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7 septembre 2014

L’OTAN va-t-elle libérer le Djihadistan ?

par Pepe Escobar *

 

Conduis ton char et ta charrue
Par-dessus les ossements des morts …
William Blake, « Le mariage du ciel et de l’enfer »


Le calife Ibrahim, alias Abou Bakr al-Baghdadi, dirigeant autoproclamé de l’État islamique, l’ancien État islamique en Irak et au Levant, a tout un sens des relations publiques. Au moment même où démarrait le programme à l’horaire, le sauvetage de l’Ukraine et de la civilisation occidentale contre l’Empire du mal remixé (la Russie) par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, sur le plan rhétorique du moins, voilà que le calife, faisant montre (au poignet) de sa grande sagesse, intervient de nouveau en présentant (Quoi d’autre ?) un nouvel épisode de « faisons rouler des têtes ».

L’annonce a probablement soulevé des doutes, jusqu’à ce que les services du renseignement étatsuniens concluent solennellement que l’État islamique (EI) avait vraiment décapité un autre journaliste américain sur vidéo (« Un acte de violence horrible » dixit le président étatsunien Barack Obama).

Puis voilà que de but en blanc, le calife double la mise, en proclamant au monde entier que sa prochaine cible sera nul autre que le président russe Vladimir Poutine. Se faisait-il le porte-parole du prince saoudien Prince Bandar ben Sultan, alias Bandar Bush, récemment ostracisé ?

En théorie, tout devrait se régler. Le calife devient un sous-traitant de l’Otan (on peut dire qu’il s’y est déjà mis d’une certaine façon). Le calife décapite Poutine. Le calife libère la Tchétchénie rapidement (par opposition à l’Otan enfoncée dans un bourbier embarrassant en Afghanistan). Le calife, un coup parti, attaque les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Le calife devient l’éminence grise de l’Otan. Puis Obama cesse de se plaindre que ses coups de fil à Poutine tombent toujours sur sa boîte vocale.

Ah, si la géopolitique était aussi simple qu’un film à succès mettant en scène des superhéros de Marvel Comics.

Le calife devrait toutefois savoir, même s’il est en bonne partie le produit de l’Occident, avec une contribution significative du Conseil de coopération du Golfe (CCG) sous forme de pétrodollars liquides, que l’Otan ne lui a jamais promis un jardin de roses.

De façon prévisible donc, les ingrats Barack Obama et David Cameron, le Premier ministre britannique (ces deux là oui, parce que la « relation spéciale » est tout ce qui compte au sein de l’Otan, les autres n’étant que des faire-valoir) ont juré d’aller aux trousses du calife en montant une grande (en fait, pas si grande que ça) « coalition des volontaires », formée des suspects habituels du CCG, plus la Turquie et la Jordanie, pour bombarder le Kurdistan irakien, une partie de l’Irak sunnite et même la Syrie. Après tout, c’est le président syrien « Bachar al-Assad doit partir », ou plutôt « la brutalité d’Assad », pour reprendre la formulation de Cameron, que visent vraiment les actions du calife.

Tout cela au nom de la Guerre mondiale contre le terrorisme et de sa liberté immuable à jamais.

Il faut stopper le calife slave

Le secrétaire-général sortant de l’Otan, Anders « Fogh la Guerre » Rasmussen, était un peu ébranlé. Après tout, ce sommet de l’Otan au Pays de Galles devait être le « moment crucial » où l’Otan, au faîte de sa rhétorique de Guerre froide 2.0, devait porter secours aux « alliés », les 28 au complet, face à la sombre morosité de leur insécurité. La réplique du glorieux Eurofighter Typhoon déployée devant l’hôtel du sommet de l’Otan à Newport, au sud du Pays de Galles, en dit d’ailleurs long à ce sujet.

Pour compléter, le méchant calife slave, Vlad Poutine lui-même, a élaboré un plan de paix en sept points afin de régler le bourbier ukrainien, au moment même où la lamentable armée de Kiev est réduite en bœuf Stroganov par les fédéralistes/séparatistes dans le Donbass. Le président ukrainien Petro Porochenko, qui, jusqu’à hier encore, poussait des hurlements (Invasion !) jusqu’à s’en arracher les poumons, a laissé échapper de longs soupirs de soulagement. Puis il a révélé, en passant, que Kiev allait recevoir des armes de haute précision d’un pays anonyme, qui ne peut être que les États-Unis, le Royaume-Uni ou la Pologne.

Sauf que tout cela pose problème. Contre qui l’Otan va-t-elle défendre la civilisation occidentale, si la menace que constitue « l’agression russe » se dissout dans une feuille de route menant à la paix ?

Ils pouvaient bien avoir la mine plutôt déconfite, ces 60 chefs d’État et de gouvernement, accompagnés de leurs ministres de la Défense et des Affaires étrangères, qui ont envahi en douceur « l’anneau d’acier » protégeant Newport contre des hordes de protestataires.

Plus de onze ans après l’opération Choc et stupeur, nous vivons encore dans un monde rumsfeldien. C’est à l’ancien chef du Pentagone, David Rumsfeld, sous la présidence de George « Debeliou » Bush, que l’on doit le concept de « vieille Europe » et de « nouvelle Europe », la première représentant les mauviettes vénusiennes, la seconde, les Martiens virils.

La « nouvelle Europe » a appuyé sans réserve l’opération Choc et stupeur, puis l’invasion et l’occupation de l’Irak qui ont suivi. Aujourd’hui, elle soutient (supplie en fait) l’Otan pour qu’elle vienne à bout de la Russie.

Pour sa part, la « vieille Europe » a tenté du moins de sauver un espace de négociation avec Poutine. Cette chère prudence, démontrée surtout par Berlin, a fini par aboutir au plan de paix de Poutine.

Juste au cas où, pour ne pas trop froisser l’Empire du Chaos, Paris a annoncé qu’elle ne livrera pas à Moscou, comme prévu, le premier des deux navires porte-hélicoptères Mistral. L’Otan ne s’est pas fait prier non plus, pour durement condamner la Russie à propos de l’Ukraine, et l’Union européenne a renchéri en imposant d’autres sanctions.

Quant à Fogh la Guerre, c’était prévisible, il a continué à jongler avec sa rhétorique digne de « Mars attaque ! » [1], en blâmant Moscou pour tout. L’Otan n’est rien d’autre qu’une force d’apaisement innocente, puissante et solide. Mais l’Otan n’est pas assez insensée pour commencer à dépeindre la Russie comme une ennemie déclarée.

Comme l’a rapporté Asia Times Online, au mieux, l’Otan va entraîner les forces de Kiev, leurs exploits dans le Donbass en ayant révélé le besoin criant. Mais il n’y aura pas « d’intégration » de l’Ukraine, malgré toute l’hystérie déployée par Kiev, ainsi que par la Pologne et les pays baltes, qui veulent des bases permanentes. Le nouvel élément sera la Force de réaction remixée de l’Otan qui, en passant, n’a jamais été utilisée par le passé.

La Force de réaction s’accompagne même de ce slogan accrocheur : « voyager léger et frapper fort ». Un bataillon comptant 800 membres pourra ainsi être déployé en deux jours et une brigade comptant 5 000 membres pourra l’être entre cinq et sept jours. Or, ce qui est considéré comme « voyager léger » ne suffira guère à empêcher le calife d’annexer de larges pas du Djihadistan avec ses étincelantes Toyota blanches. Quant à la notion de « frapper fort », demandez aux Pachtounes de l’Hindou Kouch de vous éclairer à ce sujet.

Le sommet du pays de Galles a donc accouché de la Force de réaction, d’une « rotation » permanente et de bases permanentes avancées pour « protéger » l’Europe centrale et de l’est, en plus d’obliger tout le monde à cracher davantage de liquide (rien de moins que 2 % du produit intérieur brut de chacun des 28 pays membres, d’ici 2025). Tout cela au beau milieu de la troisième récession à survenir en Europe dans les cinq dernières années.

Comparons maintenant le budget militaire global de l’Otan, qui s’élève à la somme stupéfiante de 900 milliards de dollars (75 % de toutes les dépenses étant monopolisées par les États-Unis), à celui de la Russie, qui n’est que de 80 milliards de dollars. Pourtant, Moscou représente la « menace ».

Il est superflu d’ajouter que, malgré tout le bruit et la fureur, le sommet du Pays de Galles n’a pas réussi à étendre l’Otan sur un divan freudien, pour analyser, sous forme de monologue incessant, son échec lamentable en Afghanistan et en Libye.

En Afghanistan, les Talibans tournent autour des bases de l’Otan et réussissent à « frapper fort », en lui sapant le moral, jusqu’à ce qu’elle soit reléguée aux oubliettes. Un bel exemple de Guerre mondiale contre le terrorisme menée par l’Otan.

En Libye, L’Otan a créé un État en déliquescence, ravagé par les milices, tout en clamant avoir apporté la « paix ». Un bel exemple de « responsabilité de protéger » assumé par l’Otan.

L’Otan va-t-elle libérer le Djihadistan ? Le Pentagone n’en n’a rien à cirer. Le Pentagone veut une Guerre mondiale contre le terrorisme éternelle. Les groupes de réflexion étatsuniens se réjouissent que l’Otan ait trouvé une « motivation renouvelée » et que sa survie à long terme soit maintenant assurée, grâce à une « menace rassembleuse » (comprendre : la Russie).

Le calife ne tremble pas vraiment de peur dans ses bottes du désert Made in USA. Il rêve même de se mesurer au calife slave. Comment se fait-il que Marvel Comics n’ait jamais pensé à cela ?

Pepe Escobar pour l’« ATol »

* Pepe Escobar est un journaliste brésilien de l’Asia Times et d’Al-Jazeera. Pepe Escobar est aussi l’auteur de : « Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War » (Nimble Books, 2007) ; « Red Zone Blues : a snapshot of Baghdad during the surge » ; « Obama does Globalistan  » (Nimble Books, 2009).

Traduit de l’anglais pour vineyardsaker.fr : par Daniel

Version orignale : « Will NATO liberate Jihadistan ? », Asia Times, le 5 septembre 2014.

El Correo. Paris, le 7 septembre 2014.

Notes

[1« L’Otan attaque ! », le Saker français, 05-09-2014

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