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12 février 2015

Les peuples autochtones et le traité sur les sociétés transnationales et les droits de l’homme

par Luis Vittor *

 

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Les répercussions négatives de l’activité des entreprises sur les droits de l’homme appellent un débat urgent sur la question. Les peuples indigènes sont parmi les plus affectés par les activités des entreprises sur leurs territoires. Les plaintes à ce sujet mettent en évidence les manquements des États à leur devoir de protéger les peuples autochtones contre les violations de leurs droits. Dans ce contexte, le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies a décidé de rouvrir le débat pour réglementer les conséquences de l’activité des sociétés transnationales sur les droits de l’homme. Un Groupe de Travail Intergouvernemental sera chargé d’élaborer le traité en tenant compte des deux parties. Le scénario de négociations est donc chargé d’attentes et de défis pour les États et les groupes concernés. Les peuples autochtones partagent le désir de parvenir à une entente sur ces questions et entendent bien qu’elle leur reconnaisse les droits mentionnés dans la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Indigènes et la Convention 169 de l’OIT.

Dans cette analyse, nous souhaitons mettre l’accent sur les violations des droits des peuples indigènes par les entreprises en nous appuyant sur les cas déjà transmis au Rapporteur Spécial des Nations Unies en charge des Affaires Indigènes. Nous évoquerons les précédents et la résolution 26/9 du Conseil des Droits de l’Homme qui aboutit à la mise en place d’« un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer, dans le cadre international des droits de l’homme, les activités des sociétés transnationales et autres ». En conclusion, sur la base de la Déclaration et de la Convention 169, nous soumettrons un état des droits pertinents dans l’élaboration du futur traité.

1. Les abus des entreprises que dénoncent les peuples autochtones

Dans le contexte de la mondialisation les accusations de violation des droits de l’homme résultant des activités des sociétés abondent et les cas touchant les peuples indigènes y représentent un pourcentage significatif. Selon le Groupe de Travail des Nations Unies sur la question des Droits de l’Homme et des Sociétés Transnationales, pour la seule année 2012, 40 rapports impliquant les effets des activités des entreprises (minières, de l’énergie et de la finance) sur les communautés lui ont été transmis. Dont 25% se rapportent à des dommages causés aux peuples autochtones dans des régions telles que l’Asie, le Pacifique et l’Amérique Latine [1]. Par ailleurs, le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les Droits des Peuples Indigènes signale chaque année les communications reçues au sujet de violations des droits de ces peuples. Dans de nombreux cas, il s’agit de violations directes du droit aux terres, territoires et ressources naturelles. Mais aussi de situations découlant de la mise en œuvre de projets de développement sans avoir consulté les populations concernées ou sans avoir obtenu leur accord préalable. Dans la plupart des cas, les entreprises sont impliquées dans des altérations des droits des peuples autochtones.

Dans son rapport 2012-2013 [2] le Rapporteur Spécial James Anaya soulève l’affaire des communautés indigènes du Bangladesh touchées par le Projet du Charbon Phulbari aux mains du groupe GCM Resources [3]. Selon une communication confirmée par d’autres rapporteurs spéciaux, des plaintes contre ce projet auraient été reçues ; en effet, il menacerait les terres indigènes et celles d’agriculteurs et aurait des conséquences négatives sur l’activité agricole, l’accès à la nourriture et aux moyens de subsistance des communautés locales. En dépit des réponses du groupe, Anaya a réitéré ses préoccupations concernant l’obligation de consulter les communautés et d’obtenir leur accord préalable avant tout déplacement de population des terres destinées à l’exploitation des ressources minérales. Si l’on en croit GCM Resources le projet requiert 6 mille hectares de terres, ce qui déplacerait 40 mille personnes, dont 2 300 indigènes.

Ce même rapport comprend également une déclaration conjointe du Rapporteur Spécial et du Groupe de Travail sur la question des Droits de l’Homme et des Sociétés Transnationales concernant l’affaire du peuple autochtone Saramaka Maroon du Surinam dénonçant l’expansion et l’octroi de nouvelles concessions minières à l’entreprise Iamgold [4] sur leur territoire sans leur accord et qui contrevient à l’arrêt de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme (affaire du peuple Saramaka vs Surinam). Dans les deux cas, la société en cause a répondu aux allégations transmises. Le Rapporteur Spécial James Anaya a souligné les différences significatives entre l’évaluation des faits de la part de l’entreprise et les accusations lancées en matière d’expansion des activités minières actuelles et à venir, ainsi que de leurs possibles impacts au niveau des terres et des ressources du peuple Saramaka ; il a également mis en avant la divergence des points de vue concernant le processus de consultation nécessaire à tout projet d’exploration ou d’exploitation minière.

Dans son compte-rendu 2013-2014 [5] il cite le cas des communautés Diaguitas du Chili touchées par le projet minier « El Morro » propriété de la société Goldcorp. Il a déclaré avoir reçu une information -en 2013- qui accusait le gouvernement de non respect de l’obligation de consultation de la communauté vis-à-vis du projet. Le gouvernement, quant à lui, soutenait que devant le refus de la consultation par la communauté, il avait décidé d’entériner l’évaluation environnementale du projet considérant que dans ce cas précis, son consentement n’était pas nécessaire. À cet égard, Anaya a réaffirmé l’obligation de l’État d’obtenir un accord préalable, considérant qu’une mine en territoire autochtone a un impact profond et significatif sur les droits des peuples indigènes. De leur côté, les communautés indigènes ont saisi les tribunaux contre l’approbation de l’étude de l’impact environnemental (EIA) du projet minier. En octobre 2014 la Cour Suprême se prononça pour la suspension du projet « El Morro » et réclama un nouveau processus de consultation [6]. Goldcorp a déclaré que la décision de la Cour Suprême serait respectée.

Le Rapporteur Spécial rend également compte du cas de la communauté de Narasha au Kenya qui a dénoncé la destruction par le feu de maisons Massaï dans le but de favoriser l’expansion de la centrale géothermique de la société Ken Gensur des terres traditionnellement réclamées par les Massaï. Dans son rapport au gouvernement, Anaya reconnaît que le Kenya s’est abstenu de voter pour la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des peuples Indigènes, mais que cet exemple constitue une déclaration officielle des normes internationales des droits de l’homme en relation avec les peuples autochtones reconnus dans les principaux traités sur les droits de l’homme ratifiés par ce pays. Le gouvernement n’a pas fait connaître sa réponse. Cette affaire montre que la situation des peuples autochtones peut être plus grave dans les pays où leurs droits ne sont pas reconnus.

Les cas présentés révèlent un ensemble de violations des droits des peuples autochtones dans le cadre de la mise en œuvre des projets de développement des entreprises. Projets fréquemment qualifiés de bénéfiques au pays, qui ont souvent des effets pervers sur les peuples indigènes. De nombreux États déclarent d’intérêt national ou stratégique des projets qui risquent d’augmenter la vulnérabilité des droits des peuples autochtones. Les industries extractives sont l’exemple type de projets soutenus par les gouvernements en raison des gros volumes d’investissements, mais qui provoquent les pires conséquences en terme de territoires et de droits des peuples autochtones.

Le rapport 2011 [7] du Rapporteur Spécial montrait que « Les activités des industries extractives engendrent des conséquences parfois préjudiciables aux droits des peuples autochtones ». En ce qui concerne les impacts environnementaux, il a été constaté une perte graduelle de contrôle indigène sur leurs terres, territoires et ressources naturelles. L’un des autres effets pervers est « l’épuisement et la pollution des ressources en eau » qui affecte à la fois les réserves propres à la consommation, l’irrigation des terres arables, les pâtures et la pêche traditionnelle. Il a également fait état de la corrélation entre la dégradation de l’environnement et la détérioration de l’état de santé des communautés à cause de la pollution des eaux et de l’atmosphère, ainsi que du lien existant entre les dommages environnementaux et la perte des moyens de subsistance traditionnels, qui conduisent à des situations de précarité alimentaire et de malnutrition. En ce qui concerne les effets sociaux et culturels, il soulignait que la perte de terres et de ressources naturelles « peut mettre en péril la survie des groupes autochtones ». Par ailleurs, il faut remarquer que la cohésion sociale et les structures traditionnelles d’autorité se sont vus menacées, et que, dans le cas des activités extractives, on assiste à « une escalade de violence de la part des gouvernements et des forces de sécurité privées » contre les dirigeants indigènes. De plus, les projets extractifs ont provoqué la destruction de lieux d’importance au niveau culturel et spirituel pour ces peuples. Autre point mis en évidence par le Rapporteur Spécial, « le manque de consultation et de participation » des peuples autochtones dans les projets d’extraction de ressources naturelles, à la base de nombreux conflits. Il a réaffirmé, en conclusion, que les projets extractifs et en général les projets de développement d’envergure, situés en territoires indigènes « représentent l’une des sources majeures d’abus à l’encontre des droits des peuples autochtones à travers le monde ».

Les droits des peuples autochtones sont bafoués malgré les obligations qui incombent aux États (respecter, protéger et accomplir) stipulées par la ratification des traités internationaux des droits de l’homme. Par exemple, le devoir de protéger les individus ou groupes d’individus (tels les peuples autochtones) contre les violations de leurs droits par des tiers ou des agents non gouvernementaux (comme les entreprises) et de leur garantir l’accès au recours adéquat dans le cas où se produirait ce type d’abus. De leur côté, les entreprises doivent se conformer aux normes nationales des droits de l’homme et –selon les Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme-, respecter les droits de l’homme et les droits des peuples indigènes internationalement reconnus, et réparer les effets négatifs qu’elles ont provoqué. Cependant, comme nous l’avons vu dans les communications et rapports du Rapporteur Spécial, il existe souvent un trop grand fossé entre le champ d’application des obligations de l’État et des responsabilités des entreprises, et la réalité du terrain, où les peuples indigènes subissent les conséquences négatives d’un tel décalage. C’est pourquoi, un instrument juridiquement contraignant qui vienne renforcer les obligations des États et la responsabilité des entreprises par rapport aux droits de l’homme, semble ici tout à fait approprié.

2. Un traité sur les entreprises transnationales et les droits de l’homme :

Les efforts visant à obliger les entreprises transnationales à prendre des mesures face aux répercussions négatives qu’elles engendrent ne sont pas nouveaux. Aux Nations Unies, deux tentatives ont déjà échoué. En 1972, la Commission des Nations Unies sur les Entreprises Transnationales tenta de leur imposer un projet de « code de conduite ». Vingt ans de négociations n’ont pas abouti au consensus entre les parties pour son adoption. Un deuxième essai s’ouvre en 1998 à l’initiative du Groupe de Travail chargé d’examiner le fonctionnement et les activités des entreprises transnationales. Après plusieurs années, le groupe remet son projet de « Normes sur les responsabilités des entreprises transnationales et autres sociétés commerciales en matière de droits de l’homme ». Projet au final écarté car n’ayant pas été, au préalable, demandé par la Commission des droits de l’homme et le Conseil Économique et Social d’alors (ECOSOC). Ces deux propositions tendaient à vouloir établir un instrument contraignant ainsi que des obligations pour les États et les entreprises transnationales en matière de droits de l’homme.

En 2005, une nouvelle initiative a été lancée avec la nomination du Représentant Spécial du Secrétaire Général sur la question des droits de l’homme et des entreprises transnationales et autres, et s’est achevée - en 2011- sur l’adoption par le Conseil des Droits de l’Homme des « Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme : mise en pratique du cadre des Nations Unies pour protéger, respecter et réparer » (A/HRC/17/31). Ces principes sont basés sur trois axiomes fondamentaux. Le premier stipule l’obligation de protection des États face aux abus commis par les entreprises contre les droits de l’homme ; le second, énonce la responsabilité des entreprises quant au respect des droits de l’homme ; et le troisième encadre l’obligation de garantir l’accès à l’obtention de réparations effectives. Applicables à tous les États et entreprises, ils n’entraînent pas de nouvelles obligations, mais ne restreignent ni ne réduisent les obligations existantes des États en matière de droits de l’homme. De plus, le Conseil a nommé un Groupe de Travail pour promouvoir leur application et un Forum Annuel pour débattre des tendances. Le groupe de travail a pour mandat d’aider les États dans l’élaboration de lois et politiques nationales en relation avec l’application des principes directeurs. L’un des instruments pour promouvoir leur mise en œuvre consiste en l’élaboration de Plans d’Action Nationale (PAN). À ce jour, les gouvernements du Royaume-Uni, des Pays-Bas, d’Italie, du Danemark et d’Espagne l’ont déjà développé, alors qu’en Suisse et en Finlande, le PAN est en cours d’élaboration et que 16 autres États ont exprimé leur engagement en ce sens [8]. Malgré ces avancées, certains États ont jugé nécessaire de s’orienter vers la mise en place d’un « instrument juridique contraignant » qui réglemente les activités des entreprises en matière de droits de l’homme. Dans une déclaration –initiée par l’Équateur- lors de la 24ème session du Conseil des Droits de l’Homme, on reconnaît que les Principes directeurs sont une « première étape » et qu’un instrument contraignant pourrait fournir un cadre pour améliorer les capacités de l’État en matière de protection des droits de l’homme et de prévention des abus [9].

La question des droits de l’homme et des entreprises transnationales a été relancée à l’occasion de la 26ème session qui a débouché sur l’approbation de deux résolutions par le Conseil. La première (A/HRC/RES/26/9) entérine la formation d’un « groupe de travail intergouvernemental à composition ouverte sur les sociétés transnationales et autres entreprises commerciales en matière de droits de l’homme, ayant pour mandat l’élaboration d’un instrument juridiquement contraignant pour réglementer les activités des sociétés transnationales et autres entreprises dans le droit international des droits de l’homme ». Bien que cette résolution n’ait pas été soutenue par tous les États membres du Conseil des Droits de l’Homme [10], elle renvoie le débat sur la nécessité d’un instrument contraignant devant les Nations Unies. Qualifiée d’historique par les mouvements sociaux qui ont appuyé l’initiative et de « première étape » vers la fin du volontarisme des sociétés transnationales [11], elle est perçue, du point de vue des entreprises, comme un « recul » dans la promotion des Principes directeurs et un retour à des approches qui ont échoué par le passé [12].

La deuxième résolution (A/HRC/RES/26/22) met l’accent sur l’application des principes directeurs et le travail du Groupe d’étude. Elle encourage les États à prendre des mesures pour appliquer les Principes directeurs, y compris celles pour l’élaboration de Plans d’Action Nationaux, et qui fournissent des rapports annuels sur leur application au Groupe de Travail. Elle couvre un autre point : l’accès à réparation pour les victimes de violations des droits de l’homme en lien avec les activités des entreprises. À cet égard, il a été recommandé au groupe de travail que la question soit examinée lors du Forum annuel et demandé au Haut Commissaire d’étudier toutes les options juridiques et mesures pratiques pour améliorer l’accès aux voies de recours. En ce qui concerne le Groupe de travail, il a vu son mandat prorogé de trois ans ; le Secrétaire Général et le Haut Commissaire étant chargés de mettre à sa disposition toutes les ressources et l’aide nécessaires au bon déroulement de son mandat.

Le futur scénario comprendra des processus parallèles. D’une part, grâce au Groupe de Travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales, l’application des Principes directeurs se verra renforcée au niveau national, et d’autre part, le Groupe de Travail Intergouvernemental se concentrera sur l’élaboration d’un traité sur les sociétés transnationales et les droits de l’homme. Les principes directeurs, après trois années de fonctionnement, ont réussi à faire avancer un petit groupe d’États européens dans leur application et sont mis au défi d’impliquer d’avantage de pays –principalement du sud- dans les prochaines années. Alors que la durée des négociations est incertaine et que ses partisans doivent tenir la gageure d’entraîner les pays du nord dans le processus, les peuples autochtones attendent des deux initiatives qu’elles incluent leurs droits et priorités, parmi lesquels, l’accès à réparation.

3. Les droits des peuples autochtones et le futur traité sur les sociétés et les droits de l’homme

Le mandat du Groupe de travail Intergouvernemental est d’élaborer un « instrument juridiquement contraignant » qui réglemente les activités des sociétés transnationales. Sa première réunion a été fixée courant 2015, avant la 30ème session du Conseil des Droits de l’homme. La résolution recommande que la première réunion soit consacrée à recueillir les opinions et propositions des États et des parties prenantes sur les principes, la portée et les éléments du futur instrument. Dans ce cadre, les peuples autochtones sont l’un des groupes les plus intéressés à son élaboration et, compte tenu des situations persistantes de violations de leurs droits, il est légitime qu’ils partagent cette volonté de parvenir à un traité.

Les termes du futur traité doivent prendre en compte les instruments juridiques internationaux sur les droits des peuples autochtones. À cet égard, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples indigènes (DNUDPI) et la Convention de l’OIT N°169 sur les Peuples Indigènes et Tribaux dans les Pays Indépendants (C169) sont pertinents. Ces deux instruments représentent un consensus issu des négociations entre les États eux-mêmes et –dans l’actualité- sont acceptés par de nombreuses parties.

Bien que la Déclaration n’ait aucun caractère contraignant, elle représente le consensus international et donc, se trouve être l’instrument le plus complet en ce qui concerne la reconnaissance, la protection et la promotion des droits des peuples autochtones. Le rapporteur Spécial James Anaya soulignait que la Déclaration « est une extension des normes présentes dans divers traités consacrés aux droits de l’homme qui ont été largement ratifiés et sont juridiquement contraignants pour les États » (A/68/317). En outre, l’importance de la considérer tient à ce qui est stipulé dans son article 43. Il indique en effet que les droits reconnus dans la Déclaration « constituent les normes minimales pour la survie, la dignité et le bien-être des peuples autochtones ».

Alors que la Convention 169 est un instrument juridiquement contraignant pour les États qui l’ont ratifié. Elle reconnaît les droits des peuples autochtones, et fixe les obligations des États. Elle a été ratifiée par 22 États à travers le monde, qui, -conformément à son article 2- doivent « assumer la responsabilité de développer, avec la participation des peuples concernés, une action coordonnée et systématique pour protéger les droits de ces peuples et assurer le respect de leur intégrité ». La Convention 169 a pour but que les peuples indigènes participent aux décisions qui affectent leur mode de vie - compte tenu des activités des entreprises qui affectent leurs droits-, un nouvel instrument contraignant, réglementant les activités des sociétés transnationales doit donc leur garantir des mesures de participation, de protection et de réparation.

Considérant les différents droits des peuples indigènes, reconnus dans la Déclaration et la Convention 169, pourtant fréquemment bafoués dans le cadre des activités des sociétés transnationales, il faudra prêter une attention toute particulière, dans l’élaboration du futur instrument contraignant, aux droits suivants :

 a) Droit à la terre, au territoire et aux ressources naturelles : Le territoire est vital pour l’existence des peuples autochtones parce que leur subsistance en dépend ainsi que des ressources naturelles. La présence de ressources naturelles dans ces territoires (minerais, hydrocarbures, forêts, eau), sources d’enrichissement des États fragilise leurs droits face aux sociétés d’exploitation. Les deux instruments internationaux reconnaissent le droit des peuples indigènes à la terre, au territoire et aux ressources naturelles et encadrent les obligations des États vis-à-vis de leur protection au cas où ces ressources viendraient à être exploitées.

  • Droit de propriété, de possession et d’utilisation des terres occupées par les peuples autochtones (Art. 26 DNUDPI, Art. 14 C169).
  • Les États ont l’obligation de consulter et d’obtenir le consentement des peuples autochtones avant d’entreprendre ou d’autoriser l’exploration et l’exploitation des ressources se trouvant sur leurs terres ou territoires (Art. 32.2 DNUDPI, 15.2 C169).
  • Droit de participation aux bénéfices de l’exploitation des ressources se trouvant sur leurs terres ou territoires (Art. 15.2 C169).
  • Interdiction de déplacements forcés des populations de leurs terres ou territoires (Art. 10 DNUDPI, Art. 16.1 C169) et de manière exceptionnelle uniquement après un consentement libre, préalable et éclairé (Art. 10 DNUDPI, Art. 16.2 C169).
  • Droit de définir les priorités de l’utilisation de leurs terres, territoires ou autres ressources (Art. 32.1 DNUDPI).
  • Les États devront prévoir des sanctions adéquates contre toute forme d’intrusion non autorisée sur les terres des peuples autochtones (Art. 18 C169).

 b) Droit à la consultation et au consentement libre, préalable et éclairé (CLPI) : Il est monnaie courante que les États prennent des mesures administratives accordant la concession aux sociétés de ressources naturelles qui se trouvent dans les territoires autochtones. Dans de tels cas, tant la Déclaration que la Convention 169 déterminent l’obligation de l’État de passer par un processus de consultation des peuples concernés avant de prendre des mesures qui pourraient leur être préjudiciables. Par exemple, une consultation doit être préalable aux appels d’offres pour des lots pétroliers et avant toute autorisation d’exploration ou d’exploitation des minerais.

  • Avant d’adopter et d’appliquer des mesures législatives ou administratives pouvant les affecter (Art. 19 DNUDPI ; Art. 6.1. C169).

En outre, les deux instruments précisent l’obligation d’obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones dans des situations spécifiques concernant leurs droits à la terre ou à leurs territoires pouvant leur porter préjudice. Les activités des sociétés, en particulier extractives, affectent le droit à la terre ou au territoire des peuples autochtones. Dans ces cas là les États se doivent de veiller à :

  • Obtenir le CLPI avant d’approuver tout projet relatif aux terres ou territoires et autres ressources, en relation notamment avec le développement, l’utilisation ou l’exploitation de ressources minérales, hydriques ou autres (Art. 32.1 DNUDPI ; Art. 15.2 C169).
  • Respecter l’interdiction de transfert ou relocalisation des terres ou territoires indigènes sans avoir reçu le CLPI (Art. 10 de la DNUDPI, 16.2 C169).
  • Honorer la défense d’élimination ou de stockage de matières dangereuses sur les terres ou territoires autochtones sans le CLPI (Art. 29.2 DNUDPI).

 c) Droit aux moyens de subsistance : Les moyens de subsistance traditionnels des peuples autochtones sont en lien direct avec leurs terres ou territoires. Très souvent, les activités extractives ont des effets négatifs tels que la pollution de l’eau des rivières ou des étangs et des terres qui peuvent limiter l’accès des peuples à leurs moyens de subsistance. La Déclaration et la Convention 169 régissent le devoir des États d’assurer le droit des populations à leurs moyens de subsistance.

Droit qui leur assure la jouissance de leurs propres moyens de subsistance et de développement, tout comme de se consacrer librement à toutes leurs activités économiques traditionnelles ou autres (Art. 20.1 DNUDPI ; Art. 14.1 C169).

 d) Droit au développement : Il a été reconnu que les peuples autochtones sont l’un des groupes les plus touchés par les politiques et projets de développement. En réponse à cela, de nombreux peuples indigènes ont adopté leurs propres plans de vie ou de développement, en tenant compte des capacités de leur territoire, de ses ressources naturelles et des activités traditionnelles de subsistance qu’ils y déploient. Ces plans peuvent parfois être incompatibles avec ceux proposés par les gouvernements ou les entreprises. À cet égard, la Déclaration et la Convention 169 reconnaissent le droit aux peuples autochtones de déterminer leurs propres priorités pour l’exercice de leur droit au développement.

  • Droit de décision sur leurs propres priorités et stratégies pour l’exercice de leur droit au développement (Art. 7.1 C169 ; Art. 23 DNUDPI).
  • Droit de déterminer et d’élaborer les priorités et stratégies pour le développement ou l’utilisation de leurs terres, territoires et autres ressources (Art. 32.1 DNUDPI).

 e) Protection environnementale et santé : La contamination de leurs territoires par les activités des entreprises est fréquemment dénoncée par les peuples autochtones. Par exemple, les activités minières ont des effets pervers comme la pollution de l’eau et de la terre qui affectent l’environnement et la santé des populations. Dans ces cas, la Déclaration et la Convention 169 précisent les obligations des États pour la protection du droit des peuples autochtones à l’environnement et à la santé.

  • Droit à la conservation et à la protection de l’environnement et de la capacité productrice de leurs terres, territoires et autres ressources (Art. 29.1 DNUDPI ; Art. 4.1 y 7.4 C169).
  • Les États doivent prendre des mesures efficaces qui garantissent l’application correcte de programmes de contrôle, maintien et rétablissement de la santé des peuples autochtones affectés par le stockage de matières dangereuses sur leurs terres ou territoires (Art. 29.3 DNUDPI).

 f) Droit à réparation : La réparation d’une violation des droits des peuples autochtones est une obligation en vertu des dispositions de la Déclaration et de la Convention 169. Dans la plupart des cas les violations sont liées à la réalisation de projets d’exploitation des ressources naturelles, mis en œuvre par les entreprises, dans les territoires indigènes. Les droits fonciers ainsi que l’accès aux moyens de subsistance, outre les dommages environnementaux, sont fréquemment altérés par ce genre de projets. Dans ce type de situations, la réparation peut se faire sous forme de restitution ou d’indemnisation.

  • Droit à réparation pour les terres, territoires et ressources qui auraient été confisqués, saisis, occupés, utilisés ou dégradés sans consentement libre, préalable et éclairé (Art. 28.1 DNUDPI, Art.
  • L’indemnisation se fera par le biais de terres, territoires et ressources de même qualité, taille et statut juridique ou consistera en une compensation financière ou autre réparation (Art. 28.2 DNUDPI, Art. 16.4 C169).
  • Les populations déplacées de leurs terres ou territoires, même réimplantées, devront être indemnisées pour toute perte ou dommage lié à leur déplacement (Art. 16.5 C169)
  • Droit à réparation pour les dommages résultant des activités d’utilisation ou d’exploitation des ressources minérales, hydriques ou autres sur les terres ou territoires des peuples autochtones (Art. 32.3 DNUDPI, Art. 15.2 C169).
  • Droit à réparation en cas de spoliation des moyens de subsistance (Art. 20.2 DNUDPI).

 g) Droits du travail : De nombreux projets de développement emploient des membres de communautés autochtones comme main-d’œuvre. La Déclaration et la Convention 169 prévoient, dans ce cas, l’obligation de l’État de s’assurer que les individus, comme les peuples, jouissent de tous les droits internationaux du travail, sans discrimination aucune.

  • Profiter pleinement de tous les droits consacrés en droit international et national du travail (Art. 17.1 DNUDPI).
  • Bénéficier d’une protection en matière de contrats et de conditions d’emploi quand ils ne sont pas protégés par la législation applicable aux travailleurs en général (Art. 20 C169).
  • Ne pas être soumis à des conditions discriminatoires de travail, d’emploi ou de salaire (Art. 17.3 DNUDPI, Art. 20.3 C169).

4. En guise de conclusions :

Les peuples autochtones sont l’un des groupes les plus touchés par les activités des sociétés transnationales. C’est ce que reflètent les plaintes publiques et les communications portées à la connaissance des organes des Nations Unies. Elles démontrent également le laxisme étatique vis-à-vis de son devoir de protection des peuples autochtones tout comme l’insuffisance des lois nationales quant à leurs droits. Par ailleurs, il n’existe que très peu d’exemples où des États ou sociétés transnationales impliqués dans un processus de violation des droits des peuples indigènes, aient accordé des réparations effectives. Ces situations justifient la légitimité de la demande internationale d’un traité sur les sociétés transnationales et les droits de l’homme. Toutefois, sur la base des traités internationaux ratifiés par les États, ceux-ci ont devoir de protection contre les violations des droits de l’homme perpétrées par les entreprises. Le respect de cette obligation existe indépendamment d’un nouveau traité relatif aux sociétés et aux droits de l’homme.

Le débat autour d’un instrument juridiquement contraignant sur les entreprises et les droits de l’homme n’est pas nouveau. Il existe des précédents de processus préalables ayant échoué à imposer des obligations aux sociétés transnationales. La nouvelle initiative approuvée–en juin 2014- a également son point faible, celui de ne pas compter avec le soutien, plein et entier, des États membres du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, ce qui peut être un frein à la progression vers un traité. Un Groupe de Travail Intergouvernemental sera chargé d’élaborer le futur traité sur les sociétés transnationales et les droits de l’homme, et lors de sa première réunion devra recueillir les opinions et les propositions des États comme des intéressés.

Les peuples autochtones sont l’une des parties prenantes du traité sur les sociétés transnationales et les droits de l’homme. Au cours des délibérations, il est indispensable que leurs droits internationalement reconnus soient pris en considération. La Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Indigènes (DNUDPI) et la Convention de l’OIT N° 169 sur les Peuples Autochtones et Tribaux dans les Pays Indépendants (C169) sont les instruments qui représentent le consensus international sur les droits des peuples indigènes. Tous deux imposent des obligations aux États et sont acceptés par les sociétés transnationales. Les droits à la terre ou au territoire, aux ressources naturelles, à la consultation et au CLPI, aux moyens de subsistance, au développement, à la protection de l’environnement et de la santé, ainsi que le droit à réparation, doivent être pris en compte dans son élaboration.

Luis Vittor pour Alai-Amlatina

*Luis Vittor, économiste péruvien.

Alai-Amlatina. Equateur, 2 février 2015.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Florence Olier-Robine

El Correo. Paris, 12 février 2015.

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Notes

[2« Report of the Special Rapporteur on the rights of indigenous peoples », James Anaya. Addendum. Communications sent, replies received and observations, 2012 – 2013. A/HRC/24/41/Add.4. 2 September 2013.

[3Overview. GSM resources

[5« Report on observations to communications sent and replies received by the Special Rapporteur on the Rights of Indigenous Peoples », James Anaya. A/HRC/27/52/Add.4

[6Corte Suprema paraliza proyecto minero El Morro de Goldcorp. por P. San Juan/Reuters - 07/10/2014.

[7« Industrias extractivas que realizan operaciones dentro de territorios indígenas o en proximidad de ellos. Informe del Relator Especial sobre la situación de los derechos humanos y las libertades fundamentales de los pueblos indígenas », James Anaya. Documento A/HRC/18/35 (11 de julio de 2011).

[8Ver : «  State national action plans  » (Planes de Acción Nacionales de los Estados).

[9Declaración en nombre de un grupo de países en la 24 ª edición de sesiones del Consejo de Derechos Humanos Pdf. Debate General–Articulo 3 - « Empresas Transnacionales y Derechos Humanos ». Ginebra, Septiembre, 2013.

[10La resolución obtuvo 20 votos a favor, 14 en contra y 13 abstenciones. Los Estados de la Unión Europea y Estados Unidos votaron en contra y son mayoritariamente los países de origen de las empresas. La resolución fue apoyada principalmente por países de América Latina y África.

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