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11 janvier 2022

Dette extérieure argentine :
les Etats-Unis sont le principal responsable du piège via le FMI

Les États-Unis se lavent les mains et demandent plus d’ajustements

par Alfredo Zaiat

 

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L’insolite prêt de 57 milliards de dollars, dont près de 45 millions ont été déboursés, au gouvernement Macri était une décision politique exclusive des États-Unis sous le mandat de Donald Trump. En tant que patron du FMI, il a subordonné les autres puissances économiques pour l’accompagner. Désormais, les Etats-Unis ne se sentent pas concernés par le fiasco et appellent à un ajustement plus rapide du déficit public. Qui est qui dans cette histoire dramatique pour l’Argentine, de Steven Mnuchin, David Lipton, Janet Yellen, Geoffrey Okamoto jusqu’à Larry Fink du puissant BlackRock.

Les propriétaires du FMI sont les puissances économiques et, au sein de ce groupe restreint, le principal patron ce sont les États-Unis. L’orientation du pouce, vers le haut ou vers le bas, pour octroyer des prêts, définir de nouveaux programmes ou pour tout ce qui concerne l’organisation multilatérale est décidée par les États-Unis, surtout lorsqu’il s’agit de leur zone d’influence (Amérique Latine), tandis que l’Allemagne fait de même avec la sienne (Europe, comme par le passé dans le cas grec).

C’est une définition fondamentale pour comprendre la dynamique de négociation d’un accord avec le FMI. Si l’on ne saisit pas la dimension que le FMI n’est pas seulement une techno-bureaucratie mais qu’il est, fondamentalement, une organisation du pouvoir et que les États-Unis sont le chef de file de cette structure de puissance mondiale, dans laquelle la puissance financière internationale est hégémonique, n’importe quelle analyse de l’accord avec l’Argentine reste déplacée ou avec une compréhension fragmentée.

On n’a pas besoin d’un réseau d’espionnage illégal comme celui mis en place par le gouvernement de Mauricio Macri pour détecter quelle est la position des États-Unis dans les négociations entre le gouvernement de Alberto Fernández et le FMI. Elle est exposée quotidiennement par le réseau de médias de droite alignés, avec plus ou moins de déférence, sur les intérêts géopolitiques US. Ils le font avec des publications quotidiennes d’articles sur le danger de l’expansion de la Chine, la situation politique au Venezuela, au Nicaragua et à Cuba et, ces jours-ci, avec la présidence argentine de la Celac comme contrepoids à l’OEA, une organisation dominée par les États-Unis. La liste continue avec le lobby en faveur des vaccins d’origine étasunienne et avec tout autre domaine d’intérêt économique, technologique et de contrôle régional étasunien, comme l’extension du réseau 5G.

Sur la question précise de l’accord avec le FMI, ils se font les porte-parole bienveillants de la position des États-Unis.

Une fois ce contexte défini, dans le cadre actuel des négociations de refinancement de la dette avec le FMI, les États-Unis, avec leurs alliés traditionnels, rejettent un aspect central du programme argentin : parvenir à l’équilibre budgétaire en 2027, alors qu’ils proposent que ce soit en 2024.

Ce n’est pas une différence mineure. La première voie budgétaire est un pari pour essayer de maintenir un rythme de croissance économique dans le but d’améliorer les revenus du plus grand nombre, tandis que l’autre conduit à un ajustement récessif fort avec pour conséquence un plus grand excédent de dollars pour garantir le paiement de la dette des créanciers privés et celui du FMI lui-même.

Débat technique et définition géopolitique

L’aspect le plus visible de l’intervention du Fonds est lié à la tâche technique d’être un auditeur des intérêts des créanciers privés, conditionnant les plans économiques des débiteurs pour assurer la génération des dollars nécessaires pour faire face aux échéances du capital et des intérêts.

Dans le cas argentin, en outre, cet audit est pour son propre crédit, qui s’élève à près de 45 milliards de dollars, qui par son montant est devenu le créancier individuel le plus important avec l’attribut supplémentaire d’être privilégié, puisque dans le refinancement de cette dette, il n’y a pas de possibilité de réduction de capital, de réduction de taux d’intérêt ou d’extension de la durée à plus de 10 ans, comme c’est le cas dans les restructurations avec des créanciers privés.

Un autre facteur peu évoqué renvoie au fait que le Fonds est un élément clé pour subordonner les pays endettés à la stratégie globale de la géopolitique des États-Unis, à laquelle se joignent ses plus puissants alliés (Japon, Canada, entre autres).

Concrètement, s’agissant de la coresponsabilité du FMI pour le prêt inédit à Macri, la bonne chose à faire devrait être de se concentrer sur le rôle que les États-Unis ont joué pour le promouvoir et l’autoriser, et les raisons qu’ils ont aujourd’hui d’exercer une fermeté qui a fait défaut auparavant.

Le FMI en tant qu’institution multilatérale est co-responsable du fiasco du prêt à Macri, mais en fait le principal co-responsable de ce désastre a été les États-Unis avec les autres puissances économiques agissant du côté des patrons.

Les États-Unis n’admettent leur culpabilité

En ce sens, ce n’est pas anodin que celui qui était le numéro deux du FMI, quand Christine Lagarde était à la tête du FMI, l’Etasunien David Lipton, a d’abord résisté au prêt demandé par le gouvernement de Macri mais sur ordre direct du secrétaire au Trésor de l’époque, Steven Mnuchin, de l’administration Donald Trump, a fini par l’octroyer.

Lipton est parti du FMI lorsque Lagarde a été promu à la tête de la Banque Centrale Européenne (BCE) et il est aujourd’hui conseiller de l’actuelle secrétaire au Trésor, Janet Yellen, et maintient la même dureté dans les relations avec l’Argentine.

La sévérité des Etats-Unis avec le programme économique se poursuit au sein du conseil d’administration du FMI, et c’est pourquoi c’est l’un des membres qui a rejeté la partie de l’auto-révision du [crédit] stand-by qui déclare que le staff technique aurait dû recommander avec plus de fermeté la mise en œuvre du contrôle du taux de change et la restructuration de la dette avec le secteur privé.

Macri n’a mis en place aucune des deux mesures et, de même, le FMI n’a pas arrêté les décaissements destinés à faciliter la sortie de la dette argentine par les fonds internationaux et la formation d’actifs étrangers.

Avec l’arrogance de se savoir propriétaire du FMI, les États-Unis n’admettent aucune faute dans l’échec du programme convenu avec Macri et rejettent toute responsabilité sur l’Argentine.

C’est pourquoi le FMI exige un ajustement budgétaire plus rapide de l’économie, convaincu qu’il n’ y a aucune raison d’être flexible même dans un contexte économique mondial de pandémie, puisqu’il pense que les responsables de la réparation des erreurs sont exclusivement les Argentins.

C’est ainsi que fonctionne la logique du pouvoir mondial et, surtout, celle du pouvoir financier, qui aux États-Unis sont séparés par un fil invisible.

Qui est qui

Le crédit éclair accordé au gouvernement de Mauricio Macri est la preuve que la question géopolitique est au-dessus des aspects techniques. Les États-Unis ont autorisé le plus gros prêt accordé à un pays pour des raisons géopolitiques sans aucune solvabilité technique du programme économique : l’objectif était d’empêcher l’effondrement d’une administration de droite alliée qui promettait d’arrêter la progression du « populisme », identifié comme l’option politique qui ouvre la porte de l’Amérique Latine à ses deux principaux « ennemis » dans la répartition du pouvoir mondial : la Chine et la Russie.

Il n’y a pas eu de discussions techniques rigoureuses ni de controverses au niveau politique en 2018. Macri a demandé le prêt en mai de la même année pour éviter le défaut de paiement sur la dette en devises, ce qui aurait affecté les grandes banques et les fonds d’investissement internationaux, et en quelques semaines, le 20 juin, il a reçu l’approbation d’une ligne d’attente pour 50 milliards de dollars. Telle était la pertinence politique de cette aide financière alors qu’en quelques mois ce programme avait déjà échoué et, malgré cela, il fut rapidement renouvelé pour un montant plus important : 57 milliards de dollars.

Au stade actuel des négociations, il existe un plan économique d’une relative cohérence avec un ordonnancement progressif du profil de maturité de la dette, mais sans soumission géopolitique, bien qu’il n’y ait pas de distanciation ou de rupture avec le gouvernement des États-Unis. Bien que le chemin économico-financier devrait être la chose la plus importante, les États-Unis retardent toujours l’accord.

En la actual instancia de negociación existe un plan económico de relativa consistencia con ordenamiento paulatino del perfil de vencimientos de la deuda, pero sin sumisión geopolítica aunque no hay distanciamiento ni ruptura con el gobierno de Estados Unidos. Pese a que el recorrido económico-financiero debería ser lo más importante, Estados Unidos igual está demorando el acuerdo.

Cela reflète la prééminence de l’aile politique dure de l’administration Biden, qui est la même que celle de Donald Trump. Le numéro deux du FMI est pour l’instant l’Etasunienn Geoffrey Okamoto, qui a remplacé David Lipton et conserve la même dureté lorsqu’il aborde le cas argentin. Okamoto quittera ses fonctions et sa place sera pour Gita Gopinath à partir du 21 janvier prochain.

La séquence Trump-Mnuchin-Lipton a conduit à l’approbation politique immédiate du prêt à Macri, en revanche aujourd’hui l’accord avec le gouvernement d’Alberto Fernández s’étire dans le temps et finira par se définir dans la ligne politique étasunienne Biden-Yellen-Lipton-Okamoto-Gopinath. Comme on peut le voir, Lipton est le fonctionnaire qui se répète dans un et un autre chapitre de cette histoire.

Le chaos brésilien de Bolsonaro joue en faveur

On suppose qu’il conviendrait au deux parties de définir un nouveau programme de Facilités Etendues qui implique le refinancement de la dette à dix ans, avec cinq années de remboursements relativement gérables pendant que l’économie se développe, concentrant les grandes échéances dans les cinq années restantes à partir de 2027.

Pour l’économie argentine, l’accord permettra d’éclaircir un facteur financier perturbateur, mais avec de nombreuses conditions pour la politique économique. Pour le FMI, il s’agira de tourner la page la plus sombre de son histoire d’aide financière aux pays, tout en lui permettant de devenir un auditeur permanent de l’économie locale.

Cependant, dans le jeu de pouvoir, cette linéarité analytique peut se heurter à des intérêts qui relativisent les aspects techniques d’un programme de Facilités Élargies.

Il y a d’autres questions qui interviennent dans la négociation et c’ est de savoir si les États-Unis tendent la main pour conclure l’accord ou poussent directement l’économie argentine dans l’abîme. Cela ne serait pas la première fois : ils l’ont fait avec les gouvernements de Raúl Alfonsín et de Fernando de la Rúa.

Deux facteurs opposés agissent sur la question géopolitique. D’une part, la pression des États-Unis pour éloigner les intérêts économiques de la Chine dans la région, dont l’Argentine ne peut pas se passer en raison des besoins urgents d’investissement et de financement fournis par la puissance asiatique, alors que les États-Unis le font au compte-gouttes et avec de nombreuses conditions politiques et économiques.

Dans le même temps, les États-Unis ne veulent pas ajouter davantage d’instabilité dans la région, compte tenu de l’imprévisibilité de l’administration Bolsonaro au Brésil. Pour défendre leurs propres intérêts en Amérique Latine, les Etats-Unis doivent empêcher l’Argentine, l’autre puissance sudaméricaine, de sombrer dans une spirale d’instabilité politique, économique et sociale.

Larry Fink et les grands fonds jouent contre

Cependant, dans ce jeu de tensions géopolitiques croisées de la puissance mondiale intervient également un front financier complexe, qui a pour protagonistes de grands fonds d’investissement (BlackRock, Ashmore, Fidelity, Allianz, Prudential, Templeton, entre autres). Ces puissants acteurs de la finance mondiale ont été durement touchés par les actifs argentins, d’abord avec le festival de la dette et de la méga-dévaluation qui a suivi de Macri, puis avec la restructuration de la dette étrangère privée virtuellement en défaut menée par le ministre argentin Martín Guzmán.

Non seulement ils ont dû amortir une réduction de capital, une réduction du taux d’intérêt et une prolongation des délais, conditions qui ont été endossées par le FMI dans une alliance tactique avec la position argentine, mais les nouvelles obligations qu’ils ont reçues ont déjà perdu près de 50 % au moment même où elles ont commencé à circuler.

En d’autres termes, ils comptabilisent une perte phénoménale avec la dette argentine ces dernières années. Pour compenser une partie de ces pertes, ils ont besoin que les rendements des obligations augmentent. C’est là que commence la discussion sur la trajectoire budgétaire.

La logique orthodoxe qui prévaut sur le marché financier mondial indique qu’un ajustement budgétaire accéléré vers l’excédent des comptes publics améliore les perspectives de recouvrement et, par conséquent, les prix des obligations augmentent. Ce serait un moyen de raccourcir leurs pertes. C’est pourquoi ils font pression pour que le FMI ait une position dure avec l’Argentine, et ils le font à travers les États-Unis.

Ces fonds d’investissement ne pardonnent pas que le FMI ait soutenu le gouvernement argentin dans la restructuration, ce qui permet aussi de comprendre quelle était la motivation du membre étasunien du conseil d’administration du FMI pour ne pas suivre le chapitre d’auto-évaluation du stand by de Macri qui mentionne qu’un contrôle des capitaux aurait dû être mis en place et que des progrès auraient dû être réalisés dans la restructuration de la dette privée.

Ce sont deux mesures auxquelles s’opposent les grands fonds d’investissement internationaux, car elles limitent la capacité d’action de leur propre entreprise.

Ce n’est un secret pour personne que Larry Fink, numéro un des principaux fonds internationaux sur le marché mondial, BlackRock, entretient des relations étroites avec la Réserve Fédérale (banque centrale étasunienne) et avec le secrétariat du Trésor. Une autre information clé pour évaluer l’influence de Fink au sein du gouvernement des États-Unis est que Joe Biden, lors de la conception du cabinet économique, lui a proposé d’être secrétaire au Trésor, poste qu’il n’a pas accepté, puis il a nommé Janet Yellen.

La position de fermeté affichée par les États-Unis au FMI pour conclure l’accord avec l’Argentine s’explique en partie par l’influence de Fink et du reste des grands fonds d’investissement internationaux sur l’administration Biden.

Quoi et comment négocier un nouvel accord

Jamais auparavant il n’y avait eu d’assemblée politique (Pouvoir Exécutif et des gouverneurs) pour discuter de l’avancement de la négociation d’un accord avec le FMI. En général, dans ce type de négociations, le secret dominait avec une succession de missions de fonctionnaires à Washington et de techniciens du Fonds à Buenos Aires.

Après ces allées et venues, une lettre d’intention été annoncée, accompagnée d’un protocole d’accord technique. Les deux documents établissant les conditions économiques du pays, les besoins de financement, la description des politiques, le calendrier des consultations (quotidiennes, hebdomadaires, mensuelles et trimestrielles) des services techniques du FMI, les objectifs à atteindre pour les variables macro-économiques.

Parmi ces derniers, la trajectoire budgétaire, l’objectif d’accumulation de réserves et celui de financement monétaire des comptes publics se démarquent. Ces trois objectifs sont interdépendants. L’économiste Emmanuel Álvarez Agis l’a expliqué ainsi :

« Un déficit public plus faible fondé sur une réduction des dépenses publiques a des effets non seulement sur l’ampleur du financement monétaire, mais aussi sur le chemin de l’accumulation de réserves, puisqu’un niveau d’activité plus faible implique un niveau d’importations plus faible et, avec cela, un niveau plus élevé de réserves internationales ».

C’est ce que demandent les États-Unis.

La tragédie

Le ministre Martín Guzmán a écrit sur son compte Twitter :

Toute dette conditionne, mais il n’y a rien qui conditionne plus qu’une dette auprès du FMI.

Le drame d’avoir à nouveau le Fonds comme commissaire aux comptes et aussi comme créancier privilégié peut être vérifié trimestre après trimestre depuis la signature de l’accord.

Tous les trois mois une mission viendra vérifier si les principaux critères de performance de l’économie (budgétaire, monétaire, taux de change) ont été respectés, puis le Conseil les évaluera (c’est-à-dire une revue qui sera effectuée par les pouvoirs, notamment les États-Unis) pour enfin rendre le verdict.

Si les objectifs ne sont pas atteints, la négociation d’une Waiver (dérogation) sera activée, ce qui ouvrira un nouveau scénario d’incertitude économique et financière pendant cette période. Mais s’ils sont remplis, cette histoire ne se terminera pas par une tape sur l’épaule des techniciens du FMI au ministre de l’Économie et l’organisation du prochain rendez-vous dans trois mois.

Dans la même mission, ils évalueront également si les objectifs trimestriels à venir sont en mesure d’être atteints. S’ils considèrent que ce n’est pas possible, ils proposeront des ajustements, ils ouvriront un nouvel espace de conversation, les versements suivants seront suspendus et, par conséquent, ils plongeront l’économie dans un scénario d’instabilité.

Comme on sait et qui a été exposé ci-dessus, chacune de ces évaluations a une facette technique, mais aussi un facteur déterminant quant aux intérêts géopolitiques des États-Unis. Dans cette tenaille, la tragédie économique et politique pour l’économie argentine d’être inéluctablement liée pendant des années aux chaines du Fonds monétaire international est exposée.

Alfredo Zaiat* pour Página12

Página12. Buenos Aires, le 9 janvier 2022.

*Alfredo Zaiat est un économiste argentin, journaliste et auteur de :
 « ¿Economistas o astrólogos ? - La economía de los ’90 ». (2004) ISBN 978-987-1181-01-8.
 « Economía y política 200 años de historia » (2011) ISBN 978-987-9161-86-9.
 « La economía a contramano »(2012) ISBN 978-950-49-3015-0.
 « Amenazados. El miedo en la economía » (2015). ISBN 978-950-49-4700-4.
 « Macri lo hizo - El impacto de las primeras medidas de su gobierno » (2016) ISBN 978-950-754-581-8.
 « Macrisis - Otro fracaso del neoliberalismo en la Argentina » (2019) ISBN 978-987-46858-3-4.

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