Accueil > Réflexions et travaux > Une époque s’éteint car la réalité compte et bien au-delà du brouillard (...)
par
Une époque est révolue. C’est un monde nouveau, dont la tête émerge timidement d’une coquille d’œuf brisée. La visite de Biden en Israël a donc représenté le long adieu d’une génération américaine distinctive à Israël et au Golfe, alors qu’une époque s’éteint. Le doyen de la presse israélienne, Ben Caspit [1] écrit en hébreu l’éloge funèbre de cette époque :
Biden est venu, peut-être inconsciemment, pour essayer de prolonger un peu plus l’ancienne ère. J’ai déjà vu cela une fois, quand j’étais très jeune. À l’époque, la vieille génération de l’après-guerre pleurait la disparition de l’Empire, incapable de trouver un brin d’empathie pour le désir d’indépendance vis-à-vis du colonialisme qui remodelait le monde. Les « anciens de l’Inde » étaient certains que leurs anciens sujets regretteraient le départ de leurs Sahibs, et qu’à tout moment ils les rappelleraient dans l’Inde qu’ils aimaient. « Vous n’avez pas idée à quel point j’aime cet endroit, plus que vous ne pouvez l’imaginer », a déclaré Biden au président Herzog, debout sur le tapis rouge.
Cet épisode antérieur – le deuil de l’Empire – semble incroyable aujourd’hui. Mais l’histoire, si elle ne se répète pas, trouve en quelque sorte un nouvel écho. À l’époque, les nations réclamaient à cor et à cri l’indépendance de leur État, avant de tomber sous l’emprise idéologique de l’Empire US néolibéral naissant.
Aujourd’hui, une grande partie du monde non occidental abandonne l’idéologie pour réaffirmer ses revendications nationales et civilisationnelles, tandis que Washington et ses divers clients et satrapes restent attachés à la lutte idéologique, au soutien du libéralisme – la seule idéologie qui a survécu au choc des idéologies du siècle précédent. Écouter des gens comme John Bolton aujourd’hui, c’est comme entendre un écho lointain du passé : les voix des « colonels Curry » d’après-guerre qui se souviennent du vieux colonialisme.
À la décharge de Ben Caspit, il reconnaît – en tant que nationaliste et sioniste – que les temps changent, contrairement à la plupart des gens : « La déclaration de Jérusalem que Biden et Lapid ont signée – au rythme où vont les choses – risque de ne plus être pertinente sous peu », écrit-il :
Mais cela passe. Israël se retrouve seul comme le dernier avant-poste d’une idéologie particulière, gardien d’un « bloc de foi » radical tiré en avant par Benyamin Netanyahou, qui « est une voie qui nous éloigne des États-Unis et du monde occidental – et qui nous laissera déchus et brisés », prévient sombrement Caspit.
Même The Hill, un journal qui s’intéresse plus généralement aux détails de la politique du Capitole, a noté le « changement des saisons » en observant que, bien qu’à quelques jours d’intervalle, les réunions distinctes des BRICS et du G7 n’auraient pas pu être plus contrastées.
Alors que les BRICS sont une coalition multiethnique de nations qui se réunissent pour relever les défis économiques du développement économique et social, le G7 est essentiellement un groupe de pays à majorité blanche qui se réunissent dans un chalet pittoresque des Alpes pour discuter principalement de stratégies de sécurité et d’endiguement. Cette divergence ne peut être ignorée, note The Hill, car « un G7 déconnecté pourrait perdre le leadership mondial au profit des BRICS ».
La réalité compte. Et si le G7 a effectivement démontré que l’élite est terriblement déconnectée de la réalité, sa perte de leadership mondial est davantage fonction d’une autre ligne de faille. L’attrait de la Russie, de la Chine et des BRICS est qu’ils bouillonnent d’idées et de nouvelles initiatives, alors que l’Occident se passionne plutôt pour le conformisme idéologique et l’étranglement du débat. L’establishment occidental et ses médias ne montrent aucun signe de remise en question et, à l’exception de quelques-uns, aucune capacité à penser différemment. Le libéralisme, semble-t-il, ne peut pas vivre sans un universalisme agressif.
Le véritable secret de l’attrait mondial du président Poutine est qu’une fois le brouillard mental de l’idéologie levé, le retour de la particularité – enracinement, localité, communauté et civilisation – est permis. Par conséquent, les conditions créées par la multipolarité ont permis aux cultures et aux civilisations les plus importantes du monde de disposer d’un espace pour se réanimer et revivre dans leurs sphères respectives.
L’implication de la compulsion libérale-universaliste de l’Establishment étasunien est qu’à fur et à mesure que les civilisations du monde entier abandonnent cette idéologie, les États-Unis sont laissés à la traîne, comme s’ils se laissaient flotter mollement, tandis que la marée se retire, s’échouant sous le soleil de l’ère à venir.
Alastair Crooke* pour Al Mayadeen
Titre original : « Reality Matters : Beyond the mental fog of ideology »
Al Mayadeen. Beyrouth, le 24 juillet 2022
Traduction de l’anglais pour El Correo de la Diaspora par : El Correo
El Correo de la Diaspora. Paris, le 29 juillet 2022
[1] Ben Caspit @BenCaspit, auteur israélien du best-seller « The Netanyahu Years » , chroniqueur dans, Walla, Maariv, Al-Monitor, Radio 103 fm, présentateur TV.