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5 février 2011

Polémique autour des momies des enfants kollas du volcan Llullaillaco

par Nicolas Simoncini

 

En 1999, une équipe internationale d’archéologues découvrait en Argentine, au sommet du volcan Llullaillaco (6739m), trois momies incas dans un état de conservation exceptionnel. Depuis, l’exploitation de cette découverte ne cesse de susciter la polémique notamment auprès des communautés indigènes.

Cheveux, sourcils, dents, peau, organes, il ne manque presque rien à ces trois enfants que l’on croirait décédés hier. Agés respectivement de 6,7 et 15 ans, La Niña del Rayo, El Niño et La Doncella sont les momies les mieux conservées au monde. Et c’est au Musée archéologique de haute-montagne (MAAM) de Salta en Argentine qu’elles sont préservées avec la plus grande précaution dans des caissons spécialement conçus sur mesure pour éviter leur dégradation…

Au temps de l’Empire Inca

En 1532, date à laquelle les conquistadores espagnols menés par Francisco Pizarro capturèrent l’empereur Atahualpa, l’Empire Inca s’étendait tout le long de la Cordillère des Andes, de la Colombie au Chili, en passant par l’Equateur, le Pérou, la Bolivie et l’Argentine, avec pour centre et capitale Cuzco. L’empire était divisé en 4 grandes régions : le Chinchaysuyu, l’Antisuyu, le Cuntisuyu et le Collasuyu qui englobait une grande partie du nord-ouest et centre-ouest de l’actuel territoire argentin. Les Incas fonctionnaient selon un système unificateur basé sur un strict contrôle des ressources, une agriculture avancée, une hiérarchisation des classes sociales et le paiement de tributs au chef suprême, le Sapa Inca. Très organisés, les Incas s’appuyaient sur la langue Quechua qu’ils avaient imposée et sur un immense réseau routier. A l’occasion de certaines cérémonies telles que la Capacocha, des sacrifices avaient lieu. Dans le cas des enfants du Llullaillaco, il n’y a pourtant pas de signes de violence. « Les enfants n’ont pas été blessés ; ils ont été saoulés à la chicha (alcool de maïs) puis déposés dans un trou dans la terre, à côté d’un important ajuar (vêtements, statuettes…) » explique la directrice du MAAM, Gabriela Recagno. « Selon la croyance, les enfants ne mourraient pas : ils retrouvaient leurs ancêtres, ils devenaient des dieux et veillaient sur les villages environnants depuis le haut des montagnes. Un excellent moyen pour l’Inca de maintenir son autorité dans les provinces éloignés de la capitale ».

Des archéologues ou des pilleurs de tombes ?

Au sommet du Llullaillaco, deuxième plus haut volcan actif au monde, le Club Andin Chilien note déjà en 1952 la présence de ruines archéologiques lorsqu’il réalise sa première ascension sportive. Plusieurs expéditions archéologiques sont ensuite menées mais c’est John Reinhard qui étudie le plus en détail les sites et publie les résultats dans diverses revues scientifiques. En 1999, avec l’appui financier de la National Geographic Society, il organise l’expédition qui mènera à la découverte des momies. Une expédition dont le but n’était pas connu de tout le monde au sein de l’équipe d’archéologues. Dans une entrevue accordée à la revue argentine La Pulseada, Antonio Mercado, qui fut invité à rejoindre le groupe, soutient que le projet initial consistait à vérifier si différents sites situés sur des montagnes de plus de 6000m présentaient des traces de pillage, et d’effectuer en conséquence des actions de sauvetage correspondantes. Après le Quéhuar et le Chañi, l’équipe s’est finalement dirigée vers le Llullaillaco. « C’est un sommet élevé, inaccessible ; avant même de commencer à marcher, je m’étais rendu compte que là-haut personne n’avait rien touché » indique Antonio Mercado. « Des gens étaient déjà arrivés jusqu’au sommet, des alpinistes, mais personne n’avait creusé. Lorsque nous sommes arrivés à notre tour, avec deux autres collègues, nous pensions que nous n’allions rien faire ». Pourtant, John Reinhard avait d’autres idées en tête. Avec une certaine pression sur les épaules, l’anthropologue voulait des résultats. Jusqu’à inventer des preuves ? « Il a trouvé la preuve, tendancieuse, de pillage dans le cimetière et il est monté ». Il a dit : « On va creuser » et c’est là que la dispute a éclaté ». Le groupe s’est scindé en deux, avec d’un côté, ceux qui creusaient et de l’autre ceux qui ne voulaient pas être impliqués. « Ils ne pouvaient pas rentrer les mains vides. Imaginez : l’expédition archéologique la plus haute du monde et les caméras du National Geographic qui filmaient le tout... » continue Mercado. Christian Vitry, qui travaille aujourd’hui avec le MAAM, explique lui aussi ne pas avoir voulu prendre part à cette affaire : « On ne connaissait pas bien le projet. Nous sommes montés jusqu’au camp de base et lorsque nous avons appris ce qu’ils voulaient faire, nous avons décidé de redescendre, après une tempête qui a duré quatre jours ».

Une situation inédite et une gestion... inappropriée

Les momies extirpées du cimetière, l’équipe restante a entrepris de les transporter dans des caissons réfrigérés jusqu’à Salta, pour les maintenir à bonne température (-20°C) et pour éviter qu’elles se détériorent. Une fois arrivées, les momies ont été soumises à des examens poussés (prélèvements...), puis la question de la conservation s’est posée : « Lorsque nous avons voulu trouver un équipement permettant leur conservation, nous nous sommes rendus compte qu’il s’agissait d’un cas complètement unique. Nous avons voyagé à New York pour acheter du matériel ; rien n’existait. Il a fallu tout créer et de 1999 à 2005, les momies ont été entreposées dans la chambre froide de l’Université Catholique de Salta » explique Mario Bernarski, ingénieur au MAAM. « De 2005 à 2007, nous avons construit un équipement complexe permettant d’héberger les momies (contrôle de l’oxygène, de l’azote, de la lumière, de l’humidité). Pendant 6 ans, nous n’avons pas eu accès aux corps ».

Une gestion catastrophique qui a eu de graves conséquences. Sous la direction de Constanza Ceruti, les momies ont subi des dégâts importants, à cause du stockage inadapté et des prélèvements. « C’est seulement en 2010 que les momies se sont stabilisées, après des années passées dans le freezer. Aujourd’hui encore elles se détériorent. Celui qui dit le contraire ment. Nous ne faisons que ralentir le processus » poursuit Mario Bernarski.

Le MAAM, qui abrite les enfants du volcan, a été ouvert en 2004 par le gouvernement de la province de Salta et dispose de fonds propres. Avec près de 3000 visiteurs par jour, il est assurément le musée le plus visité d’Amérique du Sud. Au Secrétariat des peuples indigènes de Salta, on admet que les avis sont partagés. Son directeur, Augustin Fernandez, signale que le musée permet la promotion de la culture indigène mais que « les Kollas sont en désaccord avec l’exposition des momies. Ils ont le sentiment qu’un lieu sacré a été profané. Le problème, c’est qu’il n’existe pas de posture institutionnelle généralisée de la communauté. Chacun émet un avis personnel et cela n’a pas de poids ». Le cacique de la communauté Kollas Unidos, Miguel Siares, réclame depuis le début que les corps des enfants soient restitués à la communauté indigène. Dans un entretien au journal le Nuevo Diaro de Salta, il s’explique : « les enfants étaient vivants et sont morts au moment où on a réalisé l’excavation. Il s’agit d’une profanation, parce que cette sépulture a été réalisée par nos ancêtres il y a plus de 500 ans. Les enfants font partie de notre patrimoine culturel, et pour cela ils devraient être respectés et protégés. ». D’une manière générale, les milieux de l’anthropologie et de l’archéologie adoptent depuis plusieurs années une position à l’encontre de l’exposition de restes humains et leur restitution aux peuples d’origine. Pourtant, remettre les momies dans leurs tombes respectives au sommet du Llullaillaco serait risqué ; les collectionneurs privés peu scrupuleux sauteraient sur l’occasion. « La polémique a toujours été de savoir si le fait de descendre les momies était correct ou non. Nous essayons aujourd’hui de maintenir de bonnes relations avec les peuples indigènes en relation avec le Llullaillaco et au musée nous les faisons participer, à l’occasion du carnaval par exemple » indique Gabriela Recagno, la directrice du musée. Une participation plus qu’insuffisante pour d’autres membres des communautés indigènes, moins exigeants que Miguel Siares, qui réclament seulement une contribution financière : l’argent généré par la présentation des momies retombe dans les caisses de l’état provincial.

Une nouvelle polémique

La polémique au sujet des momies du Llullaillaco a récemment été remise au goût du jour par Cristina Fernández lors d’un voyage à Washington. Dans une discussion au sujet de l’exposition commune sur la Route des Incas au Smithsonian Museum en 2013, la Présidente de la Nation a suggéré d’inclure les momies. « La Doncella, La Niña del Rayo et El Varón, âgés de 500 ans, parlent aussi d’une culture qui a imprégné toute l’histoire précolombienne et qui imprègne encore la culture actuelle de tous nos peuples dans le nord de nos provinces » a-t-elle dit. Ces déclarations ont surpris les premiers concernés, à savoir les peuples indigènes, qui n’ont pas hésité à réitérer leur opposition à l’exhibition des corps. Des porte-paroles du Ministère du Tourisme se sont eux aussi manifestés : « même s’il existe une technologie permettant de sortir les momies de Salta, nous préférons que les gens viennent les voir et les connaître dans notre province, qui est leur milieu d’origine, où elles sont protégées et où les visiteurs pourraient en plus palper la culture inca ». Le conseiller de l’Association des Communautés Indigènes, Milagro Domínguez, considère que la possibilité d’une exposition aux Etats-Unis est « une autre violation de nos cultures ancestrales comme celle qu’a déjà commis la province (en descendants les momies du volcan, NDLR) ». Il a par ailleurs signalé « le malaise que nous ressentons lorsque nous voyons nos enfants exhibés dans une vitrine, comme quelque chose de pittoresque ou de différent. S’ils ne respectent pas maintenant nos frères vivants, on peut encore moins espérer qu’ils respectent nos morts ».
Christian Vitry, lui, s’est engagé après l’affaire en 1999 pour qu’on ne sorte plus de corps : « Il existe un accord tacite dans la province de Salta pour qu’on ne réalise plus d’excavations de ce type. D’une part parce que 20 corps de plus ne changeront rien à la science et d’autre part parce qu’il faut respecter le souhait des peuples indigènes ». Il ne s’agit là que d’une parole d’honneur et elle ne concerne que la province de Salta. Au Pérou et dans d’autres pays, on continue à descendre des momies des montagnes.

Sources : MAAM, La Pulseada, El Intransigente, El Nuevo Diario

El Correo. Paris, le 8 février 2011.

Nicolas Simoncini. Février 2011.

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