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20 mai 2004

Les Entreprises Multinationales de l’Union Européenne en Amérique latine

par Cédric Durand

 

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Pourquoi dans les pays de la périphérie capitaliste comme l’Amérique latine, les entreprises multinationales représentent-elles un problème politico social spécifique ? De quelle manière peuvent-elles altérer la situation des populations et menacer la souveraineté des peuples ? Fondamentalement, ce problème réside dans les avantages de ces entreprises en fonction de leur niveau de développement et dans leur capacité à étendre un pouvoir exorbitant sur les populations et les institutions publiques des territoires où elles s’implantent. Sur ce sujet peu importe si les entreprises sont américaines, européennes ou japonaises. La vision selon laquelle la relation économique entre l’Union Européenne (UE) et l’Amérique latine serait plus équilibrée qu’entre les États-Unis et l’Amérique Latine, ne peut pas être justifiée par la conduite des entreprises européennes et les relations économiques qu’elles contribuent à organiser.

Les entreprises multinationales issues des pays de l’UE représentent la moitié des principales entreprises multinationales mondiales et, jouent en Amérique latine, un rôle aussi grand que les entreprises des États-Unis. Dans le cadre des récents accords et de négociations entre l’UE et les pays ou les groupes de pays d’Amérique latine (UE - Mexique, UE - Chili et UE-MERCOSUR), les questions liées aux investissements donnent de plus en plus de droits à ces multinationales. Les clauses qui libéralisent complètement le rapatriement des bénéfices aux maisons mères ainsi que l’interdiction de toute espèce de préférence aux investisseurs nationaux privent les gouvernements d’instruments de régulation et de politique industrielle.

De la même manière, elles interdisent toute espèce de recours qui peuvent conditionner les investissements, par exemple de la part des autorités locales ou municipales pour s’assurer qu’un investissement ne touche pas à l’environnement. L’aspect le plus dramatique peut être, concerne l’interdiction d’expropriations ou de "de mesures équivalentes aux expropriations". Comme on l’a déjà vu dans le cadre du Traité de Libre Commerce de l’Amérique du Nord (TLCAN), ce dernier à cause de son caractère très étendu représente un plus grand danger pour la souveraineté des peuples. De facto, les multinationales peuvent obtenir des réparations financières pour n’importe quelle mesure politique qui aurait des conséquences négatives sur leurs activités. Concrètement, il y a une supériorité des droits des entreprises multinationales pour réaliser des profits sur le droit des communautés à protéger l’environnement, la santé publique ou les conditions de travail.

Durant la dernière décennie les investissements directs européens en Amérique latine ont progressé de 300 %. Un facteur important de cette croissance a été la privatisation massive de services et des entreprises publiques qui a représenté une opportunité extraordinaire d’affaires pour les multinationales. Avec cette présence, beaucoup d’événements illustrent le danger spécifique que les entreprises multinationales représentent compte tenu d’une conduite prédatrice, de la possibilité de départ brutal ou du non respect de la souveraineté des peuples.

Compte tenu de leurs avantages de départ sur les entreprises nationales, les multinationales peuvent échapper aux mécanismes de concurrence et adopter une conduite prédatrice basée sur des rentes de monopole. Ainsi, elles peuvent s’approprier des ressources naturelles ou énergétiques stratégiques en empêchant les gouvernements d’obtenir les recettes financières qu’ils peuvent tirer de ces secteurs. Ainsi, dans le cas bolivien, les multinationales partie prenante de l’exploitation du gaz refusent d’ accepter une augmentation du prélèvement fiscal proposée par le président Carlos Mesa pour pallier la crise économique qui secoue ce pays.

On observe d’autres cas où les multinationales jouent cote à cote et font des alliances pour appliquer des tarifs très élevés et pour rapatrier auprès de leur maison mère des bénéfices élevés sans se préoccuper de l’impact de leur conduite. Ainsi, la Banque Mondiale et la Banque du Mexique ont souligné que dans ce pays où une seule banque à capital national subsiste, les taux de profit du secteur bancaire sont les plus élevés du monde. Les banques étrangères dont la britannique HSBC du et les espagnoles BBVA - Bancomer ou la Santander, touchent des commissions dix fois plus hautes que dans leur pays d’origine et, en même temps, ne prennent pas de risque et ne jouent pas leur rôle de financement de l’économie.

L’exemple de l’Argentine est aussi très explicite de la conduite prédatrice des multinationales. Après la crise de 2000-2001, beaucoup d’entreprises multinationales en relation avec les antérieurs services publics ont préféré fermer leurs filiales sans considération pour leurs créanciers et leurs employés. Ce fut le cas, notamment, dans le secteur de l’eau ( les français Suez-Lyonnaise des Eaux et Veolia ex Vivendi ; Aguas de Barcelona ; Anglian water), de l’énergie (Electricité de France et Total-Fina-Elf ; des anglais United Utilities et National Grid ; de l’espagnol Repsol de l’Espagne), mais aussi des télécommunications (Telecom Italia et France Telecom). Outre le fait que ces entreprises furent impliquées dans cas de corruption rattachés aux privatisations, ont rapatriés à leur maison mère des bénéfices exceptionnellement élevés durant les années 90. Leur stratégie en matière d’investissements a été clairement une stratégie prédatrice :

 1 : financer directement le minimum de l’investissement avec un très fort endettement sur le marché local
 2 : rapatrier le maximum de bénéfices chaque année, ce qui implique d’investir le minimum dans les infrastructures et le développement de l’activité
 3 : partir quand la situation est devenue mauvaise pour s’échapper et ne pas contribuer au financement de la sortie de crise.

Le problème lié au fait de quitter le pays est un deuxième type de problème. Du fait, il existe une asymétrie considérable entre les multinationales qui jouent à une échelle globale et les communautés enracinées dans un territoire. Cette asymétrie réside dans la faculté des multinationales de sortir d’une manière abrupte de l’affaire où elles se trouvent sans faire cas des populations et des travailleurs et parfois sans respecter la législation en vigueur. Le cas de la fermeture illégale de l’usine de pneus Euskadi de Jalisco, au Mexique, par l’entreprise allemande Continental est une bonne illustration de cette logique. Le 16 décembre 2001, la direction de Continental a fermé l’usine sans respecter aucune des conventions internes de l’entreprise ni la législation du travail mexicaine. Depuis plus de deux ans, la lutte des salariés de cette usine et de leur syndicat s’est exprimé par une grève qui a été finalement reconnue comme par les tribunaux mexicains et quelques voyages en Europe pour faire pression directement sur la maison mère.

In fine, il y a un problème du respect de la souveraineté des peuples. Les multinationales sont souvent des entreprises géantes qui dans certains cas produisent plus de richesses que le PIB de certains pays. Souvent dans ces pays périphériques, elles sont dans la capacité de faire chanter les gouvernements et de bénéficier de l’aide politique de leur pays d’origine pour obtenir une évolution en leur faveur de du cadre réglementaire. Ainsi, après la crise argentine, les gouvernements de l’UE ont fait des déclarations publiques pour exiger des autorités du pays dévasté à ne pas prendre de mesures qui pourraient être néfastes pour les multinationales.

Au Mexique, début 2004 une controverse est née sur la légalité de plusieurs concessions signées avec des multinationales dans le secteur de l’énergie, ce qui est explicitement défendu par la constitution. Après les observations de l’Auditoria Supérieur de la Fédération mexicaine surde ce problème, les représentants des investisseurs étrangers ont répondu d’une manière très négative, en manifestant leur manque de respect aux principes constitutionnels du pays. Ainsi, pour la directrice au Mexique d’Electricité de France - l’acteur privé le plus important dans le domaine de l’électricité au Mexique, Cintia Angulo, les choses sont très simples : "si nous sommes dans l’illégalité ou l’inconstitutionnalité, alors qu’ ils rendent légaux et constitutionnels nos contrats ".
La situation bolivienne nous offre un autre éclairage révélateur du rôle décisif des multinationales sur la destinée des peuples. Le projet de loi d’hydrocarbure que le gouvernement a mis en consultation auprès de la société civile le 15 avril 2004 était connu avec une semaine d’avance par le siège de la société pétrolière espagnole Repsol qui opère sur les riches gisements de gaz du sud du pays !

Les problèmes rattachés à la présence des multinationales en Amérique Latine sont très inquiétants. Mais le plus important est de bien comprendre que pour les multinationales et les gouvernements ce processus est seulement un commencement : toutes les mesures qui sont définies dans des accords entre les pays latino-américains et l’UE octroient de plus en plus de libertés aux multinationales ce qui permet d’anticiper une aggravation de la situation économique de ces nations si on ne change pas les principes de l’intégration interrégionale.

Alainet. Equateur, le 10 mai 2004

Traduction libre de l’espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi

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