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29 août 2005

Uruguay, à pas forcés, s’ouvre à la vérité.

 

Le peuple uruguayen prend connaissance d’une réalité qui, depuis plus de 32 ans, au nom d’un "accord de silence" aujourd’hui reconnu, lui a été occultée. Et "l’opération carotte", langage semi-mafioso, est entrée sans aucune rougeur dans les documents signés par les plus hauts fonctionnaires uruguayens. Ce changement vers la vérité, promu par le nouveau gouvernement, a des répercussions incalculables. Actuelles et futures.

Par Hugo Cores
La République, 26 août 2005

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Un objectif qui était en suspens

Actuelles : chaque fois, il est plus difficile de trouver quelqu’un qui défend l’action répressive pendant la période 1972-1985. Chaque fois, il s’avère plus difficile, aussi, de trouver quelqu’un qui défende la politique de dissimulation, pilotée depuis le pouvoir par les blancos et les colorados, avec des soutiens divers dans la société, dans le monde académique et médiatique.

La confirmation par la Force Aérienne du second vol d’Uruguayens kidnappés en Argentine, est un autre pas vers la vérité et augmente la gravité des crimes commis par la dictature.

Face à ces vérités, il y a eu des vacillements. Même s’il n’a pas manqué, à gauche, de gens affirmant, il y a à peine quelques mois, que les problèmes de l’impunité intéressaient seulement un petit noyau de personnes !

Passant au-dessus de treize années de lutte populaire.
Perd du terrain aussi la « pamperade », qui soutenait l’idée des deux démons : Celle "des anciens rivaux qui devraient s’asseoir finalement dans une table pour se mettre d’accord et pacifier définitivement le pays".... Ces phrases que vous avez tant entendues, simples comme un proverbe mais plus fausses qu’un billet de 12 pesos.
Le schéma salvateur de deux démons pactisant et s’étant pardonné mutuellement, passe au-dessus de treize années de lutte populaire.

Il élude la description de ce qu’a été le régime de terrorisme d’État, non seulement dans ses aspects "militaires", qui en réalité ont été surtout policiers mais quant à la complicité d’une partie du personnel politique des Partis Traditionnels qui ont usurpé les postes de gouvernement, législatifs, enseignants, diplomatiques et d’autres. Une telle théorie "blanchit" les dirigeants civils du « processus », puisque les crimes et les tortures ont commencé avant le coup de 1973.

Un bilan du terrorisme d’État prend de l’importance aujourd’hui, quand l’État a cessé d’être terroriste et, qu’ un nouveau gouvernement, démocratique et populaire, permet que les institutions soient un instrument pour un vrai changement social.

Récupérer une citoyenneté active

Nous pouvons tous vérifier jour après jour que le degré de mobilisation populaire de 2005 est plus faible qu’avant. On sort moins dans la rue, on a des réflexions en commun seulement de temps à temps. Des propositions politiques font défaut sur d’importants sujets.

Il y a, au moins, deux grandes raisons pour lesquelles le peuple uruguayen est aujourd’hui moins mobilisé : la première est le poids du chômage, surtout dans l’industrie.

Cela nous le devons au long cycle du néo-libéralisme. Tracassé par la faim et l’insécurité, des dizaines de milliers de travailleurs, autre fois syndicalisés, vivent dans l’angoisse du quotidien, sans temps, ni force pour envisager une participation active à la vie politique du pays.

L’autre raison provient du terrorisme d’État et de ses séquelles, de la longue impunité passée. Et l’impunité passée tend à se transformer en impunité présente : si tant de crimes ont pu être commis sans que la vérité soit connue et sans que la justice soit faite, pourquoi devrait- y avoir vérité et justice pour les délinquants à col blanc d’aujourd’hui, les intouchables, les mafieux, les usuriers, les bénéficiaires des appels d’offres truqués, des concessions et autres prébendes ? Affaiblis dans leur pouvoir d’indignation et sceptiques à propos de l’utilisation réelle de l’Etat de Droit, beaucoup de citoyens tendent à penser avec fatalisme que tout continuera de la même façon.

De là l’importance, présente et future, d’en terminer avec l’impunité. L’impunité enlève les énergies démocratiques latentes au sein de la citoyenneté, les empoisonne de scepticisme, de cette vielle et créole incrédulité.

Le contenu de classe de la dictature

Regarder le passé en considérant la participation dans l’action perverse des deux démons, a contribué à éliminer de la scène d’autres formes de participation populaire. Les facteurs de l’œuvre sont deux petits pôles et il est paru que cela les intéressait beaucoup que les treize années de dictature soient présentées ainsi, comme l’histoire d’une bande contre une autre, comme l’épopée d’un groupe de conjurés contre un autre, aujourd’hui finalement tous repentis de la même façon.

Remarquez qu’il a fallu attendre presque jusqu’à fin 2003 pour qu’apparaissent les premiers travaux, véritablement basés sur des témoignages, sur ce qui était arrivé dans le Pénitencier de Libertad, fait qui a concerné, au moins, 2.873 prisonniers : tout un peuple. Et ce qui c’était passé avec leurs familles.

Pendant vingt ans de démocratie, le facteur reducteur des deux démons est arrivé à un tel point , qu’est restée en dehors de la mémoire collective l’analyse d’un phénomène de dimension sociale, comme fut le grand nombre des prisonniers politiques qu’il y a eu dans ce pays. Parce qu’au chiffre donné plus haut il faut ajouter celui des femmes emprisonnées, les milliers de gens emprisonnés sans être accusés et ceux qui ont accompli des condamnations dans des unités militaires de l’intérieur. Et les disparus.

Et même se limiter seulement aux prisonniers ne dit pas tout sur le terrorisme d’État, qui a été un filet lacérant qui a serré de manière oppressive tout l’ensemble du corps social, en l’asphyxiant : proscriptions politiques, contrôle des médias de communication. Et tous les citoyens classés dans trois catégories : A, B et C. Dotés de la faculté d’interdire, les usurpateurs du pouvoir, ont tout classé : jusqu’au tangos de Gardel. Et surtout les travailleurs. Les "listes noires" qui ont permis le renvoi de milliers de syndicalistes qui ont ensuite été dans l’impossibilité d’obtenir du travail dans le pays.

L’objectif était de paralyser toute forme de résistance politique ou corporative. Toute aspiration de penser les choses avec sa propre tête.

Résultat de ce trait social de la dictature, des dizaines de milliers de travailleurs ont été jetés de la ville vers des quartiers marginaux, dépouillés d’une bonne partie des leurs droits de citoyens et de moyens pour se défendre eux et leur famille. Et, le salaire réel a baissé de moitié.

Les temps changent

Enfin maintenant vient le temps de la vérité. Et il s’agit de récupérer la capacité d’exercice de la citoyenneté. De revigorer la conscience de légitimité de la lutte pour les droits, individuels et collectifs, que la longue nuit du terrorisme d’État a essayé d’enlever pour toujours.

L’heure n’est pas d’être au balcon

Tant la paralysie du néo-libéralisme et du terrorisme d’État que la théorie réductrice des deux démons invitent à être des spectateurs aux balcons.
Dans le meilleur des cas, être supporteurs, ou partisans depuis l’extérieur, de l’un ou l’autre. En tant que « balconeadores », nous ne sommes pas en mesure de contribuer à quoi que cela soit, ni dans la tâche du gouvernement, ni dans le progrès du pays.

Le balconeador ne formule pas de demandes, il n’est pas organisé. Tout au plus il applaudit. Il ne dénonce pas, ni juge, ni livre bataille contre ceux qui ont ravagé le patrimoine public. Le balconeador croit, avec erreur, qu’il suffit de voter bien une fois tous les cinq ans.

Evidemment, les balconeadores grandissent arrosés par la salive des politiciens à qui il est confortable de maintenir les gens, converti en un simple public, immobilisé, comme des spectateurs étourdis par ses gestes et ses exploits.

L’empire nous guette

Ils nous attendent des défis titanesques. Les Etats-Unis n’aiment pas l’amitié de notre gouvernement avec celui du Venezuela, ni la reprise de relations avec Cuba.

Les traités signés avec Chavez sont vus comme un risque pour leur domination économique et militaire dans la région. Ainsi vont et viennent les Rumsfelds et toute la clique des fonctionnaires, diplomates et intrigants, qui essayent de maintenir notre Amérique latine fragmentée et faible.

Les intérêts impériaux disposent d’un appui dans des opérateurs sociaux et politiques liés au privilège économique, certains étant enkystées dans des points clef de l’appareil étatique. Mais leur grand allié reste la passivité et la résignation.


Traduction pour El Correo : Estelle et Carlos Debiasi

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