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30 octobre 2002

Le FMI est-il proche de l’apocalypse ?

 

Avant la crise financière en Asie du Sud-Est, l’image du FMI, c’était un peu comme du téflon. Il ne faisait rien pour attirer l’attention de la presse et celle-ci en parlait rarement. Les critiques envers le FMI n’étaient pas rares, mais on aurait dit qu’elles « n’ attachaient »
pas, elles glissaient sur la surface bien lisse, ce qui permettait à l’institution de se perpétuer dans l’ombre.

Par Soren Ambrose

Les choses ont changé à la mi-1997, avec l’effondrement économique de la Thaïlande, de l’Indonésie et de la Corée du Sud. Mais pas tout de suite, seulement après que trois économistes du courant libéral parmi
les plus respectables et les plus souvent cités eurent dressé le bilan, quelques mois plus tard, des conséquences de l’obstination du FMI à prescrire à ces pays des remèdes apparemment destinés à faire empirer la situation. Jeffrey Sachs, Professeur à Harvard, qui avait parcouru pour le compte du FMI l’Amérique du Sud, la Russie et l’Europe de l’Est, fut le premier à condamner la démarche du FMI dans l’est asiatique. Joseph Stiglitz, à l’époque Haut Responsable de l’Economie à la Banque Mondiale, critiqua également le FMI, mais ses fonctions l’obligèrent à modérer ses déclarations publiques. Paul Krugman, Professeur au MIT, attira également l’attention en quittant ses positions néo-libérales pour affirmer que le FMI était allé trop loin en Asie. Les articles que Krugman écrivit à cette époque préparèrent le terrain pour ses chroniques dans le New York Times.

On peut dire, sans craindre d’exagérer, que ces trois hommes représentent la voix de la « sagesse traditionnelle » aux Etats-Unis en matière d’économie internationale.

Dans les années qui suivirent la crise dans l’Est de l’Asie, chacun de ces trois hommes a clairement fait comprendre qu’il ne souscrivait pas totalement aux critiques qu’adressaient à l’ensemble du système
financier, au FMI et à la Banque Mondiale, certains groupes comme le « 50 Years Is Enough Network » (Réseau 50 ans ça suffit). Depuis qu’il a quitté la Banque Mondiale, le Prix Nobel d’Economie 2001 Joseph
Stiglitz a été le critique le plus cinglant, mais, pour des raisons obscures, il fait porter ses critiques uniquement sur le FMI. Il prend souvent soin de distinguer les deux institutions. Il fait l’éloge de la Banque Mondiale ou fait remarquer que son rôle est fondamentalement différent de celui du FMI. Comme Stiglitz, Krugman et Sachs disent clairement qu’ils ne s’opposent pas catégoriquement aux fondements de l’économie néo-libérale : la dérégulation, les incitations destinées aux riches et aux entreprises, le libre-échange. Néanmoins, le fait que tous intensifient leurs critiques envers le FMI, et osent transgresser des tabous fondamentaux suggère que, après des années de dénonciations émanant du mouvement pour une justice globale, la foule est en train de se réveiller et d’admettre que l’Empereur FMI est vraiment nu.

Bien sûr, les causes immédiates de cette mise en cause, c’est d’une part le spectre de « l’effondrement économique", que l’Argentine ne cesse de redéfinir et d’autre part l’apparente incapacité du FMI à restaurer la légendaire "confiance des investisseurs", ceci en dépit de l’octroi du plus gros prêt jamais accordé par le FMI - 30 milliards de dollars - alors qu’il y a peu de raisons objectives (si ce n’est l’hystérie) pour que le Brésil connaisse une crise économique. Mais la conclusion de ces économistes distingués est que les 20 années de politique néolibérale imposée au Sud débouchent sur un échec total.

Nous hésitons d’habitude à sauter dans le train des célébrités, laissant quelques personnes bien placées définir l’esprit ambiant ou la « sagesse » établie. Généralement, ces opinions, dûment relayées par les médias, constituent l’un des obstacles les plus puissants à la diffusion de points de vue alternatifs. Mais, lorsque les conclusions des personnalités rejoignent aussi manifestement les nôtres, nous ne
dédaignons pas d’utiliser le syndrome dans la lutte pour libérer le Sud de la tyrannie de l’économie impérialiste.

Rick Rowden de RESULTS a accepté de réunir les extraits suivants d’articles parus ces trois dernières semaines. Nous y voyons tomber les tabous : Sachs lance un appel, poliment, pour que les pays du Sud refusent de reconnaître la dette réclamée par les institutions
financières internationales. Krugman fait état clairement de ses doutes profonds concernant la logique néo-libérale qu’il a célébrée pendant des années. Quant à Stiglitz qui attaque violemment le FMI
dans son dernier livre, La Grande désillusion, il fait un pas de plus et commence à envisager la suppression du FMI.

De plus, nous avons la réaction de George Soros, lui qui, à l’époque de la crise en Asie du Sud-Est, n’était pas encore un commentateur public : il était trop occupé à amasser (et, grâce à sa philanthropie, à disperser) les milliards qui ont fait de lui le marchand de devises
le plus célèbre au monde. Beaucoup ont reproché à Soros d’avoir provoqué la crise financière asiatique (bien qu’il y ait aussi beaucoup perdu) avant de devenir un des derniers experts en date. C’est l’histoire du gros chat qui s’en prend au système qui l’a si bien nourri.

On trouvera également deux articles sur les crises en Amérique du Sud, destinés à montrer comment les changements dans la perception dominante se retrouvent dans les reportages en direct.

Pour toutes ces raisons, nous nous trouvons à l’orée d’une nouvelle époque. Le Sommet Mondial sur le Développement Durable de Johannesburg - ou plus précisément, la réaction populaire qu’il provoque, ainsi que les séminaires, débats, manifestations et autres
actions à l’occasion des réunions annuelles du FMI et de la Banque Mondiale à Washington fin septembre nous permettent de redéfinir le rôle de l’économie dans le monde et de préparer une véritable « révolution des valeurs » qui nous libère de la corruption indécente
révélée par une succession de scandales touchant certaines entreprises, dont l’implosion d’Enron a été le premier.

A- Joseph Stiglitz (Professeur à l’Université de Columbia. Auteur de "La Grande désillusion". Ancien Responsable des Services Economiques de
la Banque Mondiale. Conseiller Economique du Président Clinton. Prix Nobel d’Economie 2001)

« Avant, je disais que puisque nous allons avoir besoin de ces institutions, il vaut mieux les réformer plutôt que de partir de zéro. Je commence à changer d’avis » Propos recueilli récemment, dans une interview à la radio WBAI de New York (émission hebdomadaire de Doug
Henwood. Pour entendre l’original, consulter : www.leftbusinessobserver.com

« Je commence à me demander si la crédibilité du FMI n’a pas été à ce point érodée qu’il est préférable de repartir de rien. L’institution n’a-t-elle pas développé une telle résistance au changement, à l’ouverture démocratique, qu’il est temps de penser à créer de nouvelles institutions qui reflètent vraiment la réalité d’aujourd’hui, le sens plus grand de la démocratie qui prévaut de nos jours. »

« Le moment est vraiment venu de se poser à nouveau la question : faut-il réformer ou repartir sur de nouvelles bases ? »

« Starting over » (Recommencer) Financial Times, 21 août 2002.

B- Paul Krugman, Professeur au Massachussetts Institute of Technology.Chroniqueur au New York Times.

« Il y a une raison pour que la gauche ré-apparaisse au Brésil et dans la région : nous leur avons promis un jardin de roses, mais avant même la dernière crise en date, trop de gens n’ont récolté que des épines. »

« Il y a dix ans Washington assurait en toute confiance aux nations d’Amérique latine que si elles s’ouvraient aux denrées et aux capitaux étrangers, et si elles privatisaient leurs entreprises nationalisées, elles connaîtraient une très forte croissance économique. Mais cela n’a pas eu lieu. La situation en Argentine est catastrophique. Le Mexique et le Brésil, il y a quelques mois, étaient considérés comme des réussites, mais dans ces deux pays, le revenu par habitant est à peine plus élevé qu’en 1980. Et parce que les inégalités ont augmenté considérablement, la plupart des gens vivent probablement beaucoup moins bien qu’il y a 20 ans. Est-il étonnant que les gens soient lassés qu’on les exhorte à davantage d’austérité et à une plus grande discipline de marché ? »

« Pourquoi la réforme n’a-t-elle pas fonctionné comme on l’avait promis ? C’est une question difficile et gênante. Moi aussi, j’ai cru à une grande partie du Consensus de Washington. Maintenant, le moment est venu, selon l’expression de Brad DeLong de Berkeley, d’indiquer ce que je crois face au marché. Je ne crois plus que nous ayons donnés de bons conseils. Il nous faut comprendre les dirigeants politiques d’Amérique latine qui veulent tempérer l’enthousiasme pour des marchés libres en augmentant leurs efforts pour protéger les travailleurs et les pauvres. Cela me suggère que les Etats-Unis devraient être très prudents quant aux bénéfices qu’ils espèrent retirer de leur prêt.
Sauver le Brésil de la chute ne signifie pas que nous soyons en position d’exiger que l’Amérique latine se plie à nos souhaits. En fait, nous avons perdu beaucoup de notre crédibilité auprès de nos voisins du Sud. »

« The Lost Continent » (le Continent perdu), New York Times, 9 août 2002

C- Jeffrey Sachs, vient d’être nommé Professeur à l’Université de Columbia. Il était auparavant au Harvard Institute for International Development. Il est Conseiller Spécial à l’ONU.

Selon Jeffrey Sachs de l’Université de Columbia, les pays pauvres très endettés (PPTE = HIPC, Highly-Indebted Poor Countries en anglais), devraient réorienter le paiement de leur dette pour répondre à des besoins pressants sur leur marché intérieur comme la santé, l’éducation élémentaire et la lutte contre le sida.

Dans cet article paru à la mi-août dans les prestigieux « Brookings Papers on Economic Activity », Sachs avance l’idée qu’il n’y a aucune raison financière pour que les pays pauvres continuent à payer une dette extérieure qui ne s’élève qu’à quelques milliards de dollars par an.

Il ajoute : « Et personne parmi les pays créditeurs (y compris la Maison Blanche) ne croit que ces pays peuvent payer le service de la dette sans que le coût humain ne soit extrêmement élevé »
« L’argent devrait être ré-orienté et transformé en subventions destinées à répondre à des besoins sociaux de toute première urgence chez eux. Les pays pauvres devraient faire le premier pas en exigeant que tout paiement d’une dette impayée à des créditeurs officiels soit transformé en subventions destinées à lutter contre le sida. »

Article de Emad Mekay : « Jeffrey Sachs aux nations pauvres : Oubliez la dette, dépensez-la pour le Sida », Inter Press Service, 2 août 2002

D- George Soros, spéculateur sur les devises, milliardaire, philanthrope.

« L’incapacité du système financier international à remédier à la situation est le signe que ce système, tel qu’il est constitué actuellement, ne fonctionne pas correctement. Les problèmes que connaît le Brésil ne peuvent pas être imputés à une quelconque responsabilité du Brésil. La responsabilité est clairement celle des
autorités financières internationales. Récemment, ce qu’il a été convenu d’appeler le consensus de Washington a cru aux capacités d’auto-correction des marchés financiers. Cette confiance est mal placée. Depuis que les capitaux ont la possibilité de transiter librement, les crises ont succédé aux crises et le FMI a été appelé à la rescousse pour injecter des secours de plus en plus importants. Les intégristes du marché accusent le risque moral créé par les actions de renflouement initiées par le FMI. Après la crise asiatique, le FMI est passé du renflouement à la demande de caution. Le véritable risque
d’investir dans des marchés émergents est apparu alors et, depuis, on assiste au renversement du flot des capitaux de la périphérie vers le centre.

« En fait, les marchés financiers exigent qu’un prêt soir accordé en dernier ressort pour préserver la stabilité, mais ce prêt de dernier recours s’accompagne toujours d’un minimum de risque moral. Tous les pays développés ont appris cette leçon pour leur marché intérieur, mais nous avons encore à l’apprendre au niveau international. Le système actuel est bancal. Destiné à préserver les marchés financiers
internationaux, et non la stabilité des pays à la périphérie, c’est lui le responsable du rapport défavorable établi entre le risque et le retour sur investissement dans les marchés émergents.

« Les marchés financiers ont raison de tenir compte du risque considérable que l’on prend lorsqu’on réorganise la dette ou cesse le paiement. Toutes les chances sont alors là pour que la prédiction soit auto-réalisatrice. C’est pourquoi il ne faut pas laisser les marchés se débrouiller tout seuls. »

"Don’t Blame Brazil", Financial Times, 13 août 2002

E- Rapports d’Harry Rohter en Amérique du Sud, dans le New York Times.

1) L’Argentine dans le rôle de Cendrillon, par HARRY ROHTER, New York Times, 11 août 2002

BUENOS AIRES

Le Brésil s’en sort renfloué grâce à 30 milliards de dollars. L’Uruguay a reçu 1 milliard et demi de dollars, ce dont le pays avait grand besoin. Mais lorsque le Ministre des Finances Paul H. O’Neill est arrivé ici la semaine dernière pour prendre la mesure du naufrage
de l’économie du pays, tout ce qu’il avait à offrir a été le conseil donné à l’Argentine depuis le début de la crise : se serrer la ceinture davantage, et la guérison finira par arriver.

C’est ce que la plupart des économistes pensaient il y a six mois, quand l’économie de l’Argentine venait d’imploser, mais il semble qu’ils aient changé d’avis. De plus en plus d’analystes indépendants, après mûre réflexion, estiment désormais que bien des difficultés en
Argentine proviennent précisément de ce qu’elle a suivi les conseils de Washington et que s’obstiner à appliquer la même recette ne peut que faire empirer les choses.

Aux yeux de M. O’Neill et du Fonds Monétaire International, l’Argentine est la victime de sa propre prodigalité et elle doit réduire ses dépenses jusqu’à la réduction totale de son déficit. Mais Jeffrey
D. Sachs, Professeur d’Economie à l’Université Columbia, qui a été le conseiller de plusieurs gouvernements du tiers monde, compare cette recommandation à la pratique médicale moyen-âgeuse qui consistait à saigner les patients. Il remarque que les économies de pays développés comme les Etats-Unis ont abandonné ces pratiques depuis longtemps.

« Ils disent à l’Argentine de considérer la dépression comme une donnée, et puisque les impôts sur le revenu ne sont plus perçus, il leur faut réduire leurs dépenses en conséquence ». Selon le Professeur Sachs « ils se trompent lourdement. C’est de l’économie à la Herbert
Hoover »

En fait, pour les deux dernières crises économiques que connurent les Etats-Unis, l’Administration républicaine, qui était au gouvernement à cette époque, a agi exactement à l’opposé des conseils que donne M. O’Neill à l’Argentine aujourd’hui. Quand, en 1992, George Bush senior eut à faire face à une récession beaucoup moins grave que celle que connaît l’Argentine aujourd’hui, le déficit fédéral s’élevait à environ 5% du PIB. Sous Ronald Reagan en 1983, le déficit des dépenses
dépassait les 5% du PIB.

Pour le moment, les gouvernements provinciaux argentins sont accusés d’être particulièrement prodigues. Mais le Centre de Recherches Economiques et Politiques de Washington a établi que les déficits provinciaux étaient relativement peu élevés, s’élevant à 0,5 % du PIB
pour l’année 2000 et à 1 % l’année dernière, que de plus ils peuvent constituer le seul véritable stimulus pour l’économie.

Pour Mark Weisbrot, directeur du Centre, « dans une situation de récession, ces chiffres ne constituent pas une grosse dépense, d’autant plus que le gouvernement ne fait rien pour soulager la pauvreté ». Puisque l’inflation et le taux de croissance sont négatifs
en 2001, comme c’est le cas depuis plusieurs années, « cet argent a donné du tonus à l’économie »

En réalité, la plus grande partie du déficit de l’Argentine est simplement la conséquence de méthodes comptables arbitraires. Elle ne reflète pas des dépenses excessives. En privatisant le système de sécurité sociale en 1994, comme l’administration Bush est en train de le proposer aux Etats-Unis, le gouvernement argentin ne pouvait plus compter les cotisations de sécurité sociale parmi ses rentrées et elles sont sorties du budget.

Si l’Argentine n’avait pas privatisé la sécurité sociale sous la pression du FMI, son budget aurait été excédentaire ces dernières années. En fait, selon une autre recherche menée dans les premiers mois de cette année par le Centre de Recherches Economiques et
Politiques, les dépenses du gouvernement argentin sont restées remarquablement stables, atteignant 19% du PIB pendant toute la décennie 90.

Selon Joseph E. Stiglitz, l’auteur de La Grande désillusion, et Prix Nobel d’économie, « les chiffres ont été faussés artificiellement par la privatisation. En fait des coupes sombres dans les dépenses ont été
réalisées, et c’est l’un des facteurs qui ont contribué à la récession. »

C’est aussi l’avis de José Ignacio de Mendiguren, qui fut Ministre de la Production et Président du Syndicat des Industries d’Argentine. « 
Non seulement la réforme du régime de sécurité sociale a été le facteur principal qui a provoqué le déséquilibre fiscal, nous disait-il dans une interview dans ces colonnes, mais l’état a fini par être obligé de se tourner vers les fonds de pension privés pour financer le déficit causé par la création même de ce système ».

L’administration Bush ne suit pas le raisonnement des économistes et refuse d’ajuster son analyse initiale. Des fonctionnaires de l’Administration comme Otto J. Reich, Secrétaire d’Etat Adjoint aux Affaires de l’Hémisphère Occidental, continue à dire que le problème
est l’Argentine elle-même, et non les politiques économiques qui lui ont été imposées.

« Il ne faut pas considérer que l’Argentine est l’échec d’un modèle particulier » expliquait M. Reich au cours d’une conférence de presse ici, le mois dernier. Le vrai problème, à ses yeux, est que « dans certains pays ces politiques ont été mises en ouvre correctement, et,
dans d’autres, non ». Il opposa l’exemple du Salvador, qui dépend étroitement d’envois de fonds de citoyens vivant aux Etats-Unis.

Ce qui est en jeu ici, encore plus que l’administration Bush, c’est le FMI, surtout maintenant que le Brésil a reçu un prêt supplémentaire de 30 milliards de dollars et que le système bancaire de son voisin l’Uruguay est en train de vaciller. Mais le Dr Stiglitz, qui dirigeait
les Services Economiques de la Banque Mondiale à la fin des années 90, ne voit pas beaucoup d’indications laissant croire à la flexibilité ou à la créativité dans la décision du FMI d’envoyer une équipe de quatre
« sages » pour conseiller l’Argentine, tous les quatre provenant de banques centrales.

« Les dirigeants des banques centrales voudraient prétendre que l’inflation est la chose la plus importante pour promouvoir la croissance de l’économie, dit-il. Mais il n’y a absolument aucune preuve de cela », et, de toute façon, l’Argentine est aux prises avec la déflation, « que nous reconnaissons être tout aussi grave que l’inflation, si ce n’est même pire ».

Alors, pourquoi Washington continue à dire à l’Argentine d’augmenter ses compressions budgétaires au lieu de lui conseiller de relâcher les dépenses et les investissements, ce qui pourrait stimuler la croissance ? Beaucoup d’entre nous pensent que les arbitres de l’économie globale veulent punir l’Argentine pour décourager d’autres pays de penser à la cessation de paiement de leur dette. Et George Soros semble être de cet avis, lui qui a gagné des milliards de dollars en Bourse, mais qui se met à réfléchir à ce qui se passe ici
« La seule garantie qu’a le prêteur c’est les difficultés qu’aura l’emprunteur s’il ne s’acquitte pas de sa dette. C’est la raison pour laquelle le secteur privé s’est opposé aussi vigoureusement à toute mesure visant à limiter les difficultés des 37 millions de gens qui continuent à se trouver pris en otages dans une expérience d’orthodoxie économique.
New York Times, 11 août 2002

2) Les Brésiliens découvrent le coût politique de l’aide du FMI. Article de Larry Rohter

Rio de Janeiro, 10 août 2002-

Le Brésil et les autres gouvernements d’Amérique latine, ont suivi Washington dans la voie du libéralisme, pour découvrir aujourd’hui qu’ils perdent le contrôle de leur économie.

Les conséquences immédiates sont particulièrement visibles ici dans un Brésil qui se trouve en pleine élection nationale importante. Le Brésil, le plus grand pays d’Amérique du Sud, vient d’accepter un « sauvetage » d’un montant de 30 milliards de dollars accordés par le
FMI, mais au prix d’une politique très stricte imposée au prochain gouvernement. Il y a de fortes chances que la tendance de ce gouvernement soit de gauche, et qu’il promette d’améliorer la vie des pauvres oubliés dans les expérimentations de l’économie.

« N’essayez pas de nous étrangler » a dit le Président Fernando Henrique Cardoso (qui termine son mandat en janvier prochain) aux spéculateurs qui ont fait dégringoler le cours de la monnaie récemment, dans la crainte d’une cessation de paiements. Pour le
Président, le prêt apporte au Brésil l’oxygène dont le pays a besoin pour vivre et ce prêt a montré que le fonds monétaire avait un rôle important à jouer dans les pays en voie de développement.

Mais, pour certains Brésiliens, c’est le fonds qui pourrait être l’étrangleur. Le renflouement annoncé cette semaine est décrit comme le contrat le plus considérable depuis que l’administration Clinton et
le FMI avaient volé au secours du Mexique en 1995. L’intervention avait été un succès et avait été remboursée presque en une fois. Mais l’intervention au Brésil est accompagnée des contraintes inhabituelles
et précipite le créditeur dans la position inconfortable de se trouver au centre des décisions démocratiques du Brésil.

L’explication en est que 24 milliards de dollars du prêt seront accordés l’année prochaine à la seule condition que le gouvernement atteigne certains objectifs budgétaires.

« Cet accord est un élément extrêmement astucieux et subtile d’ingénierie politique, remarque Gilberto Dupas, directeur du Programme d’Etudes Internationales à l’Université de Sao Paulo. Aucun candidat ne va accepter de prendre la responsabilité de renverser brutalement les attentes », ce qui serait la conséquence du non versement des fonds par le FMI.

Après huit années d’orthodoxie libérale dont le résultat n’a été qu’une modeste croissance, le Brésil a une forte chance de changer de direction. Un sondage rendu public jeudi révèle que le candidat du gouvernement perd du terrain et que les deux candidats dans l’opposition de gauche - Luiz Inacio da Silva, connu sous le nom de
Lula, du Parti des Travailleurs, et Ciro Gomes du Parti Socialiste Populaire - recueillent plus de 30% des voix chacun. Il est possible qu’un deuxième sondage ait lieu en octobre.

Etant donné le montant du prêt, on comprend que MM. Da Silva et Gomes aient fini par accepté ce prêt sous condition.

Le renflouement était destiné à colmater la soudaine crise de confiance qui s’est manifestée par un effondrement de la monnaie, la fuite des investisseurs et l’intention du gouvernement de cesser le paiement d’une nouvelle tranche de 250 milliards de dollars de la
dette publique.

Ces craintes ont largement contribué à augmenter les bouleversements qui suivirent la crise financière en Argentine. La crise a poussé le fonds monétaire à agir, avec le soutien peu enthousiaste de l’administration Bush qui s’était opposée déjà à un apport d’argent
frais aux pays d’Amérique Latine.

Dans ces circonstances extrêmes, le FMI a promis 30 milliards de dollars, ce qui représente presque deux fois le chiffre que les analystes du marché avaient avancé.

Au sujet de cette somme accordée par le FMI, José Antonio Ocampo, Directeur de la Commission Economique de l’ONU pour l’Amérique Latine, a déclaré « Ceci va contribuer à réduire la panique financière qui menaçait de faire dégénérer la crise ». Mais il ajoute que les effets pourraient être de courte durée, et que les « conséquences sur la croissance économique sont limitées ».

L’argent frais doit être réparti sur une durée de 15 mois et à la condition qu’au 1er janvier, le gouvernement quel qu’il soit, maintienne un excédent budgétaire de 3,75 % jusqu’en 2005.

Mais les deux principaux candidats s’irritent de ce qu’ils ressentent comme une ingérence dans la souveraineté brésilienne et une intrusion dans leur capacité à tenir des promesses de campagne électorale. Guido Mantega , le principal conseiller économiste de M. da Silva, s’est plaint que le FMI essayait d’enfermer un gouvernement du Parti des Travailleurs « dans un plâtre »

« Ceci limite l’étendue de ce que nous projetons d’investir dans le social, dit M. Mantega. Si nous réduisons les taux d’intérêt et si l’excédent budgétaire est maintenu jusqu’en 2005, l’effort pour réchauffer l’économie sera vain. »

Les pénalités dans le cas de refus de se plier aux exigences du FMI sont également claires. Les Brésiliens n’ont qu’à regarder ce qui se passe chez leurs voisins en Argentine. Elle s’est enlisée pendant des
mois dans de vaines négociations destinées à restaurer sa ligne de crédit auprès du fonds.

« Quand ce sera le moment de distribuer le reste de l’argent au Brésil, parce qu’il y a des objectifs et des bilans trimestriels, dès le premier manquement, on dira à Lula qu’il n’y a plus d’argent, commente Walter Molano, analyste financier auprès de BCP Securities.
« C’est ce qu’ils ont fait en Argentine l’année dernière, en précisant qu’il n’y aurait pas de dérogation. Ils agiront de même avec la future
administration brésilienne ».

Le Brésil est une référence pour le reste du continent. Le glissement de la monnaie ici, qui a perdu presque 20 % de sa valeur le mois dernier, a été répercuté en Colombie et au Chili par des chutes similaires, et a alimenté une crise bancaire en Uruguay. La situation
ne fut résolue que lorsque l’administration Bush accorda un prêt d’urgence de 1 milliard et demi de dollars le week-end dernier.

Le conseil habituel que le fonds donne aux clients confrontés à des crises financières est de montrer l’importance d’accroître l’austérité, l’argument étant que la discipline fiscale est une condition préalable et nécessaire à la prospérité. Mais cela se traduit concrètement par une souffrance énorme pour des millions de personnes. A gauche, les critiques de l’économie libérale s’en trouvent renforcées et les gouvernements qui ont suivi les ordres de Washington s’en trouvent affaiblis.

« C’est facile de dire de là-haut qu’il faut faire des coupes sombres dans les dépenses, mais c’est difficile lorsque vous êtes un homme politique, et lorsque le taux de chômage est de 18% » dit Joseph E. Stiglitz, Prix Nobel d’Economie en 2001

L’Amérique latine « diffère des Etats-Unis qui ont un filet de protection sociale, ajoute-t-il. Virer un employé a d’énormes conséquences économiques et sociales »

De 1980 à 2000, le revenu par habitant en Amérique latine a augmenté seulement d’un dixième de point par rapport aux deux dernières décennies, c’est-à-dire à une période où les gouvernements suivaient davantage des politiques interventionnistes et protectionnistes.

Dans un rapport paru au début août, la Commission Economique pour l’Amérique latine ne prévoit aucune amélioration dans l’immédiat, annonçant que l’économie d’Amérique latine se réduira en réalité cette année de presque 1%, ceci étant dû en grande partie à l’implosion de l’économie en Argentine.

Malgré sa réticence à approuver les cessations de paiements du Brésil et de l’Uruguay ce mois-ci, l’administration Bush est toujours perplexe quant à une solution à long terme à donner au problème.

A la question posée au cours d’une conférence de presse en Argentine cette semaine, concernant la raison pour laquelle les pays d’Amérique latine rejetaient de plus en plus massivement la recette miracle de la
privatisation, la baisse des tarifs douaniers et les investissements étrangers en hausse, le Ministre des Finances Paul O’Neill répondit :
« Je n’en ai aucune idée ». Lorsqu’on lui suggéra que ces mesures ne donneraient pas les résultats attendus, il répliqua « Je ne connais pas d’autre réponse plausible. Et vous ? »

Il semble que M. O’Neill propose le libre échange comme la panacée pour répondre aux difficultés de la région aujourd’hui. Il se réfère constamment à l’approbation cette semaine par M. Bush de la législation sur la promotion du commerce et les possibilités qui s’ouvrent. Mais les responsables de l’Amérique latine estiment la
formule aussi simpliste que les nombreuses déclarations précédentes de M. O’Neill concernant la région.

« Notre situation ici en ce moment est tellement grave que les banques ne veulent même plus nous donner de crédit à l’exportation ». C’est ce qui se passe même lorsque les banques ne courent aucun risque, ajouta
un haut fonctionnaire argentin, après le départ de M. O’Neill.

« Si toutes nos économies s’effondrent et doivent compter sur le soutien à vie du FMI » dit-il « vous ne trouverez personne qui voudra encore faire du commerce avec nous. »

F- Pour terminer, quelques mots de Stiglitz, extraits de son livre LaGrande désillusion ( 2002)

« Autrefois des thèmes comme celui des emprunts destinés à un ajustement structurel ou les quotas de bananes n’intéressaient que peu de gens. Aujourd’hui, à 16 ans les gosses des banlieues ont des avis prononcés sur des Traités aussi ésotériques que le GATT (accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) et l’ALENA accord de libre échange nord-américain). Les manifestations de rue sont à l’origine d’une profonde introspection chez les dirigeants.Avant, il y
avait peu d’espoir de changement, et nulle part pour se plaindre.Ce sont les syndicalistes, les étudiants, les écologistes, les citoyens ordinaires qui, en manifestant dans les rues de Prague, Seattle, Washington et Gênes ont inscrit le besoin de réformes au calendrier des pays développés. »

Contact : 50years@50years.org

Participez aux manifestations contre la Banque mondiale et le FMI du 25 au 29 septembre à Washington DC http://sept.globalizethis.org

Soren Ambrose. "50 Years is Enough"

Traduction : Hélène Trocme et Christine Pagnoulle. coorditrad@attac.org traducteurs bénévoles (*)

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