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1er mars 2010

ALBA
SUCRE un instrument monétaire au service du bloc régional en Amérique Latine

par Luciano Wexell Severo *

 

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Introduction

L’objectif de ces lignes est de présenter de façon générale ce qu’est le SUCRE – système unique de compensation régionale de paiements-, ce que sont ses fonctions, et comment il fonctionnera à partir de 2010. Pour cela, il est important de faire une brève présentation des systèmes de paiements de la région qui facilitent le commerce.

Depuis soixante ans environ, la monnaie qui domine les transactions internationales est le dollar étasunien, fonction qu’exerçait au XIXéme siècle la Livre britannique. Si d’un coté la monnaie d’un pays hégémonique est bien acceptée par de nombreux pays, d’un autre coté, les monnaies nationales des autres pays ne sont pas ou peu acceptées hors de leurs frontières. Ce qui signifie qu’aujourd’hui tous les pays cherchent à se procurer des dollars.

L’histoire économique des pays latinoaméricains démontre que pratiquement tous ont souffert ou souffrent d’un problème chronique pour obtenir une quantité suffisante de devises pour clore leurs comptes internationaux. Ils ont besoin d’exporter chaque jour davantage, de contacter des prêts internationaux, ou d’attirer des capitaux étrangers - que ce soit à travers l’aliénation des facteurs productifs nationaux ou de la forte rémunération d’activités spéculatives. A ce problème d’absence ou d’insuffisance de devises dans les pays périphériques correspond une restriction ou vulnérabilité externe. C’est un des principaux problèmes du sous-développement.

Les antécédents du Sucre

Durant la crise des années trente, face à l’extrême difficulté d’obtenir des devises, Hjalmar Schacht, alors ministre de l’économie et des finances de l’Allemagne, a présenté un système innovant de commerce qui donnait la possibilité aux pays d’augmenter les échanges sans avoir besoin d’utiliser la monnaie internationale de référence. Pour qui s’y intéresse, cela vaut la peine d’enquêter sur le premier système monétaire régional créé en Europe en 1950, l’Union européenne de Paiements, un accord de crédits réciproques fondamental dans la construction de l’Union Européenne. A la même époque, la CEPAL (Comission Economique pour l’Amérique Latine) a proposé la création d’un système régional de paiements compensés.

Au milieu des années soixante, les pays membres de l’Association Latinoaméricaine pour l’Intégration (ALADI) ont décidé de créer un mécanisme qui permettrait la réalisation d’un commerce intra-régional en utilisant moins de dollars. En plus de faciliter le commerce, l’initiative servirait à diminuer la dépendance que chacun d’entre eux avait face à la monnaie internationale. Ainsi dans cadre de l’ALADI, fut créé en 1966, le CCR (convention de paiements réciproques). Participaient à cette initiative les banques centrales de 12 pays : Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Equateur, Mexique, Paraguay, Pérou, République Dominicaine, Uruguay et Venezuela. Toutefois, ce fut seulement en 1982, compte tenu de la crise de la dette externe et de la dégradation des problèmes de restriction externe des pays périphériques, que le dit « Convenio ALADI » a gagné en force. L’instrument s’est avéré effectivement rapide, sûr et pas cher, remplissant sa fonction de facilitateur des paiements des échanges commerciaux intra -régionaux.

Comment a fonctionné le « Convenio ALADI » jusqu’à aujourd’hui ? Les banques centrales des pays signataires ont pris l’engagement d’accepter les débits provenant des opérations d’importation et d’exportation réalisées dans le cadre de l’ALADI. Les débits et crédits de tous les pays sont compensés multilatéralement tous les quatre mois, au dernier jour ouvrable des mois d’avril, août et décembre de chaque année, de façon à ce que seuls les soldes qui en résultent soient transformés en dollars. Ainsi, cet instrument a permis la compensation des paiements des exportations et importations réalisées entre les pays, diminuant leur besoin d’avoir recours aux dollars pour mener les transactions internationales et allégeant leurs problèmes de restriction externe. Le mécanisme a pour objectif de réduire les flux internationaux de dollars et de préserver les réserves internationales des pays membres. Dans les moments de crise, durant lesquels s’intensifie le problème de manque de devises, le « Convenio ALADI » a représenté une solution majeure pour les pays. Beaucoup de gouvernements ont rendu comme son utilisation obligatoire pour leur commerce intra-régional, ce qui a dopé l’augmentation de son utilisation jusqu’à la fin des années 80. Pendant quelques années, près de 90% de la valeur de toutes les importations intra-régionales a transité à travers le « Convenio ALADI ». Ce qui signifie que le dollar en tant que tel a été utilisé pour le paiement de seulement 10% des dites importations.

Evidemment ce mécanisme ne convenait en rien aux Etats-Unis, qui ont vu la perte du pouvoir de domination du dollar. La réaction étasunienne se traduisit de forme claire et indiscutable dans le dénommé Accord de Bale, en 1988. Le Fonds Monétaire International (FMI), organisme contrôlé par le gouvernement étasunien, fit en sorte de limiter le Convenio. Au Brésil, le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso a été un des premiers à restreindre son utilisation. Et cela n’a pas tardé pour que l’Argentine et d’autres pays en fassent de même. Sans les principales économies de la région, le mécanisme a perdu de sa force et pratiquement disparut : en 2003, 1,5% seulement des importations intra-régionales passaient par le biais du « Convenio ALADI ».

En plus des restrictions, interdictions, ou manques d’émulation des organismes financiers internationaux, il est apparu évident qu’en général, les pays pensent seulement aux initiatives de ce type quand il est extrêmement difficile d’obtenir des devises. D’un autre coté, bien qu’il y ait des ressources disponibles, il arrive souvent qu’on préfère recevoir les paiements en cash que d’avoir des dettes étrangères durant quatre mois –surtout dans le cas de pays qui obtiennent des excédents commerciaux élevés dans le commerce régional. En 2003, le président du Brésil Lula da Silva, a levé les restrictions faites au « Convenio ALADI ». A partir de 2004, le Venezuela a intensifié comme aucun autre pays l’utilisation de cet instrument. Depuis lors, on a remarqué une réactivation du mécanisme : en 2008, il représentait quasiment 9,0% des importations intra-régionales. Malgré cette amélioration, le Convenio continue à être sous utilisé, alors qu’il intègre quasiment aucun pays d’ Amérique Centrale et des Caraïbes.

Le Sucre et son fonctionnement

Dans les premières semaines de 2010, les pays qui ont intégré l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique (ALBA) ont concrétisé leurs discussions pour mettre en marche le Système Unique de Compensation Regionale des paiements (SUCRE).

Le mécanisme porte le nom de l’ancienne monnaie équatorienne, substituée par le dollar à la fin des années 90. De plus, elle fait référence au libérateur Antonio José de Sucre, qui a pris part de façon notable aux guerres indépendantistes contre l’empire espagnol.

LE SUCRE est une unité monétaire pour le commerce entre les membres du bloc et non une monnaie en tant que telle. Elle ne circulera pas et sera seulement utilisée par les Banques Centrales comme une façon de comptabiliser les échanges commerciaux. Sa valeur a été définie à 1,25 dollars, bien qu’elle ait pu être établie à 7,42 dollars. Autrement dit, le dollar demeure la référence. Qui sait, avec le temps, il sera possible de substituer le papier de la monnaie étasunienne par un panier de monnaies ou de biens de référence déterminés, comme le pétrole par exemple.

Ce qui importe c’est que, tout comme le « Convenio ALADI », le SUCRE aura la fonction d’enregistrer et de compenser les échanges commerciaux entre les pays, servant d’alternative à l’utilisation du dollar. Avec l’objectif de façonner ce système dans le cadre de l’ALBA, les gouvernements de Bolivie, Cuba, Equateur, Nicaragua et Venezuela ont créé un Conseil Monétaire Régional, qui administrera trois structures : la monnaie virtuelle SUCRE, la Chambre de Compensation des Paiements entre les banques centrales et un Fonds de Réserves et de Convergence Comercial. En plus, des Banques Centrales, la Banque de l’ALBA participera aussi activement à ce procesus. Antigua et les Barbades, la Dominique, le Honduras et San Vicente et les Grenades Font également des démarches pour entrer dans le système.

Le fonctionnement du SUCRE sera très facile.

Témoin, voici l’exemple d’une transaction :

1) Un exportateur bolivien et un importateur vénézuélien se mettent d’accord, déterminant le prix d’un produit X en dollars ;
2) L’ importateur vénézuélien va dans une banque commerciale au Venezuela et s’acquitte en Bolivares du montant correspondant au produit X ;
3) La banque commerciale vénézuélienne remet les Bolívares à la Banque Centrale du Venezuela (BCV), qui les convertit en la quantité équivalente de SUCREs ;
4) Au travers de la Chambre de Compensation des paiements, la Banque Centrale du Venezuela (BCV) “paye” la Banque Centrale de Bolivie en SUCREs ;
5) La Banque Centrale de Bolivie transfère à une banque commerciale bolivienne le montant correspondant en Bolivares (ainsi prend fin le cycle de l’opération sans avoir besoin de dépenser un seul dollar) ;
6) Tous les six mois, on établit un bilan des achats et ventes de chaque pays au sein de la Chambre de Compensation. De telle façon que seul le solde est payé en dollars.

Pour continuer voici une démonstration chiffrée du fonctionnement de la Chambre de Compensation des Paiements.

- La Bolivie achète 100 au Venezuela et lui vend 90 ; elle importe 50 du Nicaragua et y exporte 70.
 Le Venezuela achète 70 au Nicaragua et lui vend 60.
 Au travers de la Chambre de compensation, il y a seulement un transfert monétaire : La Bolivie reçoit 10 du Nicaragua.
 C’est à dire, les transactions légales atteignent 440 et les transferts seulement 10.

Conclusions

En facilitant le commerce régional sans être obligé d’utiliser le dollar, le SUCRE deviendra un outil de stimulation du commerce entre les membres de l’ALBA, qui actuellement est très limité. Selon les données de la Banque du Commerce Exterieur du Venezuela (BANCOEX), en 2008, le pays a importé du reste du monde près de 45,1milliards de dollars. Dont, plus de 11,8 milliards (26% du total) des Etats-Unis. 15% venait de Colombie ; 9% du Brésil et le même montant de Chine. Soit, 60% des achats venezueliens provenaient de quatre pays. Si on ajoute l’Argentine (2,4%), la Bolivie (0,9%), l’Equateur (1,2%), le Paraguay (0,3%), le Pérou (2%) et l’Uruguay (0,5%), on arrive à 7,3%. Cuba représente 0,1% du total des achats vénézuéliens ; la République Dominicaine 0,04% le Nicaragua 0,03%. Las participations de Antigua et des Barbades, la Dominique ou San Vicente et les Grenades sont moindres.
Ces chiffres démontrent que le Venezuela dépense relativement peu de dollars dans ces importations venant des autres pays de l’ALBA.

De l’autre coté, si on observe les achats des pays de l’ALBA provenant du Venezuela la réalité est différente. En effet, sans aucun doute le SUCRE comme alternative à l’utilisation du dollar aura un impact bien plus important pour les autres pays de l’ALBA que pour le Venezuela. Tel est l’engagement que la principale économie de l‘ALBA doit assumer. Le grand effort doit être dirigé jusqu’à la complémentarité des chaines productives et l’intensification du commerce intra-bloc.

De surcroît, il doit être clair que le succès du SUCRE dépend particulièrement de l’équilibre commercial entre los pays de l’ALBA. Parce que l’instrument aurait très peu d’utilité dans des situations de grands déséquilibres dans les balances d’import-export. C’est à dire, plus élevés seraient les montants commercialisés et meilleure serait la complémentarité, plus utile serait le SUCRE. Est aussi important le Fond de Réserves et Convergence Commercial des pays de l’ALBA. Dans le cas du MERCOSUR, il existe aussi un Fond pour la Convergence Structurelle. Le grand défi est de créer des symétries et d’impulser des processus convergents, coordonnés et complémentaires du développement économique, orientés jusque dans la région de production, avec le financement et l’avance technologique. Ainsi, toutes les initiatives récentes qui incluent la Banque de l’ALBA, sont entremêlées.

Le SUCRE n’est pas une fin mais un moyen pour garantir de meilleurs ressources financières et moins de volatilité externe aux pays de l’ALBA. Chaque dollar économisé dans le commerce international intra-regional pourra être assigné à des projets d’industrialisation, modernisation productive, complémentarité économique, meilleure qualité de vie des populations, et des travaux d’infrastructures.

En février 2010 les transactions ont commencé. Dans la première opération commerciale menée avec le SUCRE, le Venezuela a exporté 360 tonnes de riz vers Cuba. A son tour la Bolivie a annoncé l’achat de ciment vénézuélien alors que le Venezuela va importer de ce pays du bois, des denrées alimentaires, du textile, et de l’artisanat. Voilà qui ouvre le chemin. Maintenant il s’agit d’approfondir les études et les travaux et l’engagement des pays pour ce long processus d’intégration régionale en faveur des peuples.

Traduit de l’espagnol pour [El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi
Paris, le 26 février 2010.

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