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9 avril 2015

Uruguay contre Venezuela : Encore une fois « l’État tampon » ?

par Raúl Zibechi *

 

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« L’emprisonnement d’opposants est inquiétant », a dit le Ministre des Relations Extérieures de l’Uruguay, Mr Rodolfo Nin Novoa. « C’est très préoccupant. Surtout pour un pays qui a vécu les mêmes situations que vivent maintenant une partie des Vénézuéliens, cela fait plus de 30 ans, et nous avons du partir vers l’étranger pour demander de l’aide. Parce que les droits de l’homme sont l’unique domaine où l’argument de la non ingérence dans des sujets internes d’un pays n’est pas valable » (L’Observador, le 7 avril 2015).

Les déclarations du Ministre uruguayen ont eu lieu quelques heures avant le Sommet des Amériques au Panama, et confirment le virage profond de la politique extérieure du gouvernement de Tabaré Vázquez, qui a pris ses fonctions de Président de l’Uruguay il y a à peine un mois. Pire encore : d’une certaine façon il compare la situation au Venezuela à la dictature militaire uruguayenne.

Il est étonnant que le gouvernement uruguayen concentre ses critiques sur le Venezuela et passe sous silence les milliers de violations des droits de l’homme qui existent au Mexique, y compris des assassinats et des disparitions. Il est surprenant que ces affirmations du Ministre aient lieu quand les États-Unis entreprennent une importante campagne contre le Venezuela et que rien ne soit dit à ce sujet.

En réalité, ce n’est pas la première fois que le gouvernement de Vázquez s’oppose à d’autres gouvernements progressistes de la région. En 2011, il a reconnu que pendant son premier mandat (2005-2010) durant le conflit avec l’Argentine pour l’installation de l’usine de fabrication de pâte à papiers Botnia dans la ville de Fray Bentos, il avait demandé le soutien des États-Unis (en somme à Condoleeza Rice, Secrétaire d’État à l’époque, face une éventuelle guerre entre voisins).

Mais il était allé nettement plus loin dans un échange avec Hugo Chavez, quand Vazquez voulait signer le TLC avec Washington. Selon le président uruguayen lui même, il a dit à Chavez que l’Uruguay était disposé à déclarer la guerre aux États-Unis si le Venezuela arrêtait de vendre du pétrole à ce pays. Vazquez a rappelé que Chavez lui a dit « Tabaré, tu vas signer un traité de libre-échange avec l’empire... ». « Oui, s’il est favorable à l’Uruguay, oui. Toi tu ne vends pas de pétrole aux États-Unis ? Si tu ne leur en vends plus, je déclare la guerre aux États-Unis », a-t-il affirmé devant les rires du parterre. « Je veux leur vendre de la viande, de la laine, de la terre, du sable... ce que je peux parce que c’est du travail pour nos gens », a remarqué Vázquez [Voir les déclarations complètes en esp. : Vázquez pidió ayuda a Bush por posible guerra con Argentina, le 12 Octobre 2011].

La conversation reflète une manière de voir le monde qui est devenue hégémonique dans une grande partie du monde. Une logique qui dit que tout ce qui génère de l’emploi est nécessaire pour le bien-être de la population. Mais cette logique est non seulement trompeuse mais elle peut mener à des situations où l’unique projet du pays est de vendre, de gagner de l’argent, d’avoir des revenus. Donc le pays arrête d’avoir des projets de long terme, comme l’intégration régionale.

L’attitude du gouvernement uruguayen est doublement problématique.

En premier lieu, il ignore que nous vivons une transition vers un monde unipolaire, dans lequel il y aura encore plus de conflits que maintenant, et chacun devra y prendre part. Il est possible que, par pur pragmatisme, ce gouvernement ait déjà choisi que sa place dans le monde se trouve à côté des États-Unis. Il serait bon de le savoir.

En deuxième lieu, ils peuvent et doivent formuler des critiques à propos du Venezuela. Mais quand un pays, qui vit un processus complexe de changements, est agressé par la principale puissance du monde, il est obligatoire de se mettre du côté de l’agressé. Des gouvernements conservateurs comme celui de Juan Manuel Santos n’ont pas hésité à le faire. C’est pourquoi ce que fait le ministre des affaires étrangères Nin Novoa, avec l’appui indubitable du président Vazquez, a l’air d’une ignominie.

La pire hypothèse serait que l’Uruguay ait choisi de recommencer à jouer le rôle « d’État tampon » que lui avait assigné la couronne britannique quand elle a appuyé l’indépendance, avec l’objectif évident « de mettre du coton entre deux cristaux », comme Lord John Ponsonby le disait quand il a géré la naissance de l’Uruguay en 1830, en évitant que continuent les guerres entre le Brésil et l’Argentine. Mais derrière la création d’un nouveau pays, se trouvait l’intérêt de la nouvelle puissance hégémonique, l’Angleterre, à s’assurer la navigation sur les fleuves pour faciliter le commerce, arme principale de son expansion impériale.

Il serait pénible que presque deux siècles après, l’Uruguay joue encore une fois à diviser la région, à être utilisé comme fer de lance contre le Mercosur et, en particulier, contre l’Argentine et le Brésil.

Raúl Zibechi pour Alai-Amlatina

Alai-Amlatina. Quito, 8 avril 2015.

* Raúl Zibechi Journaliste uruguayen, est enseignant et chercheur à la Multiversidad Franciscana de l’Amérique Latine, et le conseiller de plusieurs groupes sociaux.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo. Paris, 9 avril 2015.

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