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22 novembre 2007

Captation des rentes mondiales par le capital financier

 

Par Robert-Antoine Frouville
Attac 35
. Le 20 novembre 2007.

Ce texte vise à rétablir quelques vérités élémentaires, masquées par l’idéologie (au sens de discours falsificateur sous couvert scientifique) libérale.

La condition préalable au fonctionnement du capital financier est l’existence de monnaies, nationales et internationales. Or, depuis plusieurs siècles en Europe, les Etats ont monopolisé le pouvoir de création monétaire. Le capital financier tente de s’en accaparer, mais il n’a jamais été capable de gérer durablement la monnaie (en Annexe 1 la définition des différentes formes de monnaie capitaliste).

 RAPPEL SUR LA PUISSANCE REGALIENNE DES ETATS

En économie, cette puissance peut s’exercer par le biais d’une banque centrale dont la capacité de création monétaire est quasiment illimitée. Le financement des efforts de guerre des nations illustre cette réalité. Ex-post, les ajustements aux dépenses publiques se résolvent en hausse des prix et manipulation des taux de change. Celles-ci restent indolores pour les peuples tant que leurs revenus augmentent aussi vite, sinon plus vite, que les prix. Mais cela est intolérable pour les détenteurs de patrimoines.

Bretton Woods (1944) rétablit le pouvoir régalien des Etats pour sauver le capitalisme. Bretton Woods c’est du Keynes, mais avec le dollar dont il ne voulait pas. Mais Keynes n’est-ce pas aussi Marx ? Cette question heurtera de plein fouet les orthodoxies libérales et marxistes… A creuser ?

- DEPUIS 1971, UN CAPITALISME FINANCIER HORS SOL

C’est celui des entreprises cotées en Bourse, qui aspire à se déconnecter des économies nationales et à se mettre à l’abri d’interventions étatiques et démocratiques. Théoriquement, il veut se débarrasser de Keynes, et de Marx. Cela prouve au moins que les capitalistes qui décident comprennent ce que théoriser veut dire. Ils récupèrent les anciens marxistes : Denis kessler, Wolfowitz, Kristoll ou… Jospin.

- LES PARTIS DE GAUCHE SONT DANS LE PIRE DES DESERTS INTELLECTUELS

Ayant capitulé théoriquement, ils ne sont plus capables de lire le réel. Tandis que la révolution néoconservatrice, néolibérale (?) des années 1980 ne cesse d’enfoncer le clou de la guerre idéologique.

L’ECONOMIE DE GUERRE (1914) : LE FINANCEMENT ILLIMITE DES BANQUES CENTRALES.

Ce qui est fascinant dans l’économie de guerre, c’est que son mode de financement défie toutes les lois de l’orthodoxie économique. Quand la guerre est déclarée, les Etats ne se soucient jamais de savoir si les moyens de financement du conflit existent. On cogne d’abord, on finance après. Je rassure les âmes sensibles, je n’en fais pas l’apologie. Mais je constate que les mêmes méthodes pourraient être utilisées dans des guerres plus justes, contre le chômage, ou contre la pauvreté, par exemple.

En 1914, il est certain que si les Etats s’étaient posés la question des moyens financiers, la guerre aurait cessé très vite, faute d’argent. On n’arrête pas une guerre pour rien ! Tous les pays la financent par injections massives de papier-monnaie. En 1918, on pense à solder les comptes. L’Allemagne paiera, dit Clémenceau. Avec quoi ? demande Keynes. Ils n’ont plus d’or, et en 1922, les billets en mark se ramassent dans les caniveaux. Un pays vaincu n’a plus de monnaie, normal ! Le Franc germinal dévalue de 80% en 1928. La crise de 1929 est d’abord une crise des changes… en attendant la prochaine guerre pour solder définitivement la première.

Comment financer la guerre ? demande Keynes. Par l’inflation, répond-il. En fait, il a compris bien avant que le couple inflation / dévaluation monétaire est un puissant réducteur d’inégalités sociales et d’euthanasie des rentiers de la finance, à condition qu’’il y ait indexation des salaires sur les prix. La BCE et Trichet savent qu’ils sont les défenseurs des financiers et des inégalités sociales.

Le traité de Bretton Woods

En 1944, il vise à assurer la reconstruction des pays alliés, en évitant la crise des années 1930, tout en garantissant l’hégémonie des Etats-Unis. Le dollar devient la monnaie- pivot du système, seul convertible en or, les E-U détenant alors près des trois quarts du stock d’or mondial, et l’industrie américaine détenant un quasi-monopole mondial. Fait important, souvent ignoré : la parité- or du dollar ne peut être modifiée que par un vote du Congrès des E-U. Pour éviter la crise globale, les pays sont priés de maintenir l’équilibre de leurs balances commerciales grâce à un système de taux de change fixes, mais ajustables, sous l’égide du FMI créé pour l’occasion. Les Etats-Unis acceptent le cadre protectionniste de 1944, mais imposent la construction graduelle d’un système de libre-échange international des marchandises, ce qui donnera l’accord du GATT de1947. L’aide Marshall sera toujours conditionnée à l’adhésion au GATT. Le Traité de Rome de 1958 s’inscrit dans ce projet libre-échangiste défini par le tuteur américain.

Pourtant, ce traité de Bretton Woods, qui fonctionnait à la satisfaction des pays membres, vole en éclat en 1971. La cause statistique ponctuelle est claire. Le stock d’or des E - U a fondu pour cause d’émission excessive de papier- monnaie libellé en dollars. Les opérateurs pouvaient facilement, à bas prix, convertir leur dollar papier en or.

Le financement illimité des besoins des Etats-Unis par la FED…

Cette création monétaire sans contrepartie a servi à financer l’expansion multinationale des firmes américaines, et la guerre du Vietnam de la décennie 1960. Comme en 1914, c’est la planche à billets qui a financé les conquêtes américaines dans la guerre commerciale d’après 1945. La valeur du papier peut s’évaporer, mais les positions économiques conquises demeurent. D’ailleurs, la solution américaine à cette crise du dollar a été brutale et relativement facile : se débarrasser de l’or monétaire (démonétisation de l’or imposée au reste du monde) de même que le passage au système international de changes flottants (officialisé à la Conférence de la Jamaïque, 1976).

Imposer le règne universel du papier- monnaie émis par les banques centrales, de véritables assignats, dont la valeur dépend des rapports de force purs sur les marchés des changes. Les pays qui ne peuvent pas suivre voient leur monnaie couler et seront éliminés de ce marché. A posteriori, ce passage au système des changes flottants apparaît comme un préalable indispensable à la libre circulation des capitaux imposée par la Reaganomics.

Idem pour la France

C’est le financement illimité de la Banque de France en dernier ressort, au prix d’un peu d’inflation, qui a permis la reconstruction d’après 1945, et en fin de compte, du capitalisme français lui-même. Au lieu de financer la production de matériels de guerre destructibles, le crédit massif d’après 1945 a financé la production de biens d’équipements et de biens de consommation et de logements. Le crédit finance la production et celle-ci dégage une épargne pour rembourser les crédits initiaux. C’est grâce au crédit capitaliste qu’on crée des entreprises.

Théorie

La doctrine libérale veut nous faire croire le contraire, que l’épargne doit précéder et financer l’investissement. En pratique, c’est totalement faux. Or, le traité de Maastricht est construit sur la base de ce faux principe. La quasi-totalité des médias est mobilisée pour intoxiquer et intimider l’opinion sur cette question. Depuis le tournant de la rigueur et les « innovations financières » de Bérégovoy, la social-démocratie s’est totalement alignée sur ce diktat de la droite libérale. D’où son incapacité tragique (Ségolène ou Jospin, c’est pareil) à répondre à la question : où trouver les moyens de financement pour un programme modeste, très modeste ? Si on ne sort pas de ce corset libéral, ce n’est pas la peine d’aller plus loin, on prépare la débâcle.

II.- LA CRISE IMPOSE LE DEVELOPPEMENT DU CAPITALISME FINANCIER

Le cercle keynésien vertueux se plante quand les marchés sont saturés et que la rentabilité du capital diminue. Les crédits ne sont pas remboursés. Baisse des profits signifie refus d’investir de la part du capitaliste. C’est alors seulement que l’épargne apparaît, mais elle est en excès. Il y a trop d’épargne parce que le taux d’investissement chute brutalement. Là encore, l’imposture libérale c’est de nous imposer le contraire de la vérité, nous faire croire que les moyens de financement manqueraient, alors qu’ils sont surabondants. Tous les jours, la presse économique se plaint du fait que l’économie capitaliste développée croule sous le « cash », c’est-à-dire, l’excès d’épargne liquide.

Les marchés financiers renaissent de leurs cendres, en période de crise, pour fournir au capital- argent, sans utilité autrement, des moyens de placement rentables mais à court terme. Or, qui dit croissance des marchés où les prix varient librement dit aussi croissance des risques liés à la variation des prix. Croissance des marchés financiers et croissance des risques de marchés sont intrinsèquement liés.

Les caractéristiques du capitalisme financier après 1980

La révolution financière de Reagan-Thatcher doit être comprise comme une réponse aux crises multiples des années 1970. C’est d’abord la fin du cycle de forte croissance économique d’après-guerre et la montée du chômage, accompagnée par de nombreuses révoltes dans le tiers-monde : la guerre israélo-arabe de 1973 et la hausse des prix pétroliers, la chute de Saigon, la révolution iranienne. Mais l’émancipation du tiers-monde est vite étranglée par le surendettement généralisé… En1981, le nouveau président des E-U, R. Reagan éprouve le besoin de proclamer que l’Amérique est de retour. La Reaganomics symbolise la prise de pouvoir des financiers. Il faut prendre la mesure de cette révolution néoconservatrice à qui tout semble réussir au départ.

Le projet dit néolibéral du capitalisme occidental

Si on va jusqu’à son noyau dur, il repose sur la volonté d’appropriation sans obstacles et sans limites, de toutes les richesses de la planète. Ce projet se concrétise dans une expression : le consensus de Washington. Il repose sur une injonction non négociable : la libre-circulation absolue du capital sous toutes ses formes, commerciales, industrielles, financières ; c’est-à-dire, concrètement, la liberté absolue de pouvoir vendre ou acheter tout ce qui peut être commercialisable (terrains, entreprises, titres ou même une nation entière) dans n’importe quelle région du monde. Cela implique le respect absolu des droits de propriété, droit d’usage et d’abus d’usage, partout où le capital se propose d’acheter. Quelle instance juridique mondiale serait capable d’imposer le respect de tels droits ? Aucune. Il ne restait plus que la force militaire illimitée.

La force du capitalisme contemporain

Selon Jean Peyrelevade, elle est dominée par les actionnaires, et réside dans l’émiettement des actionnaires particuliers et la puissance des industries de gestion de fonds. Celles-ci s’efforcent, avec succès, d’obtenir plus que le coût du capital, même si la valeur intrinsèque de l’entreprise est assez stable dans le temps. Comme vendre une action plus chère qu’elle ne vaut, empocher la rente ? Le capitalisme moderne est ainsi devenu une gigantesque société anonyme. Trois cents millions de propriétaires dans le monde en forment la base (femmes et enfants inclus). Ils préparent leur retraite en capitalisant leu épargne. Une moitié de leur épargne patrimoniale (15 000 milliards de dollars) est confiée à des gestionnaires de fonds spécialisés. Forts de ces munitions, ils imposent leurs vues aux dirigeants de quelques milliers d’entreprises cotées. Ces gestionnaires de fonds (fonds de pensions, SICAV, assurances), peu nombreux, détiennent désormais le véritable pouvoir au sein des entreprises, mais l’exercent anonymement.

Ils ont imposé, bientôt à toutes les entreprises cotées, le principe de corporate governance : la transparence de gestion et la vérité des comptes trimestriels, avec l’objectif unique de la "création de valeur" pour le propriétaire-actionnaire. Le critère simple, radical, aisément mesurable ne laisse place à aucune autre considération. C’est le taux de rentabilité du placement en actions. Le dividende ne représente en général que 3-4% ... gain trop modeste pour satisfaire la clientèle des actionnaires... Donc, toute action acquise est destinée à être vendue pour obtenir la plus-value. C’est la revente qui crée l’enrichissement... Ce qui nécessite une hausse perpétuelle des cours. Il faut une montée de la Bourse de 10-12% l’an + les dividendes pour obtenir une rentabilité du capital de 15%... Telle est la norme que les dirigeants des sociétés cotées, partout dans le monde, se fixent comme objectif. Le dirigeant gestionnaire devient un salarié de luxe, mais éjectable à tout moment par le Conseil d’Administration (avec garantie de stock-options).

La recherche systématique de création de valeur élevée pour l’actionnaire ne serait alors que l’habillage idéologique d’une démarche de rentiers.

Les investisseurs institutionnels (« zinzins »)

Contraints par leur taille énorme, ils ont privilégié la gestion indexée (indicielle) : ils achètent systématiquement, à due proportion, toutes les valeurs constitutives des indices boursiers. En cas de baisse d’une valeur, il est difficile aux « zinzins » de vendre, sous peine de provoquer l’effondrement des cours. Prisonniers des titres de l’indice, ils n’ont pas d’autres solutions pour améliorer les rendements de leurs actifs que de peser sur les décisions des gestionnaires, et de spéculer à la hausse des cours boursiers.

La spéculation n’est plus un sport individuel, mais une fabrication collective de ces gestionnaires de fonds. Ces organismes à but lucratif visent à grandir, à accroître leurs profits et leur puissance... Chaque institution ou fonds fait profession d’être plus rentable que ses concurrentes pour attirer de nouveaux clients et élargir ses parts de marché... Des palmarès sont publiés, les performances classées. Or, la valeur de marché d’une action (ou de tout autre actif) est en permanence égale à la somme actualisée de ses revenus futurs (dividendes et plus-values).

L’avenir étant par définition incertain, la séquence des revenus futurs résulte de prévisions et la valeur d’un titre est fondée sur des anticipations. L’optimisme des prévisions, réel ou factice, est indispensable pour faire durer le système, avec l’aide des analystes financiers, des médias, des consultants, des conseillers, des banques d’affaires, etc. Ce pouvoir des actionnaires est instable car le taux de rentabilité qu’il réclame, 15 % de ROE (return on equity), est extravagant, intenable à long terme. On ne voit pas comment les marchés boursiers pourraient continuer à croître de 10-12% l’an quand les taux de croissance annuels des économies occidentales sont de l’ordre de 2-3%... Ce qui explique d’ailleurs la nécessité pour ce capitalisme occidental de s’abreuver aux réservoirs de création de valeurs réelles en Asie ou ailleurs.

Note de méthode : Les gains en plus-values boursières n’apparaissent pas dans les comptes de répartition et de redistribution de la comptabilité nationale. Le calcul du partage des revenus capital/ travail est insuffisant si on se limite au Tableau Economique d’Ensemble de la Comptabilité Nationale. Revoir les comptes de patrimoines.

Quand le risque spéculatif devient une marchandise !

Qu’y a-t-il de nouveau dans le capitalisme financier des années 1980 qui le fait déraper si gravement ? Il y a les marchés des produits dérivés, élément nouveau dans l’histoire du capitalisme. Les techniques traditionnelles d’assurance et de couverture sont devenues insuffisantes pour éviter la crise de type 1929. Son ampleur inédite a empêché les spécialistes d’en mesurer rapidement les dangers. Sa signification élémentaire réfute tous les discours apologétiques du libéralisme. Sur les marchés dérivés, les opérateurs vendent et achètent des instruments de protection contre les risques. Lesquels ? Génériquement, il n’y en a qu’un seul, le risque de variation de prix. Les produits dérivés se multiplient car une infinité de prix existe dans la réalité.

Dans les années 1970 cela démarra avec la variation des prix des monnaies, risque devenu permanent avec l’instauration des changes flottants, et celle des taux d’intérêt. Le libéralisme triomphant a imposé le principe de variabilité ou flexibilité absolue des prix, donc la multiplication infinie des risques. Pour n’importe quelle transaction économique de quelque importance, l’entreprise a intérêt à acquérir un produit de couverture anti-risque sous peine de souffrir si les prix varient dans le mauvais sens. Pire, la vente d’un produit dérivé représente en soi un risque pour son vendeur qui voudra se couvrir à son tour. Donc la société libérale diffuse les risques à l’infini. Et la société capitaliste fonctionne non pas sur le principe de la prise de risque, comme elle le prétend, mais sur le principe de l’aversion au risque. La preuve c’est que la création des marchés dérivés suit de près la dérégulation financière. Ainsi en France, le premier marché dérivé officiel, le MATIF est créé peu après la dérégulation financière de Bérégovoy en 1985. Et les titres subprimes sont des dérivés des crédits immobiliers destinés à diluer les risques. Ces produits dérivés se transforment massivement en instruments spéculatifs, c’est inhérent à leur nature.

III.- LES GRANDES ENTREPRISES COTEES EN BOURSES VEULENT DEVENIR DE GRANDS INTERMEDIAIRES COMMERCIAUX ET FINANCIERS DE L’ECONOMIE INTERNATIONALE

Pour cela elles souhaitent se déconnecter de leurs économies nationales et émigrer. Mais il est improbable que les pays émergents leur abandonnent ces monopoles.

Ce que nous appelons aujourd’hui "Mondialisation" est le résultat d’un projet assez précis élaboré dans les universités américaines sous le vocable NDIT, ou nouvelle division internationale du travail, une approche nettement plus scientifique que celle d’aujourd’hui. La référence au modèle de libre-échange de D. Ricardo était explicite, et aboutira à transformer le GATT en OMC. Ce projet fut discuté, et critiqué, dans toutes les universités occidentales. Le modèle NDIT était une copie de celui de Ricardo qui opposait agriculture et industrie. Transformé en modèle de délocalisations industrielles, il prévoyait d’abandonner aux pays du tiers monde, pays pauvres en capital et riches en main-d’œuvre à bas prix, l’essentiel des industries de main-d’œuvre à bas prix, en fait peu rentables.

Les pays capitalistes riches conserveraient les activités rentables, à hautes technologies et valeur ajoutée. Il n’était surtout pas prévu de bouleverser la hiérarchie de la DIT postcoloniale. Il y a aussi mimétisme ricardien dans l’argumentaire des avantages de cette NDIT, qui doit fonctionner dans un cadre de libre-échange absolu.

 Les pays pauvres se spécialiseront certes dans des industries à bas salaires, mais ce sera une amorce à l’industrialisation et ils pourront exporter librement leurs produits vers les pays riches.

 Les pays riches pourront exporter librement équipements, technologies et savoir faire. Il s’agirait en fait de créer un marché mondial de la technologie pour les firmes occidentales. Mais les vrais avantages ricardiens attendus par les pays riches étaient de trois sortes :

Vaincre l’inflation. On ne répètera jamais assez que le véritable instrument de lutte contre l’inflation en Occident c’est l’importation à bas prix des produits industriels qui forment la consommation courante des salariés. Depuis dix ans, la Chine et quelques autres raflent le monopole de ce genre de production.

Modifier la répartition salaires/ profits en faveur des profits. Faire baisser les prix des biens de consommation courante permet de justifier la stagnation des salaires. On a eu un virage à 180% du discours idéologique après 1983 : le capitalisme des Trente glorieuses vantait les hausses de salaires... Après la désindexation salaires/ prix de 1983, c’est par les prix bas qu’on prétend maintenir le pouvoir d’achat des salariés. Sarkozy - Edouard Leclerc, même combat ! Ce mensonge est en plus économiquement aberrant.

La restructuration des activités. Les firmes des pays riches doivent abandonner les activités à faible valeur ajoutée pour se spécialiser dans les activités à haute valeur ajoutée. Cela débouche sur la thèse apologétique extrême de l’entreprise sans usines (sous-traitance des activités productives) de la société postindustrielle, spécialisée dans les activités tertiaires lucratives (distribution, ingénierie, brevets, finances...).

C’est cet argumentaire répétitif qu’on retrouve dans tous les rapports des grandes institutions internationales, FMI, OCDE, Banque Mondiale, Commission européenne...

1 - Le monde simplifié se divise en deux blocs, les pays développés d’Occident et les pays émergents, ateliers du monde et principaux détenteurs de matières premières stratégiques.

2 - Les marchés dynamiques sont en Occident. Le bloc Etats-Unis-Europe importe des produits industriels courants et exporte technologies, équipements et savoir faire financiers.

3 - Les pays émergents sont des pays ateliers. Ils fabriquent et exportent des produits industriels moins chers à cause de leurs faibles coûts salariaux. Ce qui explique la relative faiblesse de leurs marchés nationaux et leur dépendance à l’égard des débouchés occidentaux.

4 - Les grandes firmes d’Occident (FTN, Hypermarchés, Banques, etc.) se sont installées comme les principaux intermédiaires commerciaux et financiers de ce circuit mondial qu’on résume parfois sous le vocable Chine-Amérique. Elles achètent ou fabriquent là où c’est moins cher et revendent là où c’est le plus cher. La différence entre prix de vente et prix d’achat donne la mesure des rentes colossales empochées par ces firmes.

5 - Quelques centaines d’entreprises cotées plus quelques milliers de firme mondialisées drainent, selon les années, 3-4% du PIB mondial sous la forme de profits nets. Si l’on considère leur chiffre d’affaires et ceux de leurs sous-traitants, elles pourraient contrôler directement une fraction considérable de l’activité économique mondiale. Les fournisseurs de ces firmes en matières premières et intermédiaires sont le plus souvent des sous-traitants directs. Quelques chiffres en 2006 : le bénéfice net d’Exxon = 40 milliards de $, les dix premières bancaires et pétrolières affichent des résultats proches. Les résultats des 5 premières du CAC40 dépassent les 50 milliards de $.

Le noyau dur et dirigeant du capitalisme mondial

Il est bel et bien constitué par ces quelques centaines de sociétés, firmes ou institutions financières cotées en Bourse. La revue « Fortune » publie tous les ans le palmarès des cinq cents premières et permet une première identification (le classement par ordre de valorisations boursières remplace le classement par chiffres d’affaires…). On y trouve environ 50% d’américaines, 30% d’européennes (dont une certaine égalité entre Angleterre, Allemagne et France avec 37 sociétés chacune) et environ 15% de japonaises. Le nombre total de FTN est d’environ 8 000. Le chiffre exact importe peu, car la description et la théorie des comportements oligopolistiques ont été faites depuis longtemps, durant les années 50 et 60. Dans chaque branche (ou secteur) d’activité retenu, il existe une (parfois deux) firme dominante qui impose sa stratégie aux autres. C’est-à-dire que les oligopoles moins puissants s’adaptent, le plus souvent par imitation, aux stratégies et décisions des plus puissants, en évitant les affrontements le plus longtemps possible. C’est-à-dire, que même parmi les cinq cents, il y a un noyau plus restreint qui décide vraiment.

Ces quelques centaines d’entreprises cotées, avec un noyau décisionnel en leur sein, sont devenues de fait de véritables sociétés de commerce international, qui prospèrent dans l’import-export et s’efforcent avant tout de maximiser leurs rentes commerciales. Les activités productives ou industrielles subsistent en leur sein, mais le profit classique découlant l’activité productive voit son importance décroître, tandis que les rentes commerciales et financières s’accroissent.

Paradis fiscaux et corruption

Ce sont les véritables chaînons manquant dans le débat sur la mondialisation. Il serait nécessaire de vérifier si le véritable objectif des délocalisations y afférentes n’est pas l’évasion fiscale. Les paradis fiscaux se sont multipliés depuis 1975 et sont près de 80 aujourd’hui. Ils sont un élément clé du fonctionnement de l’oligopole transnational, et de son noyau dur bancaire. « L’interface offshore fonctionne grâce à la collusion existante entre les intermédiaires financiers du secteur privé et les gouvernements des paradis fiscaux… et celle aussi des grandes puissances ».

L’Europe libérale abrite des paradis fiscaux parmi les plus importants : Jersey, Monaco, Luxembourg, Lichtenstein, Andorre, Malte, mais aussi, on l’oublie, l’Allemagne et les Pays-Bas et j’en oublie ( estimations : environ 10.000 milliards d’euros d’avoirs déposés, soit près de 20% du PIB mondial, plus de 1 000 milliards d’euros soit 1,6 billions de dollars de nouveaux dépôts annuels, et 683 milliards de transferts de capitaux privés des pays pauvres vers les pays riches (estimations de John Christensen, Tax Justice Network, http://www.taxjustice.net ).

Mais, les pays émergents veulent désormais s’approprier leur part des rentes. La mondialisation devient malheureuse

Qui a raison ? Les Echos du 4/10/2007 citent le magazine américain "Time". En principe, le cours d’une monnaie reflète la richesse d’une nation… (la puissance aussi). "Les américains sont 40% plus pauvres qu’il y a six ans, si l’on s’en tient à la chute du dollar par rapport à l’euro... Certains pays à l’image de la Chine ont empêché leur monnaie de s’apprécier contre le dollar. En empêchant les fluctuations des changes, les pays cherchent non seulement à doper leurs exportations mais également à stabiliser leur économie. C’est, rappelle l’hebdomadaire, ce que les grandes puissances mondiales ont fait pendant vingt-cinq ans après 1944 en adoptant le traité de Bretton Woods. Ce système, affirme le magazine, a permis d’assurer au monde une prospérité économique sans précédent en mettant de l’ordre dans des marchés financiers totalement bouleversés par la Grande Dépression de 1929. .... Ce système s’est effondré en 1971 largement parce que les taux de change fixés après la guerre n’avaient plus de sens alors que des pays comme l’Allemagne, la France ou le Japon retrouvaient leur statut de grandes puissances économiques. Le réajustement fut très douloureux.

Aujourd’hui, la Chine et d’autres pays participent à une sorte de Bretton Woods II (Traité de la Jamaïque de 1976) et cet "arrangement" ne peut tenir indéfiniment. La crainte que l’ajustement qui suivra sera encore plus terrible que celui des années 1970 explique probablement la récente chute du dollar. Les américains risquent de devenir encore plus pauvres prochainement conclut Time.

En effet, le prochain réajustement de parités risque de sanctionner d’abord le capitalisme financier anglo-saxon.

Il n’est pas possible de tenir un discours politique crédible sans prendre ces éléments en compte. La question initiale d’Adam Smith reste actuelle : qu’est-ce qui fait la richesse (ou l’appauvrissement) des nations ? Je crains que leur rang dans la DIT soit déterminant.

***
ANNEXE 1 :

Complément sur la création de monnaie

D’où vient l’argent ?

Pour comprendre, je préfère aborder les formes monétaires propres au capitalisme, depuis le moyen-âge. En simple :

1- La forme monnaie- marchandise est la première. Une marchandise est choisie parmi toutes les autres pour remplir la fonction de monnaie. D’abord choisi, le métal argent, sera supplanté par l’or au milieu du 19e siècle.

2 - La forme monnaie de papier. Les banque de la Renaissance font circuler du papier qui représente du métal précieux (lettre de change, billets à ordre ou certificats de dépôt). On parle de monnaie fiduciaire (confiance) car la monnaie de papier est convertible en métal précieux sur simple demande. Les banques créent de la monnaie depuis cette innovation, car la quantité de monnaie de papier qui circule peut être un multipledu stock de métaux précieux.

3 - Le papier-monnaie d’Etat, ne pas confondre avec le précédent. Depuis sa naissance, dès le Moyen-âge, l’Etat capitaliste finance ses projets, d’abord par l’emprunt. L’impôt ne sert qu’à garantir la dette, et l’Angleterre y excellera à partir du 18e siècle. L’Etat se donne la possibilité de transformer les titres de la dette publique en monnaie en lui imposant un cours légal et forcé. Le contre- exemple le plus célèbre est celui des Assignats d’après1789, par incompréhension des limites monétaires du processus.

4 - Le billet banque centrale. La création des banques centrales renvoie à la nécessité de contrôler la création monétaire des banques privées, Angleterre (1694), France (1805). L’Etat finit par s’arroger le monopole de l’émission de billets (monnaie de papier) au milieu du 19e siècle. Mais en cas de troubles ou guerres, l’Etat transforme ses billets en papier monnaie, inconvertible en métaux, en décrétant son cours forcé. C’est la police qui garantit alors la valeur de la monnaie.

5 - La monnaie scripturale. C’est l’innovation fondamentale des banques, en Angleterre d’abord, pour récupérer leur pouvoir de création monétaire. Elles créent de la monnaie par simple écriture sur un compte. Elles la font circuler sous forme de chèques, et aujourd’hui on y ajoute les cartes de crédit. Aujourd’hui, la monnaie bancaire (ou monnaie de crédit) représente environ 85% de la création monétaire dans tous les pays.

6 - Le refinancement des banques. Néanmoins, la monnaie scripturale bancaire restera toujours une monnaie de second rang comparativement à la monnaie d’Etat, le billet banque centrale. La raison en est simple. Jusqu’en 1914, les marchandises or et argent étaient seules transformées en vraie monnaie. Et seule la monnaie banque centrale conservait le privilège d’être convertible en métaux précieux. La monnaie scripturale n’était convertible qu’en monnaie banque centrale.

On en déduit la hiérarchie des monnaies :

1) les monnaies métalliques ;
2) la monnaie d’Etat ;
3) la monnaie scripturale bancaire.

C’était le système de l’étalon-or, où l’Etat garantissait la valeur de la monnaie privée.

Les banques sont donc soumises à la contrainte permanente de convertibilité de la monnaie bancaire en monnaie banque centrale. Les guichets et distributeurs doivent être toujours approvisionnés, réalité banale. Le refinancement désigne les opérations habituelles grâce auxquelles la banque centrale approvisionne les banques en monnaie banque centrale. La pratique est régulière et permanente. Ce qui choque au mois d’août 2007, c’est le caractère brutal, et apparemment sans limites pendant quelques jours, de ce besoin de refinancement des banques… un échec monétaire de plus pour la finance.

7 - Le système actuel. Sa seule différence par rapport à tous les systèmes anciens, dont celui de l’étalon-or, mais elle est de taille, c’est l’élimination de toute forme de monnaie marchandise, y compris celle des métaux précieux. En 1971, le président Nixon, suivant ses conseillers monétaristes, imposa unilatéralement la démonétisation de l’or. Les européens se soumirent officiellement en 1976, à la Jamaïque. Le résultat en est que les Etats ne gèrent plus que des assignats, sans attache ou valeur objective. Les monnaies ne peuvent que flotter au gré des caprices des opérateurs de marchés et des banques centrales. Les taux de change monétaires reflètent de purs rapports de force sur les marchés de change. Les banques privées sont toujours soumises à la nécessité de convertir leur monnaie scripturale en monnaie banque centrale de valeur flottante.

Il est clair aussi que les autorités monétaires américaines se comportent exactement comme les révolutionnaires de 1789. Elles émettent sans restriction apparente des assignats-dollars, uniquement en fonction des besoins de leurs intérêts nationaux, alors qu’ils ont imposé cette monnaie comme monnaie internationale en 1944. Le monde est donc inondé d’assignats dollars, de valeur flottante. Mais la tendance de longue durée est bien celle de sa forte dépréciation. Une monnaie de singe ne peut être imposée en permanence. Elle finit par s’effondrer.


William Bonner/Addison Wiggin - L’empire des Dettes, Les Belles lettres 2006.
" L’Histoire du commerce international vers 2005 est le conte le plus grotesque que les économistes aient jamais entendu. Une nation achète des choses dont elle n’a ni besoins ni les moyens avec de l’argent qu’elle n’a pas. Une autre vend à crédit à des gens qui ne peuvent déjà pas payer, puis reconstruit de nouvelles usines pour augmenter la production ". (page 257).

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