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9 mai 2008

Amérique Latine-Union Européenne :
Association ou subordination ?

 

Par Enrique Daza
América Latina en Movimiento
(431-432). Équateur, le 5 mai 2008

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Depuis près d’un an l’Union Européenne a commencé à négocier les Accords d’Association avec l’Amérique Centrale et avec la Communauté Andine de Nations (CAN). La possibilité d’une reprise des négociations avec le MERCOSUR, suspendues il y a quelques années, a été aussi annoncée timidement et cela fait plusieurs années qu’ont été souscrits des accords avec le Chili et le Mexique. En décembre 2007, a dominé souscription d’accords avec les pays des Caraïbes et, dans une forme similaire, l’Union Européenne a négocié et souscrit ce type de traités avec de nombreux pays du monde, spécialement avec ceux du "Troisième Monde".

Ces négociations ont été menées en parallèle au déroulement du « Round de Doha » de l’Organisation Mondiale de Commerce (OMC), mais elles ont pris un nouvel essor dans la mesure que ce round est toujours bloqué et, apparaissent donc comme un remplacement de celle-ci.

Pour leur part les États-Unis ont avancé jusqu’à l’année 2007 dans leur agenda commercial, en signant des traités de libre commerce avec de nombreux pays, spécialement ceux de l’Amérique Centrale et de deux de la région andine, le Pérou et la Colombie, bien que pour ce dernier pays le traité semble embourbé pour le moment (Bloqué par le Démocrates au Congrès des Etats-Unis, pour des problèmes de non respect de Droit de l’Homme du gouvernement Uribe].

La signature de cette myriade de traités est encore qualifiée, par des autorités de l’OMC, comme un obstacle dans les négociations multilatérales dans le cadre de l’OMC, mais il semble qu’il y avait une extrême urgence pour l’Union Européenne et les Etats-Unis de signer ces traités comme une façon de s’assurer l’accès aux marchés régionaux et à des zones d’investissement, indépendamment du succès ou non du round de Doha.

Au-delà de l’image

L’Union Européenne a remarqué, à plusieurs reprises, qu’elle ne cherche pas la signature de Traités de Libre Commerce mais des Accords d’’Association qui incluent, en plus de la composante commerciale, le dialogue politique et la coopération. Avec cela, elle cherche à présenter une apparence plus bienveillante et compréhensive. D’autre part, elle proclame que la négociation est faite par des blocs de pays, dans le but de renforcer l’intégration régionale et qu’elle accorde une importance aux Droits de L’Homme au moyen d’une clause démocratique.

Bien que ses intérêts commerciaux soient indéniables en matière de biens, ses aspirations pour renforcer la sécurité de ses investissements et l’accès au marché de services- dans lequel l’Union Européenne occupe un rôle de leadership, avec une place même plus importante que celle des États-Unis en matière des investissements- sont plus qu’évidentes. L’image primitive et brutale que les États-Unis ont, dans toute l’Amérique Latine, contraste avec l’image humaniste, cultivée et libérale que l’Union Européenne a cultivée des années durant.

Cependant, malgré toutes ces argumentations, la réalité de la relation de l’Europe avec l’Amérique Latine et le cours même des négociations, a clairement démenti la majorité de ces perceptions. La réalité est évidemment beaucoup plus crue et nous devons attirer l’attention sur ce qu’il arrive. Tout d’abord, les résultats des TLC signés par l’UE avec le Chili et le Mexique sont vraiment très éloignés des promesses qui ont été faites. Les bilans réalisés montrent franchement des résultats négatifs. Les investissements européens dans les deux pays ont joui de protection, mais les citoyens affectés par les conséquences de ces investissements ne sont pas du tout protégés.

Les investissements européens ont été liés au secteur financier, aux services publics et à l’extraction de ressources naturelles avec lesquelles, a été simplement approfondi un modèle économique basé sur une division du travail international qui assigne aux pays « en développement » la production de matières premières et aux pays « développés » celle de produits élaborés. Les pays se spécialisent dans des matières premières, dénationalisent la prestation de services essentiels et radicalisent la disparité dans la distribution des revenus. Ils abandonnent ainsi tout projet de développement national, condamne l’oligarchie locale à tenir le rôle de la voiture balais des multinationales et n’ont pas d’effet positif en matière de droits du travail ou des Droits de l’Homme.

Les étudiants chiliens, les mapuches, les habitants d’Oaxaca, le massacre de femmes et la fraude électorale au Mexique sont les témoignages de cela et du fait qu’ aucun mécanisme n’existe dans ces Accords d’Association qui aient tout simplement empêché, atténué et encore moins transformé la réalité de ces pays. L’augmentation des prix du pétrole et du cuivre ont entretenu cette situation, mais celui qui regarde un peu plus loin peut se rendre compte que le modèle inéquitable, prédateur et autoritaire se maintient en place et qu’il est même consolidé.

Visions distinctes

La proposition européenne en matière d’intégration est dramatiquement pas viable. Les pays de l’Amérique Centrale ont déjà renoncé à leurs efforts d’intégration en donnant une suprématie au TLC avec les Etats Unis sur tout effort d’intégration régionale. L’Union européenne travaille sur cette réalité et toute tentative de restaurer les processus d’intégration sous-régionale est condamnée à l’échec, puisqu’il n’y a pas de dynamique de coopération et de complémentarité mais d’une rivalité, de "sauve qui peut". Les pays de la région sont en compétition pour attirer les investissements étrangers, pour offrir une main d’œuvre bon marché et ont abandonné les intentions intégrationnistes régionales.

Dans la CAN des choses similaires ou pires arrivent. La CAN est en franche désintégration. Les pays ont adopté diverses mesures pour diminuer les efforts d’intégrations. Ils ont renoncé à l’adoption d’un tarif externe commun, et la signature du TLC avec les Etats-Unis a assené un coup mortel à l’intégration régionale, sans oublier que le Venezuela ne fait pas de partie de cet accord. Ils sont en train de flexibiliser les règles avec la théorie du "régionalisme ouvert" et un contraste évident existe entre les positions de l’Équateur et de la Bolivie, d’un côté, et celles de la Colombie et du Pérou, de l’autre. Les premiers parient sur développement endogène et les deuxièmes mettent tous les œufs dans l’éventuel panier de l’accès au marché des États-Unis, le "plus grand marché du monde".

Pendant les négociations avec le CAN on a vu que le désaccord ne provient pas d’une différence de rythmes ou de temps mais d’une différence de modèles de développement. La Bolivie et l’Équateur ne veulent pas d’un TLC et la Colombie et le Pérou le veulent. Unir au sein de la CAN ces deux groupes cela revient à chercher la quadrature du cercle. Dans le MERCOSUR la situation est stagnante. L’UE n’offre au Brésil et à l’Argentine aucune concession dans le domaine agricole dans laquelle les deux pays sont puissants, mais en plus jaloux de leurs intérêts. Avec les pays du MERCOSUR, les négociations sont paralysées et le seul espoir de l’UE est d’arriver à soudoyer l’Uruguay et le Paraguay, petits pays dont le marché est limité. Avec le Brésil et l’Argentine les négociations sont à un tout autre prix.

Pour l’Europe un problème vital est celui des investissements puisquils sont importants et en progression en Amérique Latine, mais tournent autour d’eux le spectre du nationalisme. La Bolivie s’est retirée [Mai 2007] du Conseil International d’Arbitrage des Investissements, CIADI, l’Équateur est sur le point d’ignorer la dette externe illégitime. L’Argentine a ignoré une partie d’elle. Il y a une pression sociale pour remettre en cause les privatisations et pour récupérer en faveur des États le [très stratégique] contrôle du système financier et des services publics.

Les Européens ont peur quant à l’avenir de leurs investissements, mais le mandat de négociation de l’Union Européenne ne leur permet pas de lier totalement le sujet des investissements dans l’Accord d’Association, alors celui-ci est expédié vers les Accords Bilatérauxd’Investissements, BIT, pour lesquels les accords d’Association, prévoient à peine un environnement positif. D’autre part, bien que quelques pays d’Amérique Latine veuillent faire à tout prix des accords bilatéraux avec l’Europe, le mandat négociateur souscrit entre les 27 pays de l’Union exige que les traités soient avec des blocs. Une décision en sens inverse, ou bien ils doivent négocier individuellement avec chaque pays, alors ceci impliquerait un nouvel ordre du jour et c’est un problème qui pourrait retarder l’agenda pendant des années.

L’UE a souscrit les Accords de Coopération avec les pays de l’Amérique Latine il y a déjà quelques années et dans beaucoup de cas, ils sont à peine dans un processus de ratification. Ces accords de coopération impliquent certains fonds et quelques priorités définies au moins jusqu’au 2013. Après s’être assis pour négocier les Accords d’Association avec les pays andins et l’Amérique centrale, l’UE a mis au clair qu’elle n’a pas de ressources fraiches et on ne peut pas non plus réorienter le destin des celles-ci. Alors, toute définition en matière de coopération, ne sera valide qu’après 2013 et cela si les traités sont rapidement signés.

En réalité les sujets de coopération sont secondaires dans cette nouvelle étape de négociations et ils n’ont même pas le pouvoir de devenir un hameçon crédible pour que les pays fassent des concessions commerciales, pour obtenir des fonds de coopération. D’autre part sur ce sujet il n’y a pas tant de différence entre ce que propose l’Europe et ce qui est négocié avec les États-Unis. Dans le TLC avec les EU il y a eu une table de coopération et de là ont dérivé les programmes qui cherchaient à adapter les pays aux dictats du libre commerce et à atténuer les contradictions avec les critiques. Dans les deux TLC il y a eu une composante de coopération, alors ceci n’est pas une différence entre les TLC et les Accords d’Association.

Dialogue, mais sur quoi ?

Le fameux "Dialogue Politique" est encore plus éthéré. Ce qu’ils essaient de faire c’est de dialoguer sur ce que doit être ce dialogue. La Colombie veut parler de la "sûreté démocratique", la Bolivie du modèle de développement, l’Équateur de la dette, l’Europe du changement climatique. Chacun veut avancer la sienne, cependant, se mettre d’accord implique de longues négociations et cela n’assure en rien les sujets sur lesquels enfin ils se parleront. Ce pilier des négociations parait un simple ornement, la chose qui est corroborée c’est que c’est un sujet additionnel qui compromet une seule des 14 tables qui sont négociées et qui est particulièrement difficile étant données les contradictions politiques aigues qui existent spécialement, par l’impasse récente entre la Colombie et l’Équateur, mais aussi par les différents multiples dans la région telles que celles qui séparent l’Argentine de l’Uruguay, le Pérou du Chili etc.

La confusion qui a été créée autour de la soi-disant « clause démocratique » qui assurerait les Droits de l’Homme, économiques et sociales ou la démocratie est connue. L’expérience du Mexique et du Chili est révélatrice. Aucun mécanisme n’a existé dans les TLC avec ces pays qui ont fourni un quelconque effet dans ces matières et c’est simplement un outil à travers le quel, à l’intérieur de l’UE, ils neutralisent les secteurs qui ont quelques scrupules devant certains gouvernements antidémocratiques.

Les intérêts de fond

La substance du nouvel Accord d’Association est la négociation d’un TLC. En octobre 2006 a été présenté à l’Union Européenne le document « Une Europe globale. Rivaliser dans le monde », dans lequel est exposée sa politique de commerce extérieur. La stratégie est simple et directe : signer les accords de libre commerce qui vont au-delà de l’OMC, avec l’objectif de déréglementer au maximum les économies en éliminant les barrières commerciales, ouvrir le secteur services, augmenter l’accès à des matières premières et à une main d’œuvre bon marché, ouvrir les marchés d’achats publics, protéger la propriété intellectuelle et faciliter la pénétration du capital européen en promouvant l’investissement, le tout au bénéfice des multinationales européennes.

Dans les relations entre l’Europe et l’Amérique Latine l’action des multinationales du vieux continent pèse énormément. Les plaintes qui dans divers pays ont été déposées par des Tribunaux des Peuples, ont révélé qui les dites multinationales sont sérieusement impliquées dans des dommages à l’environnement, la violation de droits du travail, l’obtention de super-profits dans des pays appauvris et même des cas de violence et d’assassinats en complicité avec des autorités nationales ou régionales pour criminaliser la contestation sociale.

Parmi les objectifs que l’UE poursuit, se distingue l’impérieuse nécessité d’éviter de se trouver délogée des marchés latinoaméricains par la forte consolidation dans cette zone des États-Unis, après les TLC avec le Mexique, l’Amérique Centrale et le Chili. Comme les États-Unis, l’Union Européenne a une expérience importante pour signer des accords économiques et commerciaux avec diverses nations sous-développées et dans le cas de l’Amérique Latine veut que ceux qui ont été signés dans la région avec les États-Unis soient un plancher pour eux, ce qui gêne les pays qui ne les ont pas signés, puisque cella signifie d’essayer de leur imposer ce qu’ils sont refusé par la porte arrière.

Plus de la même chose

De même que les TLC, les accords de l’UE sont conçus sans aucune participation des organisations sociales ni civiles et cherchent à les faire approuver par les Congrès sans grande discussion. L’expérience des trois round de négociation, réalisées avec l’Amérique Centrale et le CAN montrent que n’existent pas des mécanismes valables de participation de la société civile, il n’y a pas de diagnostics préalables sur l’impact et il y a une position dure et exigeante de l’UE. L’Union Européenne exige des pays sous-développés de démonter tous les mécanismes de protection à l’agriculture et leur rend presque impossible de faire appel à tout type de protection, tandis qu’elle maintient les aides octroyées à ses agriculteurs à travers la PAC (Politique Agricole Commune), qui se sont élevées à 51.412 millions d’euros en 2006. Dans des secteurs d’une importance vitale pour le développement des nations, ce qu’impose l’Union Européenne impliquera la violation du droit des États à mener des politiques autonomes et souveraines au bénéfice de ses propres producteurs nationaux.

Le Système Général de Préférences (GSP) que l’UE octroie d’une forme unilatérale et dont aujourd’hui jouissent les pays du CAN et des habitants de l’Amérique Centrale, deviendra, aussi comme l’ATPDEA des États-Unis, un instrument d’extorsion pour menacer ceux qui vont contre les exigences européennes. Les pays de l’Amérique Centrale et andins ont pensé que le SGP était la base des négociations c’est à dire qu’ils croyant s’asseoir pour obtenir quelque chose de plus, mais la réalité des rounds initiaux montre que pour l’UE elles sont le plafond, c’est à dire que les pays doivent les « conquérir » à nouveau et non partir de celles-ci comme quelque chose de déjà acquis. Ceci signifie recommencer à négocier les choses qui étaient déjà acquises et faire à nouveau de nouvelles concessions en échange. Grâce à cette clause, la Commission Européenne dispose d’un instrument d’extorsion très efficace. Les gouvernements, qui ne se conforment pas aux demandes européennes, risquent la perte de leurs préférences actuelles. Selon les brouillons de l’UE, les Accords d’Association devront traiter « dans une vaste forme de tous les secteurs du commerce, et être complètement en phase avec les règles et obligations de l’OMC ». Ils serviront à la « libéralisation progressive et réciproque du commerce des biens et des services ».

Une libéralisation réciproque signifie que les pays latinoaméricains auront à mettre en application les mêmes niveaux d’ouverture de marché que l’UE, sans considérer le gigantesque abime économique qui existe entre les deux parties. Les Accords d’Association pointent le démantèlement de tous les tarifs douaniers dans une période qui « ne devrait pas dépasser 10 ans ». Une soi-disant « clause de révision » devra faciliter l’ouverture progressive de marchés pour les produits qui n’ont pas été complètement libéralisés après être entrés dans une phase de libre commerce. Par le biais des rounds successifs de négociation, l’UE cherche à éliminer toutes les barrières commerciales restantes. En conséquence, les gouvernements andins et d’Amérique Centrale perdront tout instrument pour protéger leurs petits agriculteurs ou les entreprises locales en face des exportations hautement compétitif et souvent subventionnées de l’Union Européenne.

Pour faciliter et protéger les investissements européens, l’accord prévoit des « cadres pour l’établissement » qui se baseront sur des principes de "non-discrimination, d’accès à des marchés" et des « principes généraux de protection ». De plus, l’UE veut les « règles de concurrence » qui restreignent un « comportement anti-compétitif », comme par exemple, des aides de l’Etat à des organismes publics ou des entreprises locales. L’UE demande le contrôle privé progressif des services publics et une « libéralisation progressive » des marchés latinoaméricains d’achats gouvernementaux, y compris aux « d’organismes publics dans les secteurs de l’eau, l’énergie et le transport ».

Les mandats de négociation européens constituent une offensive néolibérale contre des services publics déjà affaiblis. Tandis qu’ils ignorent toutes les mauvaises expériences de privatisations manquées, les négociateurs s’opposent à beaucoup d’efforts pour récupérer le contrôle démocratique des biens publics comme l’eau, l’énergie ou la terre. En même temps, ils sapent les politiques de redistribution de la richesse, des réformes agraires ou les nationalisations de ressources naturelles, qui sont réalisées en Bolivie ou Équateur. Il est particulièrement gênant de regarder comment l’UE réintroduit ce qu’on appelle les "sujets de Singapour" qui comprennent les règles d’investissements, de concurrence et d’achats gouvernementaux, qui ont été déjà repoussés par l’OMC. Dans ce sens, les Accords d’Association seront des accords "OMC plus" vraiment très dangereux.

* Enrique Daza, membre du Réseau Colombien d’Action face au Libre Commerce (RECALCA), et du Secrétariat Exécutif d’Alliance Sociale Continentale, AS.

Traduction de l’espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi

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