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4 octobre 2013

Que signifie la crise US pour le monde ?

par Fiodor Lukiánov *

 

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Le monde commence à s’habituer à la nouvelle Amérique, un pays de la part duquel on peut s’attendre à tout. La machine politique américaine a toujours été fière de sa capacité à trancher les extrêmes pour trouver le juste milieu.

Aujourd’hui la situation a changé. Des conflits graves éclatent au sein des partis à droite comme à gauche et les positions radicales finissent par dominer, notamment chez les républicains. La "coupure de courant" actuelle au gouvernement fédéral ne devrait pourtant pas durer car ces querelles de politiciens, qui manquent ainsi à leur devoir de compromis, fait du tort à la réputation des deux partis et irrite les électeurs. C’est pourquoi une entente est probable avant mi-octobre. D’ici là une nouvelle augmentation du plafond de la dette publique américaine sera nécessaire, au contraire de quoi les USA ne pourront pas remplir leurs obligations auprès des créanciers. Si vraiment c’était le cas la perturbation serait d’échelle mondiale et le préjudice très important pour l’économie. Il est donc certain qu’après avoir bien tapé sur les nerfs de tout le monde les politiciens américains trouveront un terrain d’entente au dernier moment. Du moins jusqu’à la prochaine crise car une fois de plus, la solution sera un équilibre - fragile par définition.

La superpuissance américaine n’est pas secouée par hasard : elle entre en période de remise en question. Après la Guerre froide les Etats-Unis pensaient être capables de tout : cette époque est révolue. Il y a dix ans on débattait beaucoup sur la "surtension impériale" – Washington n’aurait-il pas endossé un fardeau mondial insurmontable ? Aujourd’hui on passe de la théorie à la pratique. La Syrie est le premier dossier sur lequel l’opinion publique est complètement opposée à l’intervention militaire depuis longtemps. Selon les commentateurs, le fait que près des trois quart des Américains ne veuillent pas d’une nouvelle guerre au Moyen-Orient est logique mais une autre chose l’est moins : ces mêmes personnes sont sûres que Bachar al-Assad a utilisé des armes chimiques contre la population civile. Il y a 5 ou 7 ans, le public aurait accepté sans hésitation de "punir le mal" sous prétexte que l’Amérique est une "cité sur la colline", un "bastion de la vertu". L’opinion a changé depuis et pourrait se résumer ainsi : "La tragédie syrienne est terrible mais ce n’est pas notre affaire, nous avons déjà suffisamment de problèmes".

Par conséquent les politiciens doivent s’adapter à l’opinion pour ne pas perdre sa confiance sur d’autres questions intérieures plus importantes.

L’ordre du jour en matière de politique nationale prime désormais sur la politique étrangère.
Les manœuvres internationales d’Obama sont avant tout associées à sa volonté de ne pas perdre des points dans son pays. Et pour les opposants républicains il est incomparablement plus important d’enterrer la réforme de la santé - cause de l’impasse politique actuelle - que de prendre soin de l’image extérieure de l’Amérique. Il y a deux ans lors d’un autre conflit sur la dette publique, le monde entier avait avalé des antidépresseurs jusqu’à la dernière minute : le congrès et l’administration Obama avaient finalement eu la clémence de s’entendre pour éviter le défaut de paiement. Il faut probablement s’attendre au même scénario cette fois encore.

Par un "geste léger de la main" de Vladimir Poutine, qui a critiqué dans le New York Times la notion "d’exclusivité américaine", ce thème s’est retrouvé sous le feu des projecteurs. Aujourd’hui le pays occupe effectivement une place unique dans le système mondial et pour cette raison toute la planète est secouée lorsque des querelles intérieures commencent aux Etats-Unis. L’aspiration actuelle de nombreux pays à un monde multipolaire n’est pas de l’antiaméricanisme : simplement la volonté de ne pas dépendre autant d’un centre unique.

Autre chose : la politique américaine est cyclique. La phase d’ascension progressive de la puissance mondiale a commencé il y a près d’un siècle et depuis, l’Amérique a monté les marches pour passer leader de l’hémisphère, puis leader en Occident et enfin leader mondial. Mais jusqu’ici les USA avaient une règle, qui consistait à ne pas s’ingérer dans les affaires ne concernant pas directement ses intérêts. Assisterait-on aujourd’hui au début d’un nouveau cycle ? Dans une économie mondiale, l’isolationnisme classique est impossible. Mais refuser de gaspiller de l’argent, des efforts, et rétrécir un peu l’horizon pourrait tout à fait remplacer l’ancienne approche sur le mode "tout nous concerne parce que nous sommes la seule superpuissance".

Dans trois ans les Etats-Unis choisiront leur nouveau président : il pourrait s’agir de l’élection la plus intéressante et la plus importante depuis des années. En prenant le pouls de la société il est facile de s’imaginer que les candidats personnifieront deux notions complètement différentes de l’avenir. L’un appellera à revenir aux traditions de Reagan ou de Clinton l’autre à s’éloigner au maximum de tout pour s’occuper des propres problèmes du pays en priorité. La seconde option reste encore impossible à imaginer. Mais toute l’histoire récente est une chronique de l’impossible qui devient possible.

Les relations russo-américaines paraissent très étranges dans ce contexte. D’une part prédominent une aliénation et des divergences flagrantes concernant les notions de base de politique nationale et l’ordre mondial. Tout comme l’absence d’un ordre du jour tourné vers l’avenir : les anciens thèmes sont pratiquement épuisés sans que de nouveaux soient apparus. D’un autre côté, les deux Etats sont entrés dans une phase de réflexion sur l’avenir, y compris sur leur rôle dans le monde. En dépit de toutes leurs différences évidentes la situation de la Russie et des USA est, quelque part, similaire. Les priorités des deux décennies postsoviétiques ont été mises en œuvre – du moins dans la mesure du possible. Moscou a repris son rôle de centre d’influence à prendre en considération et au sérieux, aussi bien dans les pays voisins que dans les affaires internationales. Et après ?

Une position d’objection ferme ne suffit pas à l’Amérique ni à ses alliés sur la plupart des questions. Premièrement le monde n’a pas besoin d’un conflit mais de solutions, tant la situation est grave. Deuxièmement, au fur et à mesure de l’affaiblissement des Etats-Unis sur l’arène internationale on ne s’interroge pas tant sur la façon de s’y opposer mais plutôt sur la manière de combler le vide d’influence qui apparaît. On se demande qui est prêt à remplir le rôle de réglementateur dans les relations internationales. La Chine ? Tous les regards sont tournés vers elle mais elle n’a certainement pas l’intention de le faire. La Russie s’en passerait également volontiers mais au vu des particularités de son économie et de sa position géopolitique elle sera la première à ressentir les conséquences de ce chaos mondial. Par conséquent, Moscou aura besoin d’apprendre à jouer un rôle pacificateur - et non provocateur.

Le dossier syrien est la première tentative sérieuse menée par Moscou pour s’affirmer comme tel. C’est un risque. Renoncer à la position du "monsieur Non", qui consiste à bloquer toute proposition au Conseil de sécurité des Nations unis est plus sûr que d’entrer dans un grand jeu diplomatique. Mais on ne peut pas s’en passer. Le fait qu’une proposition qui semblait utopique il y a seulement quelques semaines surmonte pour l’instant toutes les entraves politiques montre qu’il existe un besoin de véritable diplomatie. Elle est nécessaire. Et avant tout aux Etats-Unis qui, pour des raisons mentionnées plus tôt, surestiment également leurs réels besoins et possibilités.

A l’époque de la Guerre froide, Moscou et Washington décidaient de tout dans le monde - ou plutôt tout dépendait d’eux. Aujourd’hui la situation a changé mais tout ou presque dépend toujours de ces deux puissances, car il s’avère qu’aucun autre joueur n’est capable de prendre l’initiative pour changer la disposition de l’échiquier.

Fiodor Lukiánov pour RIA Novosti

RIANovosti. Russie, le 3 octobre 2013.

* Fiodor Lukiánov il est diplomé de l’Universidad Estatal de Moscú est actuel president du Conseille de Polítique Exterior et Defense. Et rédacteur en chef du magazine Russia in Global Affairs.

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