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1er juillet 2012

Quitter le trampoline de la crise
Jean-Marie Harribey

par Jean-Marie Harribey, Les Économistes Atterrés *

 

La crise n’en finit pas de rebondir. Toujours plus haut, plus grave et plus loin. La Grèce, l’Irlande, le Portugal, depuis deux ans. L’Espagne maintenant. Il y a de quoi s’alarmer mais pas de s’étonner. Les politiques néolibérales – qui ont provoqué la crise, rappelons-le – font tout pour la prolonger : l’austérité enfonce les économies dans la récession, laquelle aggrave les déficits, obligeant les États à toujours emprunter davantage sur les marchés financiers. Aveugles à cet engrenage fatal et sourds aux protestations des peuples pressurés, les dirigeants européens ont concocté le Pacte budgétaire et sa « règle d’or » pour annihiler toute tentative de réorientation des politiques.

La sanction est là : pour n’avoir pas voulu s’attaquer aux structures de la finance, ni même les encadrer si peu que ce soit, et donc remettre en cause ses propres dogmes inscrits dans les traités, l’Union européenne et sa zone euro craquent. Depuis deux ans, plus de 400 milliards d’euros ont été apportés aux pays en difficulté, sans autre résultat que de les placer plus ou moins sous tutelle : 240 milliards pour la Grèce, 85 pour l’Irlande, 78 pour le Portugal. Ces milliards, qualifiés d’« aides », n’ont été apportés qu’en contrepartie d’une austérité draconienne et d’une dérégulation du marché du travail. De plus, les 130 milliards décidés en mars dernier en faveur de la Grèce consistaient à entourer la conversion de 85,8 % de la valeur des obligations de droit grec détenues par les banques grecques ou étrangères contre de nouveaux titres à 50 % de la valeur nominale des anciens qu’elles n’auraient pu, de toute façon, négocier sur le marché qu’à hauteur de 10 ou 20 %. Et ces nouveaux titres ont été émis sous la loi britannique afin d’éviter qu’un futur gouvernement grec puisse toucher à la dette. Au total, l’aide apportée fut surtout destinée aux banques que l’on a tirées ainsi d’un mauvais pas, beaucoup plus qu’à l’État lui-même, tandis que le pays plonge dans le chaos économique, social et politique. Cerise sur le gâteau : les banques étrangères ayant des filiales en Grèce pourront accéder à la liquidité offerte par la Banque centrale européenne en cas de retraits de dépôts trop importants. On connaît la générosité de cette dernière qui a déjà prêté au cours des six derniers mois 1000 milliards d’euros aux banques privées.

Mais c’est maintenant au tour de l’Espagne d’être projetée sur le trampoline de la crise. Parce que, d’une part, les conséquences de la spéculation immobilière ne sont pas soldées. La seule banque Bankia détiendrait 176 milliards d’actifs toxiques. L’ensemble des banques espagnoles seraient engagées dans l’immobilier à hauteur de 307 milliards. On sait qu’ailleurs ce n’est guère plus brillant : Dexia qui s’était déjà délestée de 73 milliards d’actifs douteux fin 2011, détiendrait encore plus de 100 milliards d’actifs toxiques, hérités de la période où elle s’était lancée dans une politique délirante de placements spéculatifs. D’autre part, la crise s’approfondit parce qu’elle n’est pas une addition de crises nationales qui éclateraient par hasard au même moment, mais elle est une crise du capitalisme qui met ce système au pied du mur : le mur de l’exploitation de la force de travail car il y a un seuil à ne pas dépasser sous peine de crise sociale et de surproduction économique, et le mur infranchissable des ressources naturelles.

Que vont résoudre les 100 milliards que l’Union européenne vient de décider d’octroyer à l’Espagne par le biais du Fonds européen de stabilité financière (FESF), encore en service avant l’entrée en scène du Mécanisme européen de stabilité (MES) ? (voir à ce sujet notre dernier ouvrage : "L’Europe mal-traitée"). Ce ne sera pas une aide à l’État espagnol, a-t-on entendu, car « il a déjà réalisé les réformes structurelles » attendues pour éviter la mise sous tutelle. Il s’agira d’une aide directe aux banques, sous le couvert du Fonds public espagnol de soutien au secteur bancaire. L’argent public européen refinancera donc les banques. Car il faut se souvenir que le FESF, tout comme bientôt le MES, n’a pas un euro d’avance. Il n’a que des garanties apportées par les États qui… doivent emprunter sur les marchés financiers lorsque la sonnette d’alarme est tirée. C’est la conséquence d’avoir une Banque centrale européenne qui ne joue ni le rôle de prêteur en dernier ressort à l’égard des États, ni même celui de garant de leurs emprunts.
Toutes les analyses que les Économistes atterrés ont présentées, en leur nom propre [1] ou en collaboration avec d’autres associations, sont malheureusement confirmées. Sans un changement radical de cap, l’Europe ne peut que s’enfoncer dans la crise. Mais il n’y a pas de fatalité. Dans quelques jours, les Grecs voteront. Déjà, on sait que le parti Syriza exprime ouvertement et clairement un sentiment populaire : il est possible de refuser l’austérité sans se condamner à sortir de la zone euro. À condition que le soutien extérieur soit important. Dans ce cadre-là, des mobilisations sont en préparation, auxquelles les Économistes atterrés s’associeront ou qu’ils animeront.

Ainsi :

 L’Appel pour sauver le peuple grec de ses sauveurs est toujours en cours de signature [2] se réunira le 23 juin à Paris en rassemblant tous les collectifs locaux pour faire le bilan des actions déjà menées et envisager leur suite.
 Le réseau « Another road for Europe » se réunira le 28 juin à Bruxelles.
 Le réseau « Euromemo Group » tiendra son colloque annuel à Potznan du 28 au 30 septembre.
 Un « Alter summit » à Florence est en préparation pour le mois de novembre dans le cadre de la Joint Social Conference.
Par ailleurs, d’autres initiatives sont prises actuellement, auxquelles les Économistes atterrés sont attentifs même s’ils n’en sont pas partie prenante, comme celle intitulée « Roosevelt 2012 ».

On le voit, la situation chaotique de l’Europe en général et de plusieurs pays en particulier n’est ni le fruit du hasard, ni une fatalité.
Et quitter le trampoline de la crise sur lequel les politiques néolibérales contraignent les peuples est possible.

Les économistes atterrées, 14 Juin 2012.

Notes

[1Les Économistes atterrés, Manifeste d’économistes atterrés, Paris, LLL, 2010 ; 20 ans d’aveuglement, l’Europe au bord du gouffre, Paris, LLL, 2011 ; Changer d’économie, Nos propositions pour 2012, Paris, LLL, 2011 ; L’Europe mal-traitée, Paris, LLL, 2012.

[2Sauvons le peuple grec de ses sauveurs !].
 Le collectif national pour un audit citoyen de la dette publique [[Retours sur les Assises de l’audit citoyen le 23 juin

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