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1er novembre 2015


Les plumes rouges dans la nouvelle gauche mondiale du XXIe siècle

par Sandra Russo *

 

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On l’a vu de loin, mais vers la mi-octobre, quand ici en Argentine, nous étions dans l’attente du premier tour électoral qui s’est terminé avec la droite du PRO comme la reine de beauté, des élections ont eu lieu au Canada. Et elles ont été importantes, parce que le pendule a glissé vers le Nord, où il se déplace aussi dans plusieurs pays européens : de nouveaux gouvernements qui en finissent avec l’obéissance due au FMI, qui défont ou relâchent l’alliance économique et militaire avec les États-Unis d’Amérique, qui posent comme priorité l’inclusion sociale et un nouveau rôle de l’État. Un gouvernement de droite disposé à contracter une dette pour des dépenses courantes et à la payer par la diminution de la dépense publique, serait un recul phénoménal, et pas seulement d’un point de vue argentin. C’est à l’échelle mondiale que ce mouvement est un recul.

Il y a de plus en plus de pays parmi ceux qui réagissent dans le sens dans lequel nous allons maintenant et depuis douze ans, et c’est pourquoi ils veulent nous arracher par la racine : vers ce monde multipolaire qui est la clé, la chance ; un monde sans un unique axe de pouvoir, mais avec plusieurs, pour que chaque pays puisse retrouver la souveraineté perdue, ou celle que perdent ceux qui signent les traités de libre-échange qui sont en circulation. « Libre-commerce, libre-commerce », répètent-ils depuis le PRO comme la route à laquelle il faut revenir « depuis le bon sens ». Roland Barthes disait : « La lutte pour le pouvoir est la lutte pour le sens commun ».

Le sens commun mondial n’est pas en accord avec le PRO. La résurgence de nouvelles forces et la secousse idéologique dans les grands partis qui ont été vidés – comme ici est vidée l’UCR – font bouger inévitablement l’histoire. Sans aller plus loin, maintenant que Jeremy Corbyn exprime en Grande-Bretagne ce que Podemos exprime en Espagne ou Syriza en Grèce, l’ex-leader Tony Blair, cette semaine, a demandé pardon pour avoir mené la Grande-Bretagne à la deuxième guerre du Golfe, et pour avoir mis en berne tous les drapeaux du travaillisme. Mais regardons ce qui s’est passé au Canada.

Le 19 octobre, lors des élections, le Parti Conservateur, qui a eu comme principal mettre d’oeuvre, l’ ex-Premier ministre Stephen Harper, fut battu. Le Parti Libéral a gagné, mais maintenant est déjà à terre, comme le travaillisme britannique, et avec un jeune cadre politique, Justin Trudeau, fils de la dernière grande figure travailliste, Pierre Trudeau, qui a gouverné le Canada à cette époque dont nous vient l’inertie de penser à ce pays comme un territoire tranquille et amiable. Cela fait déjà des années qu’il le n’est plus. Pendant le gouvernement de Harper, cette alliance stratégique a germé avec les États-Unis qui était, jusqu’à présent, l’associé qui ratifiait toutes les décisions géopolitiques. Selon le chroniqueur du Toronto Star, Thomas Walkom, le triomphe du jeune Trudeau a traduit un « rejet de Harper et de son style de gouvernement. En élisant les libéraux de Justin Trudeau, les votants ont dit basta à autant de mesquinerie ».

69 % des inscrits ont voté, la plus grande participation aux urnes depuis l993, quand le parti a obtenu sa dernière grande victoire. Après est venu une décennie de rigueur et de culture néolibérale, avec des discours très semblables à ceux que [l’argentin] Macri prononçait quand il n’avait pas besoin encore de « péroniser » [de « socialiser son discours » pour attirer les péronistes de droite].

Harper a cassé l’État de Bien-être, qui était imbriqué à l’identité canadienne, et il a misé son activisme sur l’OTAN, considérant comme terminée la politique extérieure précédente dont nous nous souvenons encore, basée sur la diplomatie. Dans ce registre Massa [péroniste de droite, 3ème au premier tour des élections argentines] n’a pas à attendre que Macri le convainque : les deux ont proposé comme première mesure d’expulser le Venezuela du Mercosur. Cela signifie un réalignement [avec les USA] C’est le pari des joueurs étrangers en embuscade].

De ce côté du monde où craque ce qu’en Argentine ils veulent nous vendre comme le « changement », arrive ce qu’a écrit le sociologue Immanuel Wallerstein en référence, non à la périphérie, mais aux zones centrales : « Dans un monde qui vit au milieu d’une grande incertitude économique et dans les pires conditions pour de grands segments des populations du monde, les partis au pouvoir tendent à être accusés et perdent leur force électorale. C’est ainsi qu’après le va-et-vient vers la droite de la dernière décennie, le pendule va maintenant dans une autre direction ».

Cette direction dans laquelle va le monde est celle qui a germé, il y a déjà une décennie, en Amérique Latine. Ce qui s’appelle le populisme est si vague que même le Pape et Obama ont été accusés d’être porteurs du virus : maintenant on appelle « populisme », non pas une forme de gouvernement mais un regard critique sur le système financier. Cela s’applique à tout ce qui va dans la direction que Wallerstein décrit, et qui s’est introduite en Amérique du Nord et en Europe. La résurgence d’une nouvelle gauche mondiale, qui est celle du XXIe siècle, et qui dans chaque pays acquiert la forme que lui offrent ses traditions et ses corrélations de forces.

Que ce mouvement mondial ait lieu, et qu’il soit occulté, signifie déjà quelque chose. Il est nécessaire d’en tenir compte pour comprendre l’ampleur de la réaction, et pourquoi, en ce moment, il y a une charge virulente contre ce qui a été construit en bloc en Amérique Latine. C’est ici qu’avait commencé ce mouvement pendulaire du monde. Il y a une quête désespérée de survie dans la férocité de la restauration conservatrice. Ils veulent montrer l’exemple aux grands avec l’échec des petits. Ils veulent écraser ici, pour continuer après dans d’autres continents.

Que Justin Trudeau ait gagné au Canada n’est pas un détail : il a déjà prévenu qu’il fera réviser par le Parlement les traités de libre-échange déjà signés avec les États-Unis. Avant, il va ordonner la levée de leur statut secret. Personne ne connait le contenu. Ces traités sont la plate-forme de la reconstruction du pouvoir unipolaire. Cette friction donne lieu à es campagnes médiatiques, pas seulement contre les présidents latinoaméricains. L’objectif ce sont les BRICS. Ils modifient l’économie mondiale avec la baisse du prix des matières premières, et on accuse les BRICS parce que ce n’est pas un pays, mais un bloc mondial, qui perturbe la politique dans les pays qui étaient déjà sous le contrôle des groupes multinationaux.

La deuxième chose que Trudeau a dite, pour donner une idée de la direction des attentes des citoyens canadiens, c’est qu’il mettra fin au déficit zéro et qu’il réalisera une incursion dans les déficits budgétaires pour relancer l’économie et l’emploi : Trudeau n’est pas chaviste, ni kirchneriste, ni bolivarien. C’est un libéral non « néo », mais post néolibéral qui veut résoudre la crise du chômage et de la désindustrialisation qui secoue le Canada. Seulement comme un coup de pinceau, pour encadrer mieux cet énorme pays du nord, le changement de gouvernement coïncide avec une renaissance de la revendication collective, alignée sous l’aile du mouvement « Idle no More » (Plus de passivité) qui a pour symbole la plume rouge. Ils ont pris la plume rouge comme symbole des Premières Nations – plus de deux cents ethnies originaires qui habitent sur le territoire Canadien–. Ce mouvement qui a commencé il y a deux ans avec une grève de la faim de quatre femmes nashnibe, a pris maintenant une nouvelle ampleur : il se manifeste par des plaintes sur la violation des droits de l’homme dans les « réserves indigènes », spécialement contre des femmes. En quelques années plus de 200 plaintes ont été enregistrés pour des disparitions. Maintenant il y a des témoignages qui accusent la police du Québec. Dans tout le pays les manifestations resurgissent. C’est-à-dire : la droite ne s’épuise pas dans la macroéconomie. Cela tombe comme une guillotine sur le tissu social, bien qu’elle le fasse avec un sourire.

Pour voir le film en entier il faut être nageur de fond, parce que la politique regardée depuis la télé-politique, c’est du pur fondant, de la couverture, un show pour faire de l’audience, qui ne signifie jamais conscience. Le débat -pour les élections présidentielles argentines- tant mentionné, entre Scioli et Macri, est programmé, et la télé-politique essaiera de faire porter sur ce dernier les attentes de l’électorat. Cette surcharge est absurde, à ce niveau et après huit ans de gouvernement de la ville du Buenos Aires, c’est de l’agitation d’attendre de voir ce que Macri pense en l’écoutant parler. La droite a un projet, mais pas de discours, c’est pourquoi elle change les mots en usurpant le discours de l’autre. Il faut être nageurs de fond, et le fond dans lequel nous nous déplaçons est le monde. Dans ce nouveau monde, Macri est une bouffée d’air vicié, de vieille haleine.

Sandra Russo* pour Página 12

Titre original : « Las plumas rojas  » (Les plumes rouges)

Página 12. Buenos Aires, le 31 octobre 2015.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la diaspora latinoaméricaine par : Estelle et Carlos Debiasi

* Sandra Russo est journaliste, éditorialiste, auteur et animatrice argentine de diverses émissions de radio et télévision

El Correo de la diaspora latinoamericaine. Paris, 1er novembre 2015.

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