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5 octobre 2011

Les économistes techniciens de la Colombie d’échec en échec...

par Antonio Caballero

 

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Les économistes, de déroute en déroute et d’échec en échec, ont réussi à diriger tant dans la théorie que la pratique la politique depuis un siècle et demi.

Cette revue, que je suppose bien informée, dit qu’au gouvernement de Juan Manuel Santos les économistes professionnels commandent. Le président l’est, et avec lui ce sont les deux tiers des ministres du cabinet et la majorité des grands conseillers : celui des Finances, celui des Mines, celui de l’Agriculture, celui de la Défense, celui du Logement, celui de l’environnement, celui de la Protection (il en est ainsi : bien que nous l’ayons déjà vu). Aussi le directeur de la Planification Nationale est économiste : le même Hernando José Gómez à qui nous devons (ou plutôt : qui nous doit, et continuera de nous devoir) les signatures et les resignatures et les génuflexions et les re-génuflexions du Traité de libre commerce avec les États-Unis qui quand entrera enfin en vigueur (s’il entre : puisqu’un ange gardien nous a protégés jusqu’à présent), ruinera certainement l’agriculture colombienne, ruine dont naît la violence colombienne. La prochaine vague de violence rurale (et de rebond urbain) sera en Colombie provoquée par ce TLC qu’avec tant d’enthousiasme ont mendié les gouvernements de Santos et d’Uribe : les gouvernements des économistes professionnels colombiens.

Je ne parle pas seulement des dix dernières années. Depuis longtemps les économistes ont trop démontré, ici et dans la moitie du monde, que les pires gouvernements ce sont les inspirés ou maniés par ceux-ci. Tous les autres sont pour le moins mauvais : ceux des généraux, ceux des théologiens, ceux des propriétaires terriens, ceux des avocats, ceux des monarques de droit divin, ceux des agents secrets de l’espionnage, ceux des journalistes. Même ceux des hommes politiques. (Une exception peut-être ? Celle du « miracle allemand » de Ludwig Erdhard dans l’ Allemagne de l’immédiate après-guerre mondiale ? Non : l’homme politique Konrad Adenauer dirigeait économiquement ce gouvernement depuis la Chancellerie, et l’économiste Erhard se limitait à le traduire en politique depuis le Ministère des Finances. Quand lui même est arrivé à la Chancellerie, le « miracle » s’est écroulé). Les économistes, cependant, de déroute en déroute et d’échec en échec, ont réussi à diriger tant en théorie qu’en pratique la politique depuis un siècle et demi : depuis le socialiste « scientifique » Karl Marx jusqu’au capitaliste aussi « scientifique » Milton Friedman et ses successeurs néolibéraux, quelles qu’aient été leurs divergences idéologiques (pour ne pas dire « scientifiques »). Et les résultats ont été parallèles et bruyamment catastrophiques, tant du côté des marxistes que des friedmaniens. L’échec des premiers a été vu suffisamment dans la chute du soi-disant « bloc socialiste » il y a vingt ans : ils survivent seulement, comme des naufragés assoiffés accrochés aux épaves d’un naufrage, des dictatures dynastiques auto-dénomées socialistes de Cuba et de la Corée du Nord. L’échec des deuxièmes est aujourd’hui sous les yeux : aux États-Unis, dans l’Union Européenne, au Japon, à Singapour, en Suisse. En Colombie, n’en parlons pas. Mes lecteurs sont-ils sortis dans la rue ?

Keynes ? Keynes était le socialisme modéré par le bon sens. Ils n’ont pas osé : si quelque chose terrorise les économistes-hommes politiques c’est qu’on puisse les accuser d’être « socialistes », comme ce grand bourgeois de Londres. (Le dernier qui depuis la doctrine a réclamé ce qualificatif de gloire ou d’infamie fut Marx, un petit bourgeois de Londres). De manière que Keynes, dont les recettes de bon sens ont sortie le monde de la dépression des années trente (avec l’aide d’un grand homme politique, le président Roosevelt, et d’une guerre mondiale), quand est survenu la première récession d’il y a trois ans fût alors seulement un nom de référence : mais pas un modèle.

Cette revue dit , dans l’article que je commente, que les économistes professionnels qui sont aux manettes du gouvernement de Santos ont réussi à parvenir à leurs positions de pouvoir « par leur possession des sujets techniques, même au-delà de leurs tendances politiques ». Il me semble que ce n’est pas ainsi, bien au contraire : les sujets dits techniques conditionnent de la tête aux pieds les décisions politiques. Ou plus encore : le penchant pour la technique est en soit une prise de position politique.

En Colombie, où nous avons avec plus que de raison par-dessus la tête de la politique des hommes politiques, nous devrions donc avoir une saine méfiance envers la politique des techniciens. Bien qu’on l’appelle autrement, c’est pareil.

Titre original : Les économistes techniciens

Semana. Colombie, le 1er octobre 2011

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

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El Correo. Paris, 5 de octobre 2011

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