renoncer à son poste. Il est évident qu’il existait et qu’il existe toujours une manière non pacifique de provoquer cette démission. Comme l’a affirmé le professeur David Smilde de l’Université de Géorgie, le gouvernement a tout à perdre face à la violence des manifestations, et l’opposition a beaucoup à gagner.

Avant le weekend des 15 et 16 février, Capriles, qui était auparavant prudent par rapport à une stratégie potentiellement violente de « changement de régime », a visiblement changé de programme. D’après Bloomberg News, il a accusé le gouvernement d’« infiltrer les manifestations pacifiques » pour les transformer en « noyaux de violence et de répression ».

Dans le même temps, López a provoqué Maduro sur Twitter après que le gouvernement a commis l’erreur de le menacer d’arrestation : « Tu n’as pas le cran de m’arrêter ? » a-t-il twitté le 26 février :

@Nicolasmaduro : no tienes las agallas para meterme preso ?
O esperas órdenes de La Habana ?
Te lo digo : La verdad está de nuestro lado

Leopoldo López (@leopoldolopez) 14 février 2014

(Tu n’as pas le cran de m’arrêter ? Ou bien tu attends un ordre de La Havane ? Laisse moi te dire : la vérité est dans notre camp)

Espérons que le gouvernement ne mordra pas à l’hameçon. Le soutien des États-Unis à un changement de gouvernement a sans nul doute envenimé la situation car Washington a déjà beaucoup d’influence au sein de l’opposition et, bien entendu, au sein des médias de l’hémisphère.

Il a fallu attendre longtemps avant que l’opposition n’accepte les résultats de l’élection démocratique au Venezuela. En 2002, ils ont tenté un coup d’état militaire, avec le soutien des États-Unis, et quand celui-ci a échoué, ils ont essayé de renverser le gouvernement en menant une grève pétrolière. En 2004, ils n’ont pas réussi à récupérer la présidence et ont crié à la « fraude ! » et l’année suivante, ils ont boycotté sans raison les élections de l’Assemblée Nationale. La tentative ratée de discréditer les élections présidentielles d’avril dernier a été un retour à ce passé sombre, mais pas si lointain. Reste maintenant à voir jusqu’où ils iront cette fois-ci pour obtenir par d’autres moyens ce qu’ils n’ont pas été capables d’obtenir par les urnes, et pendant combien de temps ils bénéficieront du soutien de Washington pour un changement de gouvernement au Venezuela.

Mark Weisbrot pour The Guardian

En anglais

Lire l’article original sur le site web The Guardian (En anglais),

The Guardian , February 18, 2014

© 2014 Guardian News and Media Limited

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Eva Tanquerel

El Correo. Paris, 8 mars 2014

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