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23 mars 2005

Projet de loi concernant la nullité de la dette héritée de la dictature argentine

 

Par Hugo Ruiz Diaz
CADTM, 12 décembre 2004

Le 22 octobre 2004, 15 députés argentins provenant de différentes formations politiques ont présenté un projet de loi pour déclarer odieuse la dette contractée par la dernière dictature militaire [1].
L’article 1 de ce projet de loi (qui en contient trois) est clair et concis : « Déclare odieuse la totalité de la dette publique externe contractée par la dictature militaire durant les années 1976, 1977, 1978, 1979, 1980, 1981, 1982 et 1983 ».

Le projet contient aussi un point capital : la responsabilité des créanciers qui en vertu du droit international sont objectivement redevable de réparations (« dommages et intérêts »). Ce projet de loi ouvre la voie également à exiger un procès pénal contre les dirigeants des institutions financières internationales et des banques privées complices de crimes contre l’humanité pour l’appui donné consciemment à un régime militaire criminel.

Le projet devait être débattu en séance publique le 17 novembre 2004 n’a pas été adopté par manque de quorum. Une majorité de députés se sont absentés afin d’empêcher le vote. Il faut néanmoins souligner qu’en trois semaines, 60 députés avaient signé le projet de loi.

La chambre des députés a l’occasion historique de redevenir un espace démocratique où les intérêts et les droits des citoyens et du pays sont défendus. C’est également une opportunité historique pour en finir avec la crise de légitimité qui mine pratiquement tous les parlements et gouvernements du monde qui ont renoncé à exercer le contrôle sur les affaires publiques pour se transformer en enceintes faisant écho aux intérêts privés. Il s’agit aussi d’une opportunité historique pour contribuer de manière décisive à un processus de développement endogène du continent latino-américain.

En sus d’être odieuse, la dette argentine est une dette entachée de nullité absolue.

Il n’y a pas le moindre doute, tant du point de vue du droit interne mais aussi particulièrement du point de vue du droit international, que la dette contractée par la dictature argentine avec la participation et collaboration étroite du FMI et de la Banque mondiale est une dette non seulement odieuse du point de vue doctrinal mais aussi nulle selon le droit international [2].

Le jugement Olmos [3] a mis en évidence deux aspects essentiels qui renforcent l’argument selon lequel l’Etat argentin n’a aucune obligation juridique de continuer à payer cette dette. En plus, les Etats et les citoyens sont habilités à réclamer par la voie judiciaire la réparation des dommages causés mais aussi que les responsables des banques privées et des institutions publiques internationales soient dûment jugés et condamnés.

Il ressort du jugement Olmos deux éléments particulièrement importants. La dette argentine est odieuse et d’une nullité absolue du fait de :

a - L’existence d’une dictature militaire sanglante, ce qui écarte automatiquement l’application du principe de la continuité de l’Etat qui confère à tout gouvernement postérieur les obligations internationales assumées par son prédécesseur indépendamment du caractère de celui-ci.

b- Le caractère intrinsèquement illicite en droit
international de tous les actes posés par la dictature ainsi que l’absence de tout droit des créanciers à réclamer le paiement d’une dette. Il s’agit d’une relation viciée dès le départ entre d’un côté, un gouvernement de facto qui a perpétré les crimes les plus graves aux yeux du droit international et de l’autre la complicité directe des créanciers qui en sus d’être complices de tels crimes ont participé activement à un système de corruption comme créanciers et comme acteurs principaux du vol systématique et généralisé des ressources de l’Argentine.

Le projet le signale en des termes explicites lorsqu’il affirme que « ... de ce lien spécial entre des crimes de lèse humanité et le processus d’endettement décrit il résulte des conséquences spécifiques... »

Evidemment la question de la responsabilité internationale et pénale est, en plus de la nullité de la dette, un point capital en la matière. C’est dans ce contexte que l’on doit comprendre et interpréter ledit projet.

La question de la responsabilité des créanciers privés, du FMI et de la Banque mondiale : la complicité de crimes contre l’humanité.

Le projet met l’accent sur le fait qu’il existe une « ... complicité manifeste et nécessaire des organismes internationaux de crédit, des banques privées internationales et des entreprises transnationales, qui étant donné la situation du pays ont aussi choisi l’alliance avec le gouvernement militaire face à l’inexistence de contrôles démocratiques permettant de consolider un projet politico-économique sans opposition possible dans le cadre d’une violation massive des droits humains ». Effectivement, le rôle néfaste et la complicité des créanciers privés et publics sont suffisamment analysés et relatés dans le jugement Olmos.

Dans le cas argentin, il n’y a pas de doute que les créanciers ont agi en connaissance de cause. Dans ce cas concret, ils se sont comportés en véritables « organisations criminelles » selon la définition de l’article 11 des statuts du Tribunal pénal militaire de Nuremberg. Leur appui direct à la dictature, à la prise de contrôle de fait du pays, à la corruption de fonctionnaires publics, à la subornation, à l’appropriation indue de biens publics, etc, ne sont que quelques uns des délits auxquels ils ont participé. Cependant, la responsabilité des créanciers ne se limite pas à des délits communs. Ils ont été également complices de crimes contre l’humanité en raison de leur appui conscient et constant à des responsables de l’Etat (de la dictature militaire) qui ont planifié, ordonné et exécuté les plus abominables crimes de lèse humanité : torture systématique à grande échelle, viols de femmes et d’hommes, assassinats, exécutions sommaires, disparitions forcées...

On peut dire que ces organismes, tant publics que privés avec leur attitude d’appui direct à un régime criminel ont rendu possible et encouragé l’exécution de ces crimes. Des éléments factuels manquent pour affirmer qu’ils ont participé directement à la planification et à l’exécution directe sans que ce vide n’atténue leur responsabilité pénale.

Lutte contre l’impunité des institutions financières internationales et des créanciers.

Il convient de rappeler que les crimes contre l’humanité se caractérisent par leur imprescriptibilité. Comme le souligne l’auteur du projet, cela fait que les actions des citoyens qui tendent à obtenir la condamnation des responsables de ces « organisations criminelles », sont également imprescriptibles.

Condamner les membres desdites organisations criminelles est partie intégrante de la lutte contre l’impunité, un moyen pour obtenir les réparations dues et un acte de justice. Mais c’est avant tout un droit inaliénable et imprescriptible qui est à la portée des victimes.

Dans ce cas concret, les responsables des institutions financières ne peuvent invoquer l’immunité pour deux raisons. La première est que l’immunité est liée à la fonction et qu’il n’est pas dans leur fonction d’appuyer financièrement des organisations criminelles. La seconde est qu’il s’agit de violations particulièrement graves du droit international pour lesquels la doctrine et la jurisprudence ne reconnaissent pas l’immunité dans de pareils cas.

Le droit international charge les sujets de droit de l’obligation de respecter et de faire respecter les normes impératives. Dans le cas présent, il s’agit non seulement de la violation de l’obligation de prévention ou diligence due de la part des créanciers privés et publics mais aussi d’une conduite délictueuse qui s’est prolongée pendant un long moment. Les institutions publiques internationales, leurs fonctionnaires et responsables ont eu connaissance de ces crimes (le droit international les plaçait dans l’obligation de savoir avec qui ils traitaient). Malgré cette connaissance, ils ont donné leur appui inconditionnel à un tel régime.

Comme on peut le voir, les intérêts en jeu dans ce projet sont énormes. Mais il est important de souligner qu’indépendamment du rejet ou de l’approbation de celui-ci, les victimes des créanciers privés ou publics, de leur action de violation prolongée et à grande échelle des droits humains devraient entamer les actions visant à ce que les responsables de tels actes illicites et de telles organisations criminelles soient dûment sanctionnés et réparent rapidement et intégralement toutes les autres violations du droit international.

Notes :

Notes

[1Le 26 octobre 2004, le CADTM représenté par Eric Toussaint a rencontré, au parlement national à Buenos Aires, successivement Luis Zamora, Mario Cafiero et Claudio Lozano, trois des quinze députés qui ont déposé ce projet de loi. Le CADTM a apporté son soutien enthousiaste à cette initiative exemplaire.

[2Voir la contribution de Virginie de Romanet, intitulée « Dette odieuse. Le cas de l’Argentine » dans le livre Le Droit international : un instrument de lutte ?, CADTM - Syllepse, Liège-Paris, 2005. Voir également : Eric Toussaint, « Argentine : Le tango de la dette » in La Finance contre les peuples, CADTM - CETIM - Syllepse, Liège-Genéve-Paris, 2004, p. 415 - 434.

[3Pour en savoir plus sur le « jugement Olmos » datant du 13 juillet 2000, voir supra Virginie de Romanet et Eric Toussaint (références in note 1).

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