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7 juin 2012

La double bonne affaire du chômage. Jorge Majfud

par Jorge Majfud *

 

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Les pauvres chômeurs et improductifs qui vivent de l’aide de l’État ne sont pas en réalité une mauvaise affaire pour les grandes entreprises. Ils aident à maintenir pas seulement les bas salaires, comme c’ était déjà le cas au XVIIIe siècle, mais, de plus, dans notre civilisation matérialialiste, ils sont de parfaits consommateurs. L’aide que ces pauvres chômeurs reçoivent de l’État est entièrement destinée à la consommation de biens de base ou de distraction et dis-track-tion, ce qui signifie qu’ainsi les megaentreprises continuent de faire une bonne affaire avec l’argent des contribuables. Bien sûr, tout connaît une limite.

D’un autre côté, cette réalité sert une critique ou un discours en principe acceptable et enkysté dans la conscience populaire du monde riche, produit par le bombardement médiatique : tandis que les grandes compagnies produisent (dans tous les sens du terme) et génèrent des postes de travail, les paresseux profitent d’elles à travers l’État. Les grandes compagnies sont les vaches sacrées du progrès capitaliste et l’État avec ses paresseux sont les vices qui empêchent l’accélération de l’économie nationale.

En première instance c’est vrai. Ce mécanisme maintient non seulement une culture de la paresse dans les classes sociales les plus basses attendant cette aide de l’État (quand existe un système de sécurité sociale comme aux États-Unis) mais de plus nourrit la haine des classes laborieuses qui doivent se résigner à continuer de payer leurs impôts pour entretenir cette part de chômeurs qui de façon basique représentent une charge et aussi une menace permanente d’une plus grande criminalité et de plus de dépenses en prisons. Ce qui est aussi vrai, puisqu’il est plus probable qu’un chômeur professionnel se consacre à une activité criminelle qu’un travailleur actif.

Cette haine de classes maintient le statut quo et, ainsi, l’argent continue de circuler de la classe travailleuse jusqu’à la classe exécutive, entre d’autres moyens, via les paresseux - chômeurs. Si ces chômeurs étaient dans le circuit du travail, ils consommeraient probablement moins et exigeraient de meilleurs salaires et de l’éducation. Ils seraient mieux organisés, ils n’auraient pas autant de ressentiment pour ceux qui se lèvent tôt pour aller à leu travail, et seraient moins victimes de la démagogie des hommes politiques populistes et des sectes patronales qui sont, en définitive, les propriétaires du capital et, surtout, du know-how social — les know-why et les know-what sont insignifiants.

Pour quelqu’un qui doit vendre un minimum annuel de tonnes de sucre à l’industrie de l’alimentation, pour le dire d’une certaine façon, un travailleur ne sera jamais une meilleure option qu’un chômeur entretenu par l’État. Pour les entrepreneurs de santé, non plus. Quelques études récentes indiquent que la consommation de sucre dans les limonades est aussi préjudiciable pour le foie que la consommation d’alcool, puisque le foie doit de toute façon métaboliser le sucre, donc prendre un soda, en dernier ressort et sans considérer les problèmes de conduite, c’est la même chose que boire du whisky (Nature, Dr. Robert Lustig, Univ. of Californie). Un Coca-Cola n’a même pas le bénéfice qu’a le vin pour la santé. Cependant, durant les dernières années la proportion de sucre dans les boissons et la quantité que chaque individu consomme a augmenté dan le monde entier, au désespoir de notre organisme qui a eu seulement le temps d’évoluer pour tolérer le sucre des fruits, et pour une saison par an. Les spécialistes considèrent que cette augmentation de la consommation est due à la pression politique des compagnies qui sont impliquées dans la commercialisation du sucre. Comme conséquence, aux États-Unis et dans beaucoup d’autres pays nous avons des populations de plus en plus obèses et malades, ce qui soit dit en passant signifie de plus grands gains pour l’industrie de la santé et des laboratoires pharmaceutiques.

Mais ainsi fonctionne la logique du capitalisme tardif, qui est la logique mondiale d’aujourd’hui : s’il n’y a pas de consommation il n’y a pas de production et sans celle-ci, il n’y a pas de profits. Ce serait beaucoup plus salutaire pour les consommateurs si les vendeurs d’aliments à coups de shocks délicieux de sel-sucre, attaquaient chaque consommateur avant d’entrer à un supermarché. Mais ceci, comme l’augmentation d’impôts, est politiquement incorrect et trop facile à visualiser de la part des consommateurs. Mon attention a toujours été attirée par le fait universel que les toxicomanes volent et tuent des personnes honnêtes pour acheter de la drogue et ne volent pas, ni n’attaquent pas les vendeurs de drogues eux mêmes, ce qui serait un chemin plus direct et immédiat pour une personne désespérée. Mais la réponse est évidente : c’ est toujours plus facile d’attaquer un travailleur honnête qu’ un délinquant qui connaît l’histoire. En général, le susdit est presque impossible, au moins pour un consommateur commun.

L’objectif primaire de toute entreprise ce sont les profits et tout le reste ne sont que des discours qui essaient de légitimer quelque chose qui ne peut pas être changé dans la logique purement capitaliste. Quand cette logique fonctionne sans limites, cela s’appelle progrès. Les compagnies progressent et comme conséquence les individus progressent — vers la destruction propre et autre.

Récemment la ville de New York a interdit la vente de bouteilles gigantesques de soda en alléguant qu’ils stimulaient la consommation excessive de sucre. Ce type de mesures ne seraient jamais prises, ni même proposées, par une entreprise privée dont l’objectif est de vendre, à moins qu’elle ne vende de l’eau minérale. Mais dans ce cas l’interdiction explicite d’une entreprise sur l’autre irait contre les lois du marché, raison pour laquelle cette lutte se produit normalement selon les lois de Darwin, où les plus forts dévorent les plus faibles.

Ces limites à la « main invisible du marché » seuls les gouvernements peuvent les établir. La même chose est arrivée avec la lutte contre le tabagisme. Les gouvernements ont l’habitude d’être infestés, contaminés par les lobbies des grandes entreprises et ont l’habitude de répondre à leurs intérêts, mais ils ne sont pas des monolithes et de temps à autres ils se souviennent leur raison d’être selon les préceptes modernes. Alors ils se souviennent qu’ils existent pour la population, et pas le contraire, et agissent en conséquence en remplaçant les profits par la santé collective.

La liberté n’a pas progressé par les groupes d’entreprises et de sociétés financières mais malgré celles-ci. Elles ont progressé au cours de l’histoire par ceux qui se sont opposés aux pleins pouvoirs hégémoniques ou dominants du moment. Il y a plusieurs siècles ces pleins pouvoirs étaient les églises ou les États totalitaires, comme les anciens rois et leurs aristocraties, comme l’Union soviétique et ses satellites. Depuis quelques siècles jusqu’à aujourd’hui, de plus en plus, ces pleins pouvoirs résident dans les entreprises qui sont celles qui possèdent le pouvoir sous forme de capitaux. Toute vérité qui sort des grands médias sera contrôlée de façon directe ou subtile – par exemple, à travers l’autocensure — par ces grandes signatures, qui sont celles qui font vivre les médias à travers la publicité. Les médias ne survivent plus, comme au XIXe siècle et une grande partie du XXe siècle, de la vente des exemplaires. C’est-à-dire les grands médias dépendent chaque fois moins et, par conséquent, chaque fois doivent moins à la classe moyenne et travailleuse. L’Ère digitale pourra un jour inverser ce processus, mais pour le moment les individus isolés se limitent à reproduire les informations et récits sociaux préfabriquées par les grands médias qui ne vivent que de la publicité des grandes entreprises et des multinationales. C’est-à-dire les sur-moi sociaux. Le contrôle est indirect, subtil et implacable. Toute chose qui va contre les intérêts des annonceurs signifiera le retrait de capitaux et, donc, la décadence et la fin de ces médias, qui laisseront leur place à d’autres pour accomplir leur rôle de marionnettes.

A quelques exceptions, ni les pauvres ni les travailleurs ne peuvent faire du lobby au parlement. En temps d’élections, ce sont les multinationales qui mettront des milliards pour faire élire un candidat ou l’autre. Aucun candidats ne mettre à cause la réalité basique qui soutient l’existence de cette logique mais n’importe qui parmi eux qui est choisi et tout de suite élu — ou vice versa — sera hypothéqué dans ses promesses quand il entrera en fonction et devra répondre en conséquence : aucune entreprise, aucun lobby ne met de millions de dollars quelque part sans considérer cela comme un investissement. S’ils les mettent pour combattre la faim en Afrique ce sera un investissement moral, « ce qui ont en trop », comme disait Jésus en se référant aux aumônes des riches. S’ils les mettent sur un candidat présidentiel ce sera, évidemment, un investissement d’un autre type.

Le pouvoir disproportionné de ces organismes, nombreux secrets ou discrets sont le pire attentat à la démocratie dans le monde. Mais peu pourront le dire sans être étiqueté comme idiots. Ou ils apparaîtront dans quelques grands médias porte-parole de l’establishment, parce que tout milieu qui se vante de démocratique devra payer un impôt à son hégémonie en permettant que s’infiltrent quelques opinions vraiment critiques. Cela, clairement, sont exceptions, et entreront en conflit avec un public habitué au sermon quotidien qui soutient le point de vue contraire. C’est-à-dire, ils seront considérés comme des produits infantiles de ceux qui ne savent pas « comment fonctionne le monde » et qui défendent les paresseux chômeurs qui vivent de l’État, tandis que celui-ci vit de et punit les grandes entreprises les plus heureuses. Surtout dans des temps de crise, l’État les punit avec des réductions d’impôts, prêts sans échéance et sauvetages sans limites.

Depuis la dernière grande crise économique de 2008 aux États-Unis, par exemple, les grandes entreprises et les corporations n’ont pas arrêté d’augmenter leurs profits malgré une faible réduction de l’emploi et un cheval de bataille pour l’opposition au gouvernement. Les économistes les plus consultés par les grands médias appellent cela « augmentation de la productivité ». C’est-à-dire avec moins de travailleurs on obtient de plus grands bénéfices. Les travailleurs qui restent en trop, conséquence de l’augmentation de productivité sont dérivés vers la sphère de l’État maudit qui doit assurer que — bien que démoralisés ou comme — ils continuent de consommer avec l’argent de la classe moyenne pour augmenter plus encore les profits des marchands des élites dominantes qui, sans payer les salaires mais sans arrêter de leur vendre le même bibelot et le même soda sucré et les mêmes chips salés, verront augmentés encore plus l’efficacité, la productivité et les profits de leur admirablement heureuses entreprises.

Nous pouvons appeler tout ce mécanisme pervers « la double affaire du chômage » ou « les miracles des crises financières ».

Jorge Majfud, le 4 juin 2012.
Jacksonville University

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

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El Correo. Paris, le 7 juin 2012.

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