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20 avril 2015

MEDIAS ET COMUNICATION

Les luttes pour le langage

par Santiago Stura *

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

A partir de l’expérience du récent Forum International par l’Émancipation et l’Égalité, Santiago Stura souligne l’importance des batailles discursives comme étant essentiellement politiques permettant à leur tour des ouvertures sur de nouveaux horizons.

Il y a quelques jours le Forum International pour l’Émancipation et l’Égalité s’est tenu en Argentine, organisé par le Secrétariat de Coordination Stratégique pour la Pensée Nationale, une instance dépendant du Ministère de la Culture du pays. Cela a été un événement très utile au cours duquel nous avons eu la chance d’écouter, apprendre et dialoguer avec des figures contemporaines de référence de la pensée de l’émancipation ; un événement sur lequel nous pouvons écrire et réfléchir. Plusieurs points valent la peine d’être traités mais j’aimerais me focaliser sur un aspect central, à savoir que le forum a étudié et condensé de façon explicite et indiscutable toute une série de concepts, idées ou mots qu’il n’est plausible de penser et d’énoncer que dans le cadre des gouvernements populaires latinoaméricains [Ex. : « Amérique Latine et Europe dans un miroir » Alvaro García Linera, Vice-Président de la Bolivie].

Le Forum International pour l’Émancipation et l’Égalité a traité du langage de l’émancipation, ce qui aurait été inimaginable quelques années auparavant. Il fixe un sens, se crée une place, une théorie qui nous contient. Ce forum prend des risques au nom de vérité, étant donné que l’apparition d’un langage de l’émancipation équivaut à l’apparition de l’émancipation en tant qu’axe central. Il constitue pour nous une occasion d’échanger des mots comme égalité, liberté, souveraineté, mouvements populaires, distribution, solidarité, État, gauche, socialisme, vivre bien, progressisme, grande patrie.

Ce forum est pour nous situé dans une perspective où les mots et les discours ont un caractère performatif ; où ils n’ont pas à révéler ou à dissimuler une vérité car ce sont eux qui construisent la vérité, qui se battent pour le sens contre d’autres discours. Des mots qui réapparaissent, qui luttent contre leur obsolescence présumée, des discours qui signalent un horizon, qui jouent avec les limites de ce qui peut être pensé et dit. Nous avons dépassé toutes les idées qui pouvaient nous faire croire à l’existence d’un fétichisme discursif qui rendrait possible et pertinente la question de la vérité « extra-discursive ». Hans-Georg Gadamer dira que « la tromperie du langage , la suspicion de l’idéologie ou même le doute de la métaphysique sont aujourd’hui des tournures tellement usuelles que parler de la vérité du mot est synonyme de provocation ». Il exprime ensuite que « ... nous devons nous mettre d’accord sur le sens de la vérité dans ce contexte. Il est clair que le concept traditionnel de vérité, l’adage adaequatio rei et intellectus [La vérité est la concordance et l’être et l’entendement], n’a ici aucun sens puisque le mot n’est absolument pas compris comme un énoncé relatif à quelque chose, mais comme l’énoncé lui-même ; il établit et réalise lui-même une prétention ». Nous ne pouvons pas aborder la complexité de l’élément social en pensant à des voiles déformant que nous devons écarter pour accéder à « ce qui est réel » ou à « la vérité ».

La notion de discursif [1] en tant qu’élément performatif  [2] construit la vérité et constitue un acte politique. Tout acte politique constitue un discours et tout discours constitue un acte politique. À partir de là, nous pouvons considérer ce qui est discursif. Un penseur tel que Marc Angenot [3] dira que « nous pouvons qualifier de discours social (...) les systèmes génériques, les catalogues de thèmes, les règles d’enchaînement d’énoncés qui, dans une société donnée, organisent ce qui peut être dit, narré et opiné, et qui assurent la division du travail discursif ».

Le Forum International pour l’Émancipation et l’Égalité vient condenser une grande quantité de batailles discursives rendant compte d’un nouveau paradigme ; il vient montrer, de façon catégorique et tranchante la gestation d’un nouveau langage de l’émancipation. Un langage qui se souvient très bien des gestes passés, qui récupère des mots et en invente aussi de nouveaux. Un langage qui passe les frontières et qui s’enrichit de cultures différentes et à la fois semblables.

Un langage qui vient défier les limites, activer des rêves qui semblaient inaccessibles et ouvrir de nouveaux horizons. Un langage qui reconnaît les particularités et les difficultés auquel tout processus politique fait face, tout en permettant de donner forme à l’ensemble de ces expériences dans le but de construire un nouveau paradigme. Un paradigme qui n’établit pas de dogme borné de points à suivre mai qui, au contraire, accorde une place centrale à des mots rebelles, à des mots qui permettent le jeu de la signification, avec toujours à l’esprit l’enrichissement de la démocratie. L’émancipation et l’égalité, voilà le vrai débat.

Santiago Stura * pour Página 12

* Santiago Stura. Titulaire d’une Maîtrise ès Sciences de la Communication (suivant actuellement un Master en Communication et Culture, UBA).

Página 12. Buenos Aires, 15 avril 2015.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Floriane Verrecchia-Ceruti.

El Correo. Paris,20 avril 2015.

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Notes

[1Bajtín, il s’agit d’un série de concepts stables du langage qui sont regroupés car ils présentent des similitudes quant à leur contenu thématique, leur style verbal et leur composition. Wikipedia

[2Les énoncés performatifs constituent l’un des types d’énoncés possibles décrits par John Langshaw Austin, philosophe du langage, dans son œuvre « Comment faire des choses avec des mots », dans laquelle ont été collectés ses écrits, de manière posthume pour former sa théorie des actes de parole. Wikipedia

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