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5 mars 2015

Les coups d’État « mous » : un cas d’école

par Guillermo Alvarado

 

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Les nouveaux coups d’État n’utilisent plus l’armée mais sont purement institutionnels. Le président du Honduras Manuel Zelaya a été renversé par le Parlement, de même que l’a été l’évêque Fernando Lugo, président paraguayen. Rafael Correa, en Equateur, a subi une tentative de coup d’État de la police, Evo Morales, en Bolivie, celui venant des oligarchies qui gouvernent les régions orientales, Hugo Chávez a subi celui de la bureaucratie et de la technocratie qui contrôlait l’entreprise pétrolière PDVSA, source des devises du pays et son successeur Nicolás Maduro, celui du grand capital organisateur de l’accaparement des biens essentiels et de la fuite illégale des capitaux. Dilma Rousseff, quant à elle, affronte en ce moment la campagne pour l’impeachment et Christina Fernández, en Argentine, a affronté successivement la spéculation contre le peso pour forcer une dévaluation, l’attaque judiciaire aux États-Unis des « fonds vautours » pour provoquer une vague de remboursements qui mèneraient l’Argentine à la ruine et, depuis janvier, la préparation d’un coup judiciaire profitant du suicide douteux du procureur Alberto Nisman. Ce dernier avait accusé la présidente et son ministre des Relations Étrangères, dans une plainte incohérente manquant de preuves et démentie par Interpol, de couvrir les iraniens, supposés organisateurs de l’attentat du 18 juillet 1994 contre l’Association Mutuelle Israélo-Argentine (AMIA), qui fit 85 mors et 300 blessés.

Une partie de ce coup d’État en préparation était la marche du 18 février menée par les procureurs héritiers de la pensée de Carlos Menem, qui réunit près de 90 000 (les organisateurs parlent de 400 000). Si on y ajoute 100 000 autres personnes qui défilèrent dans les principales villes des grandes provinces, ce sont approximativement 200 000 personnes qui se mobilisèrent contre le gouvernement. Ce fut une protestation importante mais en aucune manière impressionnante puisque l’électorat argentin atteint les 33 millions de personnes en condition de voter, la ville de Buenos Aires et le Grand Buenos Aires réunissent quelque 14 millions d’habitants et les grandes villes, comme Mar del Plata ou Córdoba, ont accueilli des manifestations importantes, sont toujours pleines de touristes argentins des mêmes classes moyennes aisées qui ont constitué le principal contingent de la marche à la Place de Mai.

C’est pour cela que, bien que tous les candidats à la présidence des différents partis de l’opposition aient participé à la marche, l’opposition ne crie pas victoire. Car la marche a réuni seulement le quart des personnes qu’elle espérait réunir, mais, surtout, parce que l’âge moyen des manifestants était supérieur à 50 ans et que les pauvres et les ouvriers n’ont pas défilé. Également parce que la marche s’est limitée à refléter une fois de plus qu’à Buenos Aires, le conservatisme prédomine -qui s’exprime dans le vote à Mauricio Macri- et la peur à l’insécurité (comme il a pu être constaté dans le passé lors de la marche très suivie et réactionnaire organisée par le faux ingénieur Blumberg) mais que ces conservateurs ne sont pas pro-impérialistes [comme les journaux] Clarín, La Nación, Macri [gouverneur conservateur de la ville autonome de Buenos Aires] et Cie.

En résumé, l’histoire de l’attentat de l’ AMIA est la suivante : l’ex-président néolibéral Carlos Menem [1989-1995 et 1995-1999] est arrivé au gouvernement à travers le financement du gouvernement dictatorial syrien de Hafez Al Assad mais sa première mesure consista à se rendre en Israël. Comme à cette époque les États-Unis étaient alliés à Assad et combattaient l’Iran, la justice argentine et la faible imagination de l’ambassade étasunienne inventèrent une piste iranienne, éliminant la possibilité d’une vengeance des services syriens d’intelligence s pour la trahison de Menem.

Le gouverneur Nisman enterra pendant plus d’une décennie la cause de l’ AMIA. C’était un procureur télécommandé qui défendait sa stratégie à l’ambassade […] avec le Mossad, les servies d’intelligence d’Israël, desquels il fut dépendant jusqu’à sa mort.

En octobre un nouveau président sera élu et jusqu’à présent ni le gouvernement ni l’opposition ont un candidat solide et sérieux. Dans les services d’intelligence -que le gouvernement essaye de maintenir mais en les réformant- il y a une guerre de clans qui donne lieu à toute sortes d’aberrations (suicides douteux et falsification de documents inclus). L’impérialisme maintient son offensive économique et médiatique contre un gouvernement qui dépend toujours plus des capitaux chinois. Le kirchnérisme est dans la défensive, déconcerté, et mélange des tentatives de contrôle d’ espions avec des mesures et attitudes de droite. En plein centre de la ville de Buenos Aires campent des indigènes de la province dont le premier ministre fut gouverneur et qui exigent qu’on mette fin à la mort de leurs enfants par malnutrition et assassinat de la police mais les conservateurs réactionnaires qui protestent contre la mort de Nisman eux tournent le dos à ces pauvres et le gouvernement ne les aide même pas. Pendant que tous parlent de justice et de démocratie, il y a une dure lutte au sein de la classe gouvernante et de ses institutions, une action subversive dans les services d’intelligence, parmi les procureurs et les juges, au sein de l’Union Industrielle parmi les bénéficiaires possibles de l’accord avec la Chine et les entreprises transnationales opposées à celui-ci. Les élections sont secondaires car elles essaient de décider comment gouverner illégalement sur le dos des majorités de travailleurs.

Le coup d’État « mou » en Argentine est seulement un maillon de la chaîne qui s’étend du contrôle total du Mexique et des coups au Venezuela et dans d’autres pays d’Amérique Latine jusqu’à la préparation en Ukraine et au Moyen-Orient d’une guerre future contre la Russie et la Chine. Ce plan stratégique donne le cadre pour les divers processus locaux.

Guillermo Almeyra pour Rebelión.

Rebelión. Mexique, 22 février 2014

* Guillermo Almeyra Historien, chercheur et journaliste. Docteur en Sciences Politiques (Univ. Paris VIII), professeur-chercheur de l’Université Autonome Métropolitaine, unité Xochimilco, de Mexico, professeur de Politique Contemporaine de la Faculté de Sciences Politiques et Sociales de l’Université Nationale Autonome de México. Domaine de recherche : mouvements sociaux, mondialisation. Journaliste à La Jornada, Mexique.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Thomas Daburon

El Correo. Paris, 5 mars 2015.

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