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24 septembre 2015


Mensonges, Monsieur Roger-Petit, mensonges !

par Jacques Sapir*

 

Monsieur Roger-Petit n’aime pas ce que j’écris. C’est son droit le plus strict. Mais cela ne lui donne pas le droit de mentir, ce qu’il a fait dans les dernières colonnes du magasine Challenges qui appartient au même groupe que le NouvelObs. Ces mensonges pourraient n’être qu’anecdotiques. Ils sont communs dans une partie (et une partie seulement) de la gens journalistique. Mais ces mensonges viennent dans un contexte qui n’est pas sans conséquences. La question de la souveraineté est posée, et avec elle celle de la légitimité d’un pouvoir électoralement aux abois. Il est d’ailleurs savoureux de constater que le P « S » nous ressort une variante du « moi ou le chaos » que Mitterrand en son temps dénonçait à la veille d’élections régionales qui promettent d’être catastrophiques. De ce point de vue, ces mensonges sont symptomatiques.

Un certain Bruno Roger-Petit, etc, etc…(p.c.c. Jacques Prévert)

Revenons sur le contexte immédiat. L’article de Roger-Petit [1] se veut une réaction à une interview de Thomas Guénolé publiée sur FigaroVox  [2]. L’argument de Guénolé est assez simple, mais efficace. Il constate que le débat public autour des idées de Michel Onfray et des miennes traduit un retour en force de la gauche du « non » au référendum de 2005. Et c’est bien cela qui énerve Roger-Petit. Seulement, tout à son énervement, il passe la ligne que tout journaliste devrait s’interdire de franchir. Il le fait avec des précautions de jeune pubère de 12 ans devant sa première femme ; que l’on en juge : « Guénolé ne dit pas autrement que Michel Onfray, qui lui-même ne dit pas autrement que Jacques Sapir, économiste réputé proche du Front de gauche et qui aujourd’hui déclare que si l’on est de gauche, il faut s’allier au FN, au nom du souverainisme salvateur » [3]. Remarquons la construction alambiquée de la phrase « Guénolé dit ce qu’Onfray dit ce que Sapir dit… ». A votre âge, Monsieur Roger-Petit, les testicules sont bien descendus dans les bourses que l’on sache. Quitte à mentir, faites le plus directement. Car, je n’ai jamais écrit ni dit « (qu’) il faut s’allier au FN, au nom du souverainisme salvateur ». Ce que j’ai dit, que ce soit dans l’interview accordée à FigaroVox ou dans différentes notes sur le carnet RussEurope est très différent. J’appelle, à la suite de Stefano Fassina [4], à un front des opposants à l’Euro. J’en exclus aujourd’hui le FN mais, considérant les évolutions de ce dernier, ce qu’un autre journaliste de Challenges semble avoir lui aussi remarqué [5], je dis aussi qu’à terme cette question se posera à l’évidence [6]. Dire cependant qu’une question est posée n’induit pas sa réponse, sauf à adopter la logique inquisitoriale qui est celle, visiblement, de Roger-Petit. Quand j’écris sur la version de l’interview publiée sur Russeurope que « La présence de Jean-Pierre Chevènement aux côtés de Nicolas Dupont-Aignan lors de l’Université d’été de Debout la France est l’un des premiers signes dans cette direction. Mais, ce geste – qui honore ces deux hommes politiques – reste insuffisant. A terme, la question des relations avec le Front National, ou avec le parti issu de ce dernier, sera posée  » [7], je ne fais qu’énoncer une vérité. Oui, la question des relations avec le FN ou le parti lui succédant sera posée (notons le futur) mais le dire n’implique rien quant à la réponse qui pourra être donnée à cette question. Et ceci pour la bonne raison qu’aujourd’hui nous ne savons pas quelles seront les évolutions futures de ce parti.

Roger-Petit ne sait pas lire…

Notons aussi que le sieur Roger-Petit ne comprend visiblement pas la différence qui existe entre une « alliance » et un « front ». Pourtant, s’il se donnait la peine de lire, il verrait que j’explique très précisément ce qu’il faut entendre par un « front » [8] : « Un « front », et tout particulièrement un « front de libération nationale », implique la participation de courants extrêmement divers. La formule des « fronts de libération nationale » s’applique si l’on considère que le pays est en voie d’assujettissement par une puissance étrangère. Il est évident qu’elle implique des divergences importantes entre ses membres,… L’alliance du Parti Communiste chinois avec le Guomindang dans le « front uni antijaponais » (1936-1937 à 1945) est au contraire un exemple de cette logique des « fronts de libération nationale »…. C’est ici clairement un « front » entre anciens ennemis. »

Mais, le sieur Roger-Petit n’a visiblement pas le temps de lire. Baste, mentir prend du temps ; cela occupe…Car ce mensonge n’est pas le seul. Au paragraphe suivant de son papier cet auteur écrit : « Relisons ce que préconisent Guénolé et ses camarades du « Non de gauche » en guise de programme économique et social : sortir de Schengen, pratiquer l’immigration choisie, sortir de l’Euro… C’est le programme du FN, ni plus, ni moins » [9]. Sauf que la sortie de Schengen est demandée par d’autres partis que le FN, que l’immigration choisie figure dans le programme de l’ex-UMP rebaptisée « Les Républicains » et que la sortie de l’Euro figure au programme de très nombreux groupes et mouvements. Mais, il faut ici comprendre ce qui se passe dans la cervelle retorde de Roger-Petit. C’est un raisonnement d’amalgame, assez plaisant pour un auteur qui ne cesse par ailleurs de dire « pas d’amalgame ». Si le FN dit qu’il fait beau un bon matin, tous ceux qui ferons la même constatation seront nécessairement d’accord avec le FN. Sophisme admirable ! Et dont on voit bien l’utilité politique immédiate. Alors que se profilent des élections que les sondeurs prévoient catastrophiques pour le P« S », on cherche à déconsidérer toute opposition réelle ou potentielle à ce parti aux abois. En un sens, Roger-Petit se situe au même niveau qu’un Cambadélis, quand ce dernier prétend organiser un « référendum sur l’unité de la gauche ». Il n’est plus journaliste, il est devenu un simple militant politique.

Ce n’est pas moi qui lui en ferait le reproche, ayant été pendant une partie de ma vie militant politique. Mais, ce qu’il faut lui reprocher, c’est de se couvrir du nom de journaliste pour faire sa propagande. Qu’il aille donc la faire dans un bulletin ou un tract du P« S ». Au moins, là, les choses seront claires.

Qui fait la propagande du FN ?

Cela pose la question de savoir ce qui fait la propagande du FN, et ce qui est susceptible de lui attirer des voix. Ce ne sont nullement ce que disent, ou sont supposés dire, des intellectuels. Il faut donc rappeler des vérités que j’ai affirmées le 21 septembre sur les ondes de RMC devant Jean-Jacques Bourdin. Ce que j’ai dit que je le répète est qu’il y a aujourd’hui trois raisons très profondes qui peuvent pousser nos compatriotes à s’en remettre au vote FN.

La première raison, c’est la politique de ce gouvernement qui se prétend « de gauche » mais qui applique l’une des pires politiques de droites que la France ait connue depuis bien des années. C’est là l’origine réelle de la « confusion » dont beaucoup de gens parlent mais dont bien peu osent affronter la réalité. Le démantèlement du droit du travail tout comme des mesures économiques et sociales qui sont réactionnaires au premier sens du terme, seront tout ce qui restera de ce gouvernement.

La seconde raison est que l’ex-UMP n’apparaît pas comme une alternative à cette politique. Et pour cause ; outre les scandales multiples que ce parti traine derrière lui, outre le bilan catastrophique de son exercice du pouvoir sur lequel aucune autocritique n’a été faite (par exemple sur la Libye…), ce qu’il propose c’est d’aller plus loin, de faire encore pire, que ce que fait le gouvernement actuel. Les électeurs le sentent bien, ainsi que le militants qui se détournent de ce parti rebaptisé « Les Républicains », que ce dernier n’est nullement une alternative au pouvoir actuel.

La troisième raison est que la seule force d’opposition à gauche, le Parti de Gauche et le Front de Gauche, qui a pourtant un véritable boulevard devant lui, s’avère incapable de le prendre en raison de ses incohérences et de ses inconséquences [10]. La responsabilité de l’opposition de gauche est à la mesure de ses taches historiques. En refusant de s’y confronter véritablement, et d’assumer clairement la question de la souveraineté comme question centrale de la période politique, elle est aussi responsable de la montée électorale du FN.

Jacques Sapir pour RussEurope

RussEurope, le 24 septembre 2015

*Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l’EHESS-Paris et au Collège d’économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux. Il est l’auteur de nombreux livres dont le plus récent est « La Démondialisation » (Paris, Le Seuil, 2011).

Notes

[4On trouvera le texte français de l’appel de Fassina sur RussEurope. Cet appel figure aussi sur le blog de Yanis Varoufakis en anglais.

[5Fayolle F., « Florian Philippot, l’homme qui a dynamité le FN des Le Pen » Challenges, le 9 mai 2015.

[6J’écris ainsi dans un note datant du 23 août : « …on voit bien, aussi, qu’à terme sera posée la question de la présence, ou non, dans ce « front » du Front National ou du parti qui en sera issu et il ne sert à rien de se le cacher. Cette question ne peut être tranchée aujourd’hui. Mais il faut savoir qu’elle sera posée et que les adversaires de l’Euro ne pourront pas l’esquiver éternellement. Elle impliquera donc de suivre avec attention les évolutions futures que pourraient connaître ce parti et de les aborder sans concessions mais aussi sans sectarisme ». Sapir J., « Sur la logique des fronts  » in RussEurope, 23 août 2015.

[7Réflexions sur la Grèce et l’Europe. RussEurope, 21 août 2015.

[8Sapir J., « A nouveau sur les Fronts  », note postée sur RussEurope le 27 août 2015

[10Sapir J. « Inconséquences », note publiée sur le carnet RussEurope le 29 août 2015, et Sapir J., « Mélenchon, incohérences et responsabilités », note publiée sur le carnet RussEurope le 4 septembre 2015,

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