recherche

Accueil > Notre Amérique > Terrorisme d’Etat > Argentine > Un ex-militaire condamné en Argentine à perpétuité pour la disparition de (...)

5 juillet 2013

Un ex-militaire condamné en Argentine à perpétuité pour la disparition de la française Marie-Anne Erize Tisseau

par Philippe Broussard *

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Jorge Olivera, jugé pour des dizaines d’atteintes aux droits l’homme à l’époque de la dictature, est le principal responsable du destin tragique de Marie-Anne Erize, 24 ans, disparue en 1976.

Marie-Anne Erize a été enlevée en 1976. Son corps n’a jamais été retrouvé.

La famille de Marie-Anne Erize attendait ce moment depuis des dizaines d’années : la justice argentine a enfin désigné des coupables dans l’affaire de la disparition de cette Française de 24 ans, enlevée par un petit groupe d’hommes en civil, le 15 octobre 1976, devant un magasin de cycles de San Juan, une ville du nord-ouest du pays. Son corps, comme ceux de milliers de victimes de la dictature militaire (1976-1983), n’a jamais été retrouvé, mais les principaux responsables de cette opération sont désormais connus. Au terme d’un procès d’un an et huit mois, le tribunal fédéral de San Juan a rendu son verdict dans la soirée de jeudi : le principal suspect, Jorge Olivera, un militaire devenu avocat, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.

Ce procès, qui portait au total sur 60 victimes de la dictature dans la région de San Juan (dont deux disparus et un mort), a également abouti à la condamnation de six autres personnes. Parmi elles, un ancien chef local de la police fédérale, Horacio Nieto, également condamné à la prison à vie.

L’affaire Erize est particulièrement connue en Argentine, où Marie-Anne Erize, issue d’une famille française installée de longue date dans ce pays, fut tour à tour top-modèle à la Une des magazines féminins et guérillera de gauche au sein des Montoneros. Son destin, d’une richesse déroutante, l’a menée de Buenos Aires à Paris, des podiums aux bidonvilles. Recherchée par les militaires arrivés au pouvoir lors du putsch de mars 1976, elle a fini par être enlevée sept mois plus tard, à San Juan.

Dans cette ville, comme dans toutes les autres, fonctionnait alors, en marge de l’armée régulière, une sorte de milice chargée de traquer les opposants hors de tout cadre légal. Jorge Olivera en était le responsable. Agé à l’époque de 26 ans, il menait de front ses activités de « simple » lieutenant au Régiment 22 (RIM 22), et la direction de cette unité secrète dont les membres intervenaient en civil, à bord de voitures banalisées (surtout des Ford Falcon). Selon un ancien chauffeur du RIM 22, dont L’Express a recueilli le témoignage en 2010, le groupe fonctionnait « comme la Gestapo par rapport à l’armée allemande ».

Olivera a toujours nié avoir dirigé une telle unité. De la même manière, il assurait n’avoir « jamais rencontré » Marie-Anne Erize. Mais une enquête publiée par L’Express en 2011 a confirmé à la fois son implication dans la milice et sa responsabilité dans l’enlèvement de la jeune femme le 15 octobre 1976. Ce jour-là, un vendredi, elle fut probablement conduite vers un lieu de détention et de torture situé en périphérie de la ville. Cette prison clandestine était installée dans un centre de vacances de l’armée baptisé « La Marquesita ». Des dizaines de personnes y ont subi des sévices.

Jorge Olivera, catholique intégriste et ultra-nationaliste convaincu,
ici photographié en 2000, est aujourd’hui âgé de 62 ans.
Jorge Olivera, catholique intégriste et ultra-nationaliste convaincu, ici photographié en 2000, est aujourd’hui âgé de 62 ans.
Photo : Nicolas Trombeta/DR


Après avoir quitté l’armée au début des années 1990 avec le grade de lieutenant-colonel, il est devenu avocat, spécialisé dans la défense des anciens tortionnaires. Il s’est également occupé du dossier d’un ancien nazi réfugié pendant des années en Argentine, Erich Priebke.

Ces quinze dernières années, l’affaire Erize a donné lieu à de nombreux rebondissements judiciaires. Un épisode a particulièrement marqué les esprits : la brève incarcération d’Olivera en Italie, à l’été 2000, et sa libération dans des conditions très troubles. La décision de la justice transalpine, prise sur la foi de faux documents fournis par l’entourage d’Olivera, fit scandale et provoqua des frictions diplomatiques. Tout indique que l’ancien « simple lieutenant » du RIM 22 a bénéficié du soutien de réseaux d’extrême-droite, en Argentine mais aussi en Italie.

Sa condamnation est une victoire pour la famille Erize, en particulier sa mère, Françoise, âgée de 85 ans, qui n’a jamais cessé de se battre, depuis 1976, pour savoir ce qu’était devenue sa fille. L’un des frères de Marie-Erize, Etienne se r éjouit lui aussi de ce verdict au nom de l’ensemble de la famille : « cette journée historique marque la fin d’une étape difficile et douloureuse. Pour nous, c’est un soulagement. Les bourreaux ne se sont pas repentis, nous ne savons pas ou sont les restes de Marie-Anne, mais nous savons maintenant que ses assassins seront en prison le reste de leur vie ».

Philippe Broussard, pour L’Express.

L’Express. Paris, le 5 juillet 2013.

***
El Correo vous propose de lire aussi  : MARIE-ANNE ERIZE TISSEAU. « La disparue de San Juan »

* Philippe Broussard, est un journaliste français lauréat du prix Albert-Londres en 1993 et Rédacteur en chef du service « Enquêtes ». de l’Express.

Retour en haut de la page

El Correo

|

Patte blanche

|

Plan du site