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31 mai 2014

Serguéï Lavrov, un homme politique de qualité

par Horacio Bianchi

 

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Voici un portrait de Serguéï Lavrov, Ministre russe des Relations extérieures, l’homme qui a fait que son pays retrouve sa position de sujet indépendant et puissant sur l’échiquier mondial. Durant plus de quarante ans de carrière au sein du Ministère des Relations extérieures de son pays, il a eu un parcours exceptionnel.

Les récents événements en Ukraine et le dénouement de la crise avec l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie ont surpris même les analystes de politique internationale les plus avisés.

La maladresse diplomatique de l’Union européenne et la réaction époustouflante de la diplomatie russe ont jeté le désarroi dans les rangs des Occidentaux confrontés à des faits avérés qui les obligent en quelque sorte à faire marche arrière.

Même si l’on ne peut pas attribuer le succès diplomatique russe à une seule personne, il est indiscutable que l’action de Serguéï Lavrov, ministre des Relations extérieures de la Fédération de Russie, a été du plus haut niveau.

La presse occidentale semble vouloir abandonner l’idée selon laquelle Lavrov serait une récente révélation dans la vie politique russe, probablement pour faire oublier son antérieure « invisibilisation » volontaire de la stature politique du personnage en question. Ce qui est certain c’est qu’à présent, Lavrov est devenu un sujet de curiosité et d’analyse pour le citoyen ordinaire de l’Occident.

En réalité, ce dirigeant a eu un parcours exceptionnel en plus de quarante ans de carrière au sein du Ministère des Relations extérieures de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques dans un premier temps et de la Fédération de Russie à présent.

Il se trouve ainsi que le représentant de son pays aux Nations Unies qu’il fut durant les guerres du Kossovo et d’Irak doit à présent affronter les mêmes scenarios mais depuis un poste différent et ayant beaucoup plus de pouvoir.

Observateur tenace et excellent négociateur, il témoigne d’un nationalisme à toute épreuve qui, dans un style totalement différent, rappelle celui d’un autre ministre des Relations extérieures de l’Union soviétique, Andréï Gromyko, le fameux « Mr Niet » (« Monsieur Non »). Il est en effet tout aussi déterminé et n’accepte que très peu de concessions, voire même aucune, lorsqu’il mène des négociations. Condoleezza Rice et Hillary Clinton enrageaient de devoir discuter avec Lavrov. Glenn Kesser, éditorialiste du Washington Post, affirmait que celui-ci avait atteint la perfection dans l’art d’irriter Rice. Déclaration que Lavrov commentait en souriant : « Celui qui se fâche est rarement celui qui a raison ».

Diplomate perspicace

La situation de la Fédération de Russie au cours de la dernière décennie semblait fort compromise. La débâcle de l’URSS avait ramené les frontières de sa zone d’influence depuis Berlin jusqu’aux limites de son propre territoire. Nombre de ses anciens alliés faisaient déjà partie de l’Union européenne et certains négociaient ouvertement leur entrée dans l’OTAN.

La situation au Moyen Orient n’était guère meilleure. Israël, allié inconditionnel des Etats-Unis, s’est consolidé en tant que puissance nucléaire et hégémonique, menaçant les intérêts stratégiques de la Russie dans la Méditerranée et, par conséquence, ses alliés.

Dans leur engagement militaire écervelé, les Etats-Unis ont détruit le régime de Saddam Hussein en Irak et occupé ce pays. Ensuite les alliés de la première puissance mondiale – avec l’aide de celle-ci – ont renversé et assassiné Mouammar Kadhafi sur la côte africaine de la Méditerranée. L’Iran est également soumis à des pressions qui laissent envisager une possible guerre de conquête de la part des Etats-Unis et leur allié Israël.

C’est alors qu’apparait la figure de Lavrov dans toute sa dimension de diplomate sagace. En Syrie, il est parvenu à stopper le projet de renversement du gouvernement de Bashar Al Assad, sans engager ses propres troupes, il a soutenu la livraison d’armement à l’armée syrienne afin de freiner la coalition multicolore de milices financées par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes, la Turquie, les Etats-Unis et certains membres de l’OTAN. Son action visait à rappeler à l’Occident que la Russie est bien là et qu’elle ne permettra pas des aventures à ses frontières.

Toujours en Syrie, il est le principal acteur dans la crise liée à la possession par ce pays d’armes chimiques en quantités telles que cela alarmait Israël. Lavrov parvient à bloquer le projet d’attaque aérienne israélienne et obtient que, dans le cadre d’une coopération internationale, la Syrie livre son arsenal chimique afin qu’il soit détruit par une douzaine de pays. A la fois, la Russie montre sa détermination à défendre son alliée, la Syrie, et elle s’assure de rester présente dans la base navale de Tartuk, située sur la côte syrienne et qui est l’unique installation militaire russe dans la Méditerranée. Cette crise avait placé le président Barack Obama dans une situation dangereuse, étant donné que s’il ne parvenait pas à désarmer l’arsenal chimique de la Syrie il allait se retrouver à la merci des faucons du Congres étasunien pour avoir eu une attitude de soumission, mais s’il optait pour une intervention militaire il allait devoir supporter le mécontentement de son peuple, qui en a marre de ces guerres coûteuses. Le projet de Lavrov a donc obtenu le soutien enthousiaste de l’Administration des Etats-Unis et en même temps replacer la Fédération de Russie comme acteur principal de poids dans le concert de la diplomatie internationale.

En Iran également, la diplomatie russe dirigée par Lavrov a collaboré dans le processus de démantèlement d’une option militaire – proposée avec insistance par Israël – et l’on est parvenu à un accord crédible pour les Etats-Unis concernant l’enrichissement de l’uranium iranien que serait dorénavant - sous contrôle international - uniquement destiné à des fins pacifiques. Cette démarche a rendu furieux Israël, mais Lavrov tire habilement les fils et il est parvenu à maintenir un consensus avec les Etats-Unis d’Amérique.

Dernièrement, l’Union européenne a impulsé un coup d’Etat en Ukraine et provoqué la chute du président élu qui s’opposait à l’entrée de son pays dans la Communauté Economique Européenne. Et c’est là que Lavrov et Vladimir Poutine ont réussi à transformer une prétendue défaite en victoire tant attendue par les Russes depuis des décennies.

S’appuyant sur le fait que la population de la péninsule de Crimée est russophone et qu’elle était attirée par l’idée d’appartenir à la Fédération de Russie, cette dernière a montré ses troupes, appuyé ceux qui se sont mobilisés contre leur appartenance à l’Ukraine et, après un plébiscite, les parlements de Russie et de Crimée ont confirmé l’annexion de cette dernière par la Fédération. Dans le même temps, la Russie a déployé une armée de plus de 100 000 hommes à la frontière Est de l’Ukraine, également peuplée principalement par des russophones. Ceci sous prétexte d’une prétendue menace qui pèserait sur le bien-être de la population d’origine russe qui habite l’Est de l’Ukraine mais également pour le cas où l’Occident aurait eu l’idée d’intégrer l’Ukraine à l’OTAN.

Ainsi, pratiquement sans avoir tiré un seul coup de feu, la diplomatie russe a freiné les diverses stratégies occidentales en Syrie, Iran et Ukraine, a récupéré la Crimée et assuré sa base navale de Sébastopol gardienne tant appréciée de la Mer Noire. De plus, Lavrov a consolidé l’alliance avec la Chine, inaugurée en mars 2001 avec la signature d’un Traité entre Poutine et le président Jiang Zemin. Actuellement, la Chine est le meilleur client de la Russie pour le matériel de guerre y compris les systèmes sophistiqués de missiles anti-aériens - ceux-là même qui éloignèrent l’aviation occidentale des cieux syriens -, les avions de chasse et bombardiers de dernière génération, les navires de guerre. Les deux pays appartiennent au groupe BRICS – conjointement avec le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud -, formidable alliance économique aux implications politiques indéniables. Le Groupe BRICS a rejeté formellement les sanctions économiques promises par les Etats-Unis et leurs alliés contre la Russie à cause de l’intégration de la Crimée à la Fédération. Dans le même temps, comme pour parachever ses constructions diplomatiques, Lavrov a rappelé aux Européens leur dépendance stratégique concernant le gaz et le pétrole russe.

Battre les cartes et les redistribuer

Le principal sujet de préoccupation de Lavrov c’est celui du positionnement de la Fédération de Russie en tant qu’acteur indépendant et puissant dans l’échiquier mondial complexe. Lui-même affirme dans son article « Russia’s Foreing Policy Philosophy » publié dans la revue International Affairs, de mars 2013 :

« …Le principal résultat de ces discussions a été de faire comprendre qu’une orientation moderne et indépendante de la politique extérieure de notre pays n’a pas d’alternatives ; autrement dit, nous ne pouvons pas envisager, pas même hypothétiquement, une version de la Russie qui serait un pays manipuler par un autre dans l’arène internationale. L’indépendance de la politique extérieure de la Russie est conditionnée par ses dimensions géographiques, sa position géopolitique particulière, sa tradition historique centenaire, par sa culture et le développement de l’identité de son peuple ».

Comme nous l’avons vu, Lavrov considère que la liberté de la politique extérieure russe fait partie du champ de l’inévitable, pour des raisons qui se trouvent au-delà de ce qui motive les personnes qui appliquent ces politiques. Il s’agit pour lui de raisons qui ont à voir avec l’existence objective de la nation et de l’Etat russe.

Pas de doute, Lavrov ne réunit pas les conditions nécessaires pour passer inaperçu. Absorbé par la passion avec laquelle il mène son activité diplomatique, sa personnalité se révèle néanmoins avec la même énergie dans d’autres domaines : il est avide de lectures, bon musicien et compositeur. De plus, il adore la cuisine italienne et ne manque pas de faire des compliments aux belles femmes.

Lors de leur dernière rencontre, alors que le soleil se couchait lentement sur Genève, Lavrov et son homologue John Kerry se reposaient à la terrasse de l’hôtel où ils logeaient, échangeant quelques commentaires sur les vicissitudes de leur longue journée. Très loin de là, la population russe se préparait aussi à prendre un repos bien mérité : tranquille et se sentant en sécurité, pouvant compter pour défendre ses intérêts dans le domaine international sur Lavrov, un homme politique de qualité.


Parcours


Diplômé en 1972 de l’Institut d’Etat des Relations Internationales de Moscou, prestigieuse institution dans le genre des anciens centres de formation professionnelle de l’URSS, Lavrov dominait alors l’anglais, le français et le cinghalais. Il démarre directement sa carrière à l’ambassade soviétique au Sri Lanka, d’abord comme simple employé, puis comme troisième secrétaire. Entre 1976 et 1981, il travaille au Département des Organisations internationales du Ministère des Relations extérieures de l’URSS et part ensuite travailler à la mission permanente de l’Union Soviétique aux Nations Unies (de 1981 à 1988). A partir de 1990, sa carrière connait une ascension ininterrompue. Cette année là il est nommé directeur du Département des Organisations internationales et des Problèmes globaux du Ministère des Relations Extérieures. En avril 1992, il est vice-ministre chargé des Relations Internationales de la Fédération, et en 1994 il devient le représentant permanent de la Russie auprès des Nations Unies (ONU) et aussi le représentant permanent de la Fédération de Russie au Conseil de Sécurité de cette même institution. Depuis le 9 mars 2004, il est ministre des Relations Extérieures de la Fédération de Russie.

Horacio Bianchi pour la revue Debate

Debate. Buenos Aires, le 28 mai 2014.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Marie-Rose Ardiaca

El Correo. Paris, le 31 mai 2014

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