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26 mars 2007

Dialogue avec le docteur Miguel Altieri.

"Les biocombustibles sont un mode d’impérialisme biologique"

 

Le spécialiste en agro écologie a conversé avec APM sur l’actualité de l’Amérique Latine. Il a durement critiqué le développement de l’éthanol et a souligné le rôle des mouvements sociaux dans la lutte pour la souveraineté alimentaire.

Par Roberto Aguirre
APM
. La Plata. Argentine, le 22 mars 2007.

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Le docteur Miguel Angel Altieri est un des plus grands spécialistes de l’agro écologie dans le monde. Né au Chili et actuellement professeur à l’Université de Berkeley, en Californie, ce spécialiste définit cette discipline comme une science qui pose un nouveau paradigme scientifique pour le développement de l’agriculture, qui rejette la dépendance aux agro-toxiques et à l’utilisation de transgéniques, et réhabilite les savoirs traditionnels des paysans.

A l’occasion du Séminaire d’Agro-écologie qui s’est tenu dans la ville de La Plata, en Argentine, sous l’égide de l’Institut pour la Petite Agriculture Familiale de la région de la Pampa (IPAF de la Pampa) de l’Institut National de Technologie Agricole (INTA) et la Faculté de Sciences Agricoles et Forestières de l’Université Nationale de La Plata, Miguel Altieri a donné une conférence où il a expliqué le développement de son modèle. APM a pu échanger avec l’académicien sur les sujets liés à la réalité latinoaméricaine.

Avec la visite du président des Etats-Unis, George Bush, en Amérique Latine, plus spécifiquement au Brésil, s’est déclenchée une polémique autour de la viabilité du développement des biocombustibles. Quel est votre avis à ce sujet ?
 Les biocombustibles sont une tragédie écologique et sociale. Avec leur production on va créer un très grand problème de souveraineté alimentaire, puisqu’il y a des milliers d’hectares de soja, de canne à sucre et de palmier africain qui vont se développer, ce qui va produire une déforestation massive. Ceci est déjà le cas en Colombie et en Amazonie au Brésil. Cela va en outre augmenter l’échelle de production de monocultures mécanisées, avec de hautes doses d’engrais , spécifiquement de l’Atrazine, qui est un herbicide très nuisible avec un effet endocrinien. Disons que les problèmes de l’agriculture industrielle seront renforcés de façon énorme.

D’autre part, le développement des biocombustibles n’a aucun sens d’un point de vue énergétique, puisque toutes les études qui ont été faites démontrent qu’on a besoin de davantage de pétrole pour fabriquer du biocombustible. Par exemple, dans le cas de l’éthanol de maïs on a besoin de 1.3 kilocalories de pétrole pour produire une kilocalorie de bioéthanol. Ceci n’a aucun sens. Ce qui arrive, principalement, c’est la conception d’une nouvelle stratégie de reproduction pour le capitalisme, qui prend le contrôle des systèmes alimentaires. Se produit ici l’alliance inconnue des multinationales pétrolières biotechnologiques, des fabricants de voitures, des grands négociants de grains et de quelques institutions conservatrices. Alors, il y a un conglomérat qui va décider avec la Chine, étant donné sa demande de soja, quels vont être les grandes orientations des paysages ruraux de l’Amérique Latine. Je crois qu’en ce sens nous devons faire très attention à ce que nos gouvernements, bien qu’ils veuillent utiliser cette opportunité, donnent la priorité à la souveraineté alimentaire comme un élément de développement stratégique.

Ces jours -ci des études ont vu le jour confirmant que les Etats-Unis et l’Union Européenne n’ont pas assez des terres pour remplir les objectifs imposés pour le développement des biocombustibles. Ceci implique qu’on a déjà pris une décision : l’Amérique Latine et les pays du Tiers Monde sont ceux qui fourniront les ressources nécessaires...
 Je cite seulement un exemple. Pour que les Etats-Unis produisent tout l’éthanol dont ils ont besoin pour remplacer leur pétrole, ils devront cultiver six fois leur surface. Alors, il est clair qu’ils vont le faire dans les pays d’Amérique Latine et, de fait, ils sont déjà en chemin ; telle fut la convention qu’a signé Bush avec Lula et voilà les marchés qui vont dicter ce qu’on va commencer à produire.

Sommes-nous face à une nouvelle forme de colonialisme ?
 Totalement, c’est un impérialisme écologique. Mais nous aussi, comme pays, nous devrions avoir la dignité suffisante pour nous mettre dans cette affaire, en privilégiant la souveraineté alimentaire : la terre en plus que destinerons aux biocombustibles. Il doit y avoir d’importantes décisions parce ce qui est en jeu est trop important.

Dans votre dissertation vous posiez que l’agro-écologie a une dimension politique, et que son développement doit avoir lieu depuis les mouvements paysans eux-mêmes. Concevez-vous l’agro-écologie comme l’outil du changement social ?
 Les mouvements paysans et les mouvements sociaux ruraux ont accepté l’agro-écologie, ce n’est pas que l’agro-écologie les ait acceptés. De même, ils ont reconnu l’agro-écologie comme un moyen fondamental pour atteindre la souveraineté alimentaire. Ils voient que la proposition agro-écologique est très compatible avec leurs discours parce que c’est une science et une technologie socialement active qui permet et favorise la participation sociale. C’est une science qui n’est pas contre la rationalité paysanne mais elle s’est construite, au contraire, sur la connaissance paysanne, en opposition au paradigme traditionnel qui détruit la connaissance paysanne.

D’autre part l’agro-écologie est une ressource économiquement durable parce qu’elle se base sur l’utilisation de ressources locales, qui lui permet de développer une proposition beaucoup plus bon marché et non dépendante. Elle est aussi écologiquement saine, parce qu’elle ne prétend pas modifier l’écosystème campagnard, mais essaye de l’optimiser, contrairement à l’agriculture traditionnelle qui tend à le détruire. La majorité des mouvements sociaux voit l’agro-écologie comme une science, qui fournit les bases scientifiques pour une transformation de l’agriculture, mais compromise avec un agenda de développement social et durable très clair, à savoir, socialement juste, qui considère la réforme agricole, la réalité des paysans et le respect des cultures. C’est pourquoi, les mouvements paysans ont vu que l’agro-écologie offre un outil très important, et qu’elle est compatible avec leurs objectifs de souveraineté alimentaire.

Comme a été souligné le rôle des mouvements sociaux, vous avez souligné que la voie institutionnelle aurait des limites pour le développement d’un modèle agro-écologique.
 Oui, il a des limites parce que les institutions, surtout l’État, souffrent des oscillations politiques et n’ont pas de continuité dans les programmes. Nous ne pouvons alors pas penser que le futur de l’agro-écologie va rester dans la main de décisions politiques qui sont changeantes. C’est pourquoi nous devons doter de pouvoir les Communautés rurales pour qu’elles reproduisent ce modèle.

Mais ces processus institutionnels plus ouverts, peuvent être utilisés par les groupements paysans pour démarrer avec un projet.
 Oui, il y a plusieurs espaces ouverts, et je crois qu’il faut les utiliser et les soutenir, mais aussi les organisations paysannes doivent avoir un rôle plus actif, non pas si passif.

En pensant aux mouvements sociaux comme les véritables acteurs de l’agro-écologie, que vous avez défini comme une "révolution latinoaméricaine", pourquoi croyez-vous que la majorité des mouvements sociaux en Amérique latine sont attachés à l’agro-écologie comme modèle de lutte ?
 Il arrive que la plus grande partie de la pauvreté est d’origine rurale, les grandes masses de pauvres dans les villes sont, dans leur majorité, des paysans qui ont été déplacés. D’autre part, de nos jours par l’agriculture passent tous les problèmes fondamentaux de l’humanité : le problème énergétique, celui de la sécurité alimentaire et celui de la santé. Les mouvements sociaux observent ceci et voient que l’agro-écologie leur donne une force à plusieurs endroits. Et ceci se produit aussi dans les espaces urbains, où les gens se rendent compte que la qualité de vie dépend de la qualité de l’agriculture. En ce sens, les gens savent que s’ils achètent du McDonald’s, ils achètent un type d’agriculture qui endommage leur santé, tandis que s’ils achètent sur les marchés locaux, en plus de soutenir leurs petits agriculteurs, ils ont accès à des aliments sains et de la biodiversité.

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