Accueil > Notre Amérique > Terrorisme d’Etat > Argentine > Le centre de torture de Buenos Aires ne pouvait être ignoré
Aucun responsable de l’École de mécanique de la Marine (ESMA) de Buenos Aires ne pouvait ignorer que celle-ci abritait un des principaux centres clandestins de détention et de tortures pendant la dictature militaire argentine (1976-83), a déclaré lundi une survivante de ce centre devant un tribunal espagnol à Madrid.
Par l’Agence France-Presse
Madrid, le lundi 7 février 2005
À l’occasion du procès pour génocide, terrorisme et torture qui a lieu depuis le 14 janvier à l’Audience nationale (principale instance pénale espagnole) à Madrid contre l’ex-capitaine de corvette Adolfo Scilingo, Gabriela Beatriz Daleo, qui a été détenue à l’ESMA du 18 octobre 1977 au 20 janvier 1979, a raconté en détails le fonctionnement de ce centre de torture.
Adolfo Scilingo, aujourd’hui âgé de 58 ans, fut affecté à l’ESMA de 1977 à 1978.
À la question de savoir s’il était possible qu’un quelconque responsable ait pu ignorer l’existence d’un centre clandestin dans cette école, Mme Daleo a répondu : « Absolument pas ».
Pendant plus de trois heures, Mme Daleo, militante péroniste, qui a été enlevée à l’âge de 29 ans, a décrit en détails le fonctionnement de ce centre et les tortures et humiliations qu’y subissaient les prisonniers.
Mme Daleo a décrit les trois étages de cet édifice en forme de E, où les personnes étaient détenues, évoquant le sous-sol où se trouvaient les salles de tortures et l’« avenue de la félicité » qui y conduisait, ainsi que l’avaient baptisé les tortionnaires, et d’où ils étaient extraits pour « leur dernier voyage ou disparition ».
Selon elle, les prisonniers étaient conduits à bord d’automobiles à l’ESMA, installée dans une propriété de 17 hectares dans la partie nord de Buenos Aires.
« On entendait clairement le bruit des chaînes » qui entravaient les pieds des prisonniers lorsqu’ils passaient d’un étage à l’autre pour être interrogés, si bien qu’aucun responsable qui vivait, ne serait-ce qu’une semaine dans le bâtiment, ne pouvait ignorer ce qui s’y passait, a-t-elle raconté.
Torturée et soumise à trois simulacres d’exécution, Mme Daleo est devenue par la suite une des détenues sélectionnées pour le « processus de récupération » mis en place à l’ESMA au cours duquel les prisonniers étaient utilisés « comme des esclaves », travaillant pour une publication appelée Informe Cero dont la dictature se servait comme instrument de propagande, a-t-elle encore expliqué.
Quelque 5000 des quelque 30 000 prisonniers et disparus sous le régime militaire furent internés à l’ESMA.