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19 décembre 2014

Sud-Soudan, un an de solitude

par Guadi Calvo *

 

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Trente ans de guerre tel est le prix que le Sud-Soudan a payé pour son indépendance ; enfin officialisée le neuf juillet 2011, elle n’a pas laissé celle que les médias baptisent aujourd’hui « plus jeune nation du monde » tel un bébé rose et joufflu, mais comme un peuple dévasté.

Selon les sources, la « jeune » république a assumé le prix de son indépendance en laissant dans son sillage sanglant entre un million huit cent mille et deux millions trois cent mille morts, le détail « insignifiant » des chiffres important peu, car au final tous sont noirs et pauvres. A cette hécatombe, il convient d’ajouter les quatre millions et demi de personnes déplacées, et l’évidente catastrophe humanitaire.

Dans cette lourde addition, nous ne compterons pas la tragédie du Darfour, en 2003, où les milices arabes connues sous le nom de Janjawid (cavaliers armés) causèrent la mort d’environ quatre cent mille ou quatre cent cinquante mille âmes, peu ou prou, mais qui s’en soucie ?

Après l’indépendance le Sud-Soudan ne tarda pas à connaître sa première guerre civile. Elle devait éclater il y a à peine un an, le 15 décembre 2013, basée sur les rivalités entre deux ethnies, sur fond d’intrigue politique où s’inscrivent richesses pétrolières et lutte d’intérêts commerciaux.

Les deux principales ethnies du Sud-Soudan sont les Dinka du président Salva Kiir Mayardit et les Nuer, dont fait partie l’ex vice-président Riek Machar Teny.

Machar tente de prendre le pouvoir par un putsch qui, aux premières heures du quatorze décembre semble avoir abouti, mais le président est rétabli et depuis lors gouverne toujours.

Puis, les différents affrontements à proximité du siège du gouvernement et dans d’autres quartiers de la capitale Yuba, s’étendent rapidement au pays tout entier toujours orchestrés par les deux camps entre lesquels l’armée est divisée.

Selon l’« Instituto Internacional Crisis Grup » la situation au cours de l’année aurait fait cinquante mille morts de plus, aux dires de certains diplomates, toujours en poste, il serait plutôt question de presque cent mille ; le nombre de personnes déplacées dépasserait, lui, les deux millions. Environ six millions de personnes vont avoir besoin de l’aide internationale. Aux victimes il faut ajouter les treize membres de la Mission des Nations Unies pour le Sud-Soudan (UNMISS) morts assassinés au mois de juillet.

Même si ces derniers mois le nombre de victimes a diminué, on peut s’attendre à ce qu’avec le retour de la saison sèche, reprennent les grandes offensives et leurs corollaires de tueries. Selon l’UNICEF, les forces en conflit auraient déjà recruté quelques douze mille « enfants soldats ».

De nouveau la question du pétrole

Rien d’étonnant au phénomène de violence et aux cohortes de morts que génère ce pays si « jeune » et si petit si l’on prend en considération que son sous-sol regorge de richesses (gisements pétrolifères et autres minerais).

Les bénéfices réalisés par les exploitations pétrolières représentent 98% du budget du Sud-Soudan. Le coeur de la zone pétrolifère se trouve dans la région de Bentiu (province de l’Unité), et dans les états de Jongeli et de Warrap où les réserves n’ont pas encore été évaluées mais que l’on soupçonne suffisantes pour que des multinationales s’intéressent au Sud-Soudan.

Sur le sol de la « jeune » république certaines opèrent déjà, telles que la compagnie nationale chinoise CNPC, qui a construit un oléoduc jusqu’à la Mer Rouge et une grande raffinerie près de Jartum, capitale du Nord-Soudan. La CNPC s’est associée dans un premier temps à la compagnie canadienne Talisman puis la compagnie nationale indienne ONGC Videsh est venue les rejoindre.

La CNPC compte déjà près de 25 000 ouvriers au Sud-Soudan. Finalement la compagnie suédoise, Ludin, a aussi participé à l’exploitation de nouvelles ressources découvertes dans le très notoire et très riche Block 5A.

La production totale s’élève à 250 000 barils par an, et se poursuivra jusqu’en 2020, si les régions productrices continuent d’être épargnées par les combats. D’autres grandes compagnies internationales seront également présentes, comme le groupe français Total-Elf-Fina qui s’est déjà adjugé une concession à l’extrême sud du pays, sans qu’elle en ait toutefois démarré l’exploitation.

Par ailleurs, la présence de la CIA et du Mossad dans le « jeune » pays africain n’est pas due seulement aux agissements des chinois, devenus le véritable cauchemar des puissances occidentales en Afrique, en fait, américains comme israéliens veulent en finir avec la contrebande d’armes car, une fois traversé le Soudan, elles arrivent directement entre les mains des miliciens du Hamas, qui, depuis la Palestine résistent à l’implantation de l’Etat sioniste. Washington et Tel Aviv ont ainsi établi une base commune dans l’archipel des Dahlak, en Erythrée, sur la Mer Rouge, d’où, en maintes occasions, les forces israéliennes ont dirigé les bombardements sur de présumés traficants ou extrémistes et d’où ils contrôlent également les activités de l’Iran.

Dans le même temps à Addis Abeba, en Ethiopie, le groupe IGAD, composé des différents pays : Ethiopie, Kénia, Somalie, Soudan, Ouganda, république de Djibouti, Erythrée et Sud-Soudan tente de parvenir à des accords de paix, laquelle semble impossible.

La guerre en Afrique, une de plus, ne signifie rien, pour personne ; terre condamnée à l’oubli et à une solitude éternelle.

Guadi Calvo pour Alai-Amlatina et El Correo

* Guadi Calvo est un écrivain et journaliste. Analyste international spécialiste de l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Collabore avec différents médias et radios en Amérique Latine : dirige sur Facebook : « Linea International », « Journal Hamartia », et « Jornada Latinoamericanas », « Revista Archipielago » (Mexique), « Caratula » (Nicaragua), « A Plena Voz » (Venezuela) Radio Madre (530 AM) Radio Grafica (89.3 FM )

Traduit de l’espagnol pour El Correo par  : Florence Olier-Robine

El Correo. Paris, 19 décembre 2014.

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