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De temps en temps, une fenêtre s’ouvre sur la vérité du fonctionnement du ‘système’. Un instant, il se montre nu dans sa dégénérescence. Nous détournons les yeux, mais c’est une révélation (même si cela ne devrait pas l’être). En effet, nous voyons clairement à quel point les vêtements qui l’ont habillé étaient de pacotille. Le succès apparent du ‘libéralisme’ - presque entièrement une production éphémère des relations publiques - ne sert qu’à rendre ses contradictions internes sous-jacentes plus évidentes, plus ‘visibles’ - beaucoup moins crédibles.
Cet effritement témoigne de l’incapacité à résoudre de manière satisfaisante les contradictions inhérentes à la modernité libérale. Ou plutôt, son effritement découle du choix de résoudre une légitimité en déclin par une recherche d’hégémonie de plus en plus totalisante et idéologique.
L’une de ces fenêtres a été l’affaire sordide des confinements en cas de pandémie au Royaume-Uni, révélée par une fuite de 100 000 messages WhatsApp de ministres gérant le projet de confinement.
Qu’ont-ils montré (pour reprendre les termes des principaux commentateurs politiques pro-gouvernementaux) ? Une image peu flatteuse de la façon dont l’establishment occidental interagit en s’envoyant des piques d’adolescents et en méprisant totalement la population.
« Les ’dossiers de confinement’ comprennent des milliers de pièces jointes envoyées entre ministres. Lorsque je suis tombé dessus pour la première fois, j’espérais y trouver des briefings secrets de haut niveau de grande qualité. Au lieu de cela, les ministres partageaient des articles de journaux et des graphiques trouvés sur les réseaux sociaux. La qualité de ces informations était souvent médiocre, voire exécrable ».
Les ‘Lockdown Files’, publiés au Royaume-Uni par le Telegraph, révèlent une culture toxique où tout ministre ou fonctionnaire posant des questions « gênantes » savait qu’il risquait d’être dénoncé, mis à l’écart ou ostracisé. Les députés dont on pensait qu’ils s’opposeraient aux confinements étaient placés sur une liste rouge secrète, et le collaborateur du ministre de la santé de l’époque a écrit : « la réélection de ces gens dépend de nous : Nous savons ce qu’ils veulent ».
Mais les dossiers révèlent quelque chose d’encore plus effrayant. Quelle a été la réaction générale du public à la publication des dossiers ? C’est simple : La majorité des gens sont tellement engourdis et passifs - et tellement en phase - que l’État leur fait subir une série d’urgences répétées vers un nouveau type d’autoritarisme, qu’ils ne s’inquiètent pas beaucoup, ou même ne remarquent pas grand-chose.
Pour être clair, l’épisode de Confinement est emblématique de ce nouveau schéma ’de contrôle effectué par hégémonie, l’idéologie et la technologie. L’autonomie de l’individu - et sa recherche d’une vie ayant un sens - est désormais remplacée par son contraire : L’instinct de soumission et de domination, et l’imposition de l’ordre dans un monde inchoatif et apparemment menaçant.
Comme l’a écritArta Moeini, l’État libéral gestionnaire basé sur la surveillance s’est transformé en « un Léviathan totalitaire et aspirant à s’étendre sur toute la planète », frauduleusement déguisé en démocratie libérale - dont les principaux éléments de liberté ont été remplacés depuis longtemps par leurs antonymes, dans une inversion orwellienne.
Soyons clairs : tous les excès de pouvoir de l’État qui ont eu lieu au Royaume-Uni pendant la pandémie ont été autorisés dans le cadre du système politique occidental. L’État peut à tout moment suspendre l’État de droit pour ce qu’il estime être le bien commun. La pandémie n’a fait qu’exposer les rouages in extremis de la démocratie libérale - canalisant la notion de Carl Schmitt selon laquelle un « état d’exception » est le code source de la ‘souveraineté’ de l’État sur la populace.
Dans ce vide éthique, et avec le chavirement du sens de la société, les politiciens occidentaux ne peuvent que s’envoyer des piques grossières les uns aux autres, à la manière du Seigneur des anneaux, tout en espérant surfer sur ‘le récit’ et le ‘jeu’ médiatique du jour pour ‘élever leur niveau’ dans la matrice du pouvoir. Pour être franc, l’absence de principe directeur plus profond est purement sociopathique.
Toutefois, en poussant le pendule du schéma libéral si fort vers l’extrémité hégémonique, il a provoqué l’embrasement de l’autre extrémité du spectre du schéma libéral global : La demande de respect de l’autonomie individuelle et de la liberté d’expression. Cette antithèse est particulièrement évidente aux États-Unis.
Le libéralisme a été conçu au début de la Révolution Française comme un projet de libération systémique des hiérarchies sociales oppressives, de la religion et des normes culturelles du passé, afin qu’un nouvel ordre d’individualisme libéré puisse voir le jour. Rousseau y voyait une rupture radicale avec le passé - une dissociation de l’individu de la famille, de l’église et des normes culturelles, afin qu’il puisse mieux évoluer en tant que composante unitaire d’une gouvernance universelle rachetée.
Tel était le sens du libéralisme dans sa phase initiale. Toutefois, le règne de la Terreur et les exécutions massives sous les Jacobins ont mis en évidence le lien schizophrénique entre la ‘libération’ et le désir d’imposer la conformité à la société. L’appel persistant à la révolution violente contre la(utopique) ‘rédemption’ de l’Humanité imposée marque les deux pôles opposés de la psyché occidentale qui, aujourd’hui, sont ‘résolus’ par l’inclinaison vers ‘l’hégémonie’.
Cette tension inhérente entre la libération radicale de l’individu et un ‘ordre mondial’ conformiste devait être résolue par des‘nouvelles valeurs universelles’ : La diversité, le genre et l’équité, ainsi que le dédommagement des victimes pour les discriminations antérieures subies. Cette ‘modernité liquide’ était considérée comme ‘globalement neutre’ (contrairement aux valeurs des Lumières) et pouvait donc étayer l’ordre mondial dirigé par l’Occident.
La contradiction inhérente à cette situation était trop évidente : Le reste du monde considère l’ordre ‘libéral’ comme un moyen trop évident de prolonger la puissance occidentale. Ils refusent son côté ‘missionnaire’ (cet aspect n’a jamais été présent en dehors de la sphère judéo-chrétienne) et l’affirmation selon laquelle l’Occident devrait déterminer les valeurs (qu’elles soient issues des Lumières ou de l’esprit Woke) selon lesquelles nous devons tous vivre.
Les pays non occidentaux observent plutôt un Occident affaibli et ne ressentent plus le besoin d’offrir leur loyauté à un ‘suzerain’ mondial. Le méta-cycle de l’occidentalisation forcée (de la Russie pétrinienne, de la Turquie, de l’Égypte et de l’Iran) est terminé.
Sa mystique, sa fascination ont disparu, et bien que la conformité au verrouillage au Royaume-Uni (et en Europe) ait été obtenue par le biais d’un ‘projet de peur’, le succès s’est fait au détriment de la confiance du public. En clair, l’autorité de l’Occident suscite de plus en plus de méfiance, chez nous comme à l’étranger.
La crise des contradictions et de l’autorité déclinante du libéralisme s’aggrave.
Les deux autres mantras de Carl Schmitt étaient, premièrement, de conserver le pouvoir : ‘Utilisez-le’ (ou perdez-le) et, deuxièmement, de configurer un ‘ennemi’ aussi polarisant et aussi ‘sombre’ que possible afin de conserver le pouvoir - et de maintenir les masses dans la crainte et la docilité.
C’est ainsi que nous avons vu Biden, faute d’alternative, recourir à un manichéisme radical pour renforcer l’autorité contre ses opposants nationaux aux États-Unis (en les présentant ironiquement comme des ennemis de la ‘démocratie’), tout en utilisant la guerre en Ukraine comme un outil permettant de présenter la guerre de l’Occident contre la Russie comme une lutte épique entre la Lumière et l’Obscurité. Ces codes sources idéologiques manichéens dominent pour l’instant le libéralisme occidental.
Mais l’Occident s’est lui-même mis dans un piège : le fait de ‘Devenir Manichéen’ l’enferme dans une camisole de force idéologique. Il s’agit d’une crise que l’Occident a lui-même provoquée. En clair, le Manichéisme est l’antithèse de toute solution négociée ou de toute voie de sortie. Carl Schmitt était clair sur ce point : l’intention d’évoquer la plus noire des inimitiés était précisément d’empêcher toute négociation (libérale) : Comment la ‘vertu’ pourrait-elle négocier avec le ‘malin’ ?
L’Occident est aujourd’hui trop dysfonctionnel et trop faible pour se battre sur tous les fronts. Pourtant, il ne peut y avoir de recul (sans humiliation de l’Occident).
L’Occident a tout misé sur son système de ‘contrôle’ géré par la peur et la ‘crise d’urgence’ pour se sauver. Ses espoirs reposent désormais sur son ‘Attention ! Le grand patron est devenu fou de colère ; il pourrait faire n’importe quoi’, qui, espère-t-il, fera reculer le monde.
Mais le reste du monde ne recule pas, il s’affirme. Les élites occidentales sont de moins en moins nombreuses à croire ce qu’elles disent et de moins en moins nombreuses à faire confiance à leurs compétences. L’Occident a imprudemment ‘parié’ ; il peut tout perdre. Ou, plus dangereux encore, dans un accès de colère, il peut renverser les tables de jeu des ‘autres’.
Alastair Crooke* pour Strategique Culture->https://strategic-culture.org/]
Original : « Betting All on Hegemony ; Risking All, To Stave Off Ruin »
Strategique Culture->https://strategic-culture.org/news/2023/03/13/betting-all-on-hegemony-risking-all-to-stave-off-ruin/], le 13 mars 2023
Traducit de l’inglés pour El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi
El Correo de la Diáspora. Paris, le 14 mars 2023