Portada del sitio > Imperio y Resistencia > Capitalismo senil > A quoi ressemblera la relation transatlantique que prépare Donald Trump ?
La multipolarisation de la planète passe actuellement par la phase de bipolarisation que nous avions anticipée dès 2009 si l’Europe ne parvenait pas à se repositionner intelligemment dans le cadre d’une prise en compte lucide de la grande reconfiguration géopolitique globale.
Après le Moyen-Orient (pour le moment sans succès puisque le régime iranien n’est pas encore tombé [1] – mais c’est en novembre que les sanctions prennent effet [2]), les Etats-Unis de Trump ont commencé à s’occuper sérieusement de reconstruire la relation transatlantique dont ils ont besoin pour assurer leur relance économique et tenter de maintenir leur domination face à l’influence croissante de la Chine.
Avec sa fameuse « guerre commerciale », Trump a bel et bien enclenché cette bipolarisation entre un monde chinois et un monde américain que sa politique sert : d’une part les pays/régions qui réorientent leurs marchés vers la Chine [3], et de l’autre ceux qui préfèrent resserrer leurs rangs autour de Washington plutôt que perdre le marché américain [4]… surtout au moment où l’économie américaine redémarre [5].
En ce qui concerne l’Europe, notre équipe n’a jamais eu de doute que si un choix lui était imposé, elle commencerait par revenir à ses vieilles habitudes plutôt que d’opter pour une aventure orientale. C’est à ce choix que Trump contraint actuellement l’Europe, et un nouveau cadre de relations transatlantiques est sur le point de voir le jour dont nous explorons dans ce numéro les fortes caractéristiques que nous entrevoyons déjà. Nous analysons également le processus politique par lequel l’Amérique de Trump entend arriver à ses fins, un processus qui sera un paramètre déterminant dans la série de transformations que l’UE s’apprête à enregistrer. L’élection européenne de 2019 est toujours d’après nous un point de bascule de ces évolutions.
Voici trois informations indiquant un durcissement de la politique européenne des Etats-Unis :
Ce genre de nouvelle vient confirmer le scenario que nous avions formulé juste après l’élection de D. Trump où, à l’inverse de toutes les conjectures de l’époque sur l’inévitable éloignement européen des Etats-Unis avec un tel président à leur tête, nous mettions en garde contre un risque d’émergence d’une « Union Transatlantique » en remplacement de l’Union européenne [12].
Compte tenu de certaines évolutions récentes et à l’approche de la prochaine élection européenne, il est temps de faire un point sur cette anticipation qui se précise.
Comme chacun sait, Trump utilise des techniques de négociation issues de la « théorie des jeux » [13] qui se résume essentiellement à jouer « au plus fou » [14]. Mais que cherche-t-il ? [15] Trump veut réorganiser le commerce mondial d’une manière qui serve mieux les intérêts de son pays et intégrant de ce fait davantage les souverainetés nationales en général [16]. Il a discrédité les grandes arènes de négociation (G7, OMC, etc.) et invite toute la planète à sa table : Mexique, Canada, Europe, Chine…
Résultat des courses, cet été, le Mexique se déclare d’accord pour un nouvel accord TAFTA [17] que le Canada tarde certes à rejoindre mais finira sans aucun doute par rallier. Les points d’achoppement sont :
Ces clauses, celles-là mêmes qui ont mobilisé les activistes anti-CETA et anti-TTIP des deux rives de l’Atlantique, ont été écartées à la demande de Trump et après un prompt assentiment du nouveau président mexicain. Le Canada en revanche annonce déjà que ses lobbies bloqueront la signature de tout accord n’intégrant pas ces clauses… Difficile de deviner le compromis que Mexique, Etats-Unis et Canada trouveront à ce sujet, mais ils en trouveront un. Et gageons que le modèle servira au grand accord transatlantique.
Échanges commerciaux entre États-Unis, Canada et Mexique.
Source : Seeking Alpha.
Les Etats-Unis sont donc déjà sur le point d’avoir resserré les rangs à marches forcées d’une Amérique du Nord dont la cohésion battait franchement de l’aile. Et ce d’autant plus que la récente signature du fameux accord canado-européen, dit CETA, réduisait l’influence des Etats-Unis sur son voisin nordique depuis son adoption par le Parlement européen en février 2017 [20].
Lorsque Trump parle d’un rééquilibrage en faveur des Etats-Unis des relations commerciales mondiales, il faut l’entendre : d’une certaine manière, si l’Europe a pu développer pendant plusieurs décennies son marché et ses infrastructures, c’est aussi grâce au fait qu’elle n’a pas ou peu eu à investir dans sa défense ; de même, la dépendance de l’Europe au système financier américain lui a également donné accès à peu de frais à de puissants outils d’influence internationale… L’aliénation européenne au transatlantisme, que nous dénonçons souvent car c’est une stratégie de courte-vue et de gagne-petit, s’explique aussi par le facilité qu’elle fournissait aux intérêts économiques européens. Mais cette influence américaine sur l’Europe a fini par coûter cher aux Etats-Unis : appauvris par la saignée permanente de ses dollars vers le reste du monde – et en particulier l’Europe –, la relation d’influence avait souvent tendance à s’inverser entre les deux rives dans certains secteurs : rachats d’entreprises américaines majeures par les Européens [21], accord commerciaux préférentiels euro-canadiens, imposition du système de régulations européennes [22], etc. Il est probable que dans le prochain modèle transatlantique que nous concocte Trump, les Européens en seront pour leurs frais à continuer d’utiliser les Etats-Unis comme gardiens de la paix bénévoles et distributeurs à billets.
Bien sûr, cette présentation de l’ancienne relation transatlantique est caricaturale mais il est important de comprendre comment une partie de l’establishment américain perçoit l’Europe… et pourquoi les choses sont en train de changer…
Geab n° 127. Paris, le 15 septembre 2018
[1] Rappelons que nous anticipons la chute du régime iranien : entre crise financière (source : Voice of America, 05/09/2018), économique (source : Times of Israel, 13/09/2018), politique (sources : Xinhua 28/08/2018 ; RadioFarda, 21/08/2018), et géopolitique (les habitants de Basra en Iraq, traditionnel allié de l’Iran, protestent contre l’Iran : Independent.ie, 08/09/2018), la survie du régime des mollahs ne tient plus qu’à un fil.
[2] La Chine, qui officiellement brave pourtant l’interdit américain, a en fait déjà réduit ses importations de pétrole iranien. Source : OilPrice, 06/09/2018
[3] La campagne menée actuellement pour rendre impopulaires les financements des Chinois le long de la route de la soie porte certainement ses fruits (source : SouthChinaMorningPost, 13/09/2018). Néanmoins la liste des pays optant pour un rapprochement avec la Chine ne cesse d’augmenter. En témoigne la décrue du nombre de pays reconnaissant Taïwan comme pays indépendant (source : SouthChinaMorningPost, 13/09/2018) ou la récente décision du Népal ne pas participer aux exercices militaires indiens alors que ce petit pays traditionnellement proche de l’Inde vient de participer à des exercices du même type avec la Chine (source : SouthChinaMorningPost, 13/09/2018).
[4] Cet article de South China Morning Post est éloquent, qui décrit un rejet mondial des capitaux chinois et ne liste que des pays caractéristiques du camp occidental : Canada, Allemagne, France, Australie, Japon. Cette note de bas de page comparée à la précédente suffit à comprendre la bipolarisation qui se met officiellement en route actuellement. Source : SouthChinaMorningPost, 14/09/2018
[5] La presse est remplie de chiffres mirifiques témoignant du redémarrage de la machine productive américaine. Source : WallStreetJournal, 28/08/2018
[6] La lecture du joint statement, disponible uniquement en anglais bien sûr, est édifiante : Commission européenne, 25/07/2018
[7] Cette information nous intéresse d’autant plus que nous avons anticipé des changements dans les relations entre Groenland et Danemark en conséquence des perspectives économiques ouvertes par la route maritime du nord pour un Groenland polarisant des indépendantistes prompts à comprendre qu’il y a là matière à autonomie économique, et un Danemark d’autant plus intéressé à garder une île en passe de devenir rentable. Voir « Océan Arctique 2020-2050 : nouvelles routes maritimes et changement de donne géopolitique », GEAB N°121, 15 janvier 2018
[9] Source : TheGuardian, 08/09/2018
[12] Source : GEAB N°109, 15/11/2016
[13] Source : The Conversation, 08/06/2018
[14] Encore faut-il être en position de force pour gagner ! Yanis Varoufakis, lorsqu’il était Ministre de l’économie grecque a également employé cette technique – notamment en prétendant être prêt à faire sortir son pays de la zone euro. On en connaît le résultat : ne gagnent à ce jeu que les plus décidés ou les plus forts.
[15] Le mépris des médias pour Trump est une catastrophe qui sert admirablement ses visées. Les discours sur l’incohérence du personnage bloquent l’élaboration de toute stratégie.
[16] Intégrant de ce fait davantage les souverainetés nationales en général. Source : Bloomberg, 30/08/2018
[17] [Source : The Atlantic, 27/08/2018
[18] [Entre le jour où nous rédigeons cet article et sa relecture, le Canada a accepté la revendication américaine. Source : Financial post, 12/09/2018
[20] [Source : Parlement européen, 15/02/2018
[21] [Source : Wall Street Journal, 06/04/2018
[22] Source : The Telegraph, 22/02/2018