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30 janvier 2006

Le suivisme canadien en Afghanistan.

 

Par Pierre Beaudet
Alternatives
. Canada, jeudi le 19 janvier 2006,

Le décès tragique d’un diplomate canadien à Kandahar a rappelé à tout le monde la gravité de la situation qui sévit dans ce pays d’Asie centrale, près de cinq après sa « libération » par l’armée américaine. Depuis le renversement du régime taliban en effet et dans le sillon de la guerre en Irak, le Canada et l’Union européenne se sont empressés d’intervenir dans un pays affecté par un ensemble de crises complexes et profondes.

Il n’est pas possible de comprendre ce qui se passe en Afghanistan sans un bref retour sur le passé. Tout au long des années 80, ce pays est devenu LE champ de bataille privilégié de la guerre froide. Les États-Unis y avaient organisé une gigantesque opération militaire pour déstabiliser le gouvernement afghan à l’époque allié à l’URSS.Avec leurs alliés de la mouvance islamiste et jihadiste (y compris Bin Ladden) et les gouvernements pakistanais et saoudien, ils ont mis ce pays à feu et à sang dans le but de « saigner à blanc » l’Union soviétique. Peu avant l’implosion de l’URSS, les factions afghanes intégristes manipulées par Washington avaient refusé toute négociation.

Les Talibans comme dans la fable de Frankenstein

Arrivés au pouvoir au début des années 1990, ces factions ont continué de s’entre-déchirer provoquant des centaines de milliers de morts et d’exilés, jusqu’à temps que le Pakistan et ses protégés talibans ne décident de conquérir directement le pays. Comme on le sait maintenant, les Talibans sont par après devenus les « monstres » de la fable de Frankenstein, en s’« autonomisant » de leurs géniteurs. Les braves « combattants de la liberté » qu’avaient ainsi nommés le Président Ronald Reagan sont devenus des bêtes à abattre après les attaques du 11 septembre et depuis, la guerre continue.

Passivité et complaisance canadiennes

Pendant la guerre froide, l’appartenance du Canada à l’OTAN a fait en sorte que globalement, la politique canadienne est restée ancrée sur celle des Etats-Unis. En dépit de certaines réticentes et divergences ici et là, le Canada a appuyé la démarche américaine pour contenir (« containment ») et refouler (« roll-back ») l’« empire du mal ». L’Afghanistan dans ce contexte existait à peine sur l’écran radar d’Ottawa ni en termes de diplomatie ni en termes d’aide humanitaire puisqu’on considérait que c’était une « chasse gardée » des Etats-Unis.

Soutien au Pakistan et à l’Arabie saoudite

Mais le gouvernement canadien a continué d’entretenir d’excellentes relations avec les divers régimes militaires du Pakistan et la monarchie en Arabie saoudite, pourtant au premier plan de la stratégie de Washington. Le rôle du Pakistan comme point de passage principal pour la guerre américaine en Afghanistan ne fut jamais soulevé ni le problème sérieux qu’il posait en termes de légalité internationale et de déconstruction des tentatives de ramener la paix dans la région. Quant à l’« ami saoudien », ce n’est pas le Canada qui s’est mis à critiquer ses manœuvres de déstabilisation ni et encore moins les très sérieuses violations de droits qui ont proliféré dans cet État féodal et répressif. Parfois, le silence est plus assourdissant que bien des paroles.

Le Canada mandaté pour réparer les pots cassés

Aux lendemains du 11 septembre, le Président Bush a voulu comme il l’avait lui-même affirmé « profiter d’une opportunité ». Tout en organisant la guerre contre l’Afghanistan, il préparait déjà l’aventure irakienne. En quelques semaines, le régime taliban fut démantelé et Washington appela alors « à l’aide » ses alliés canadiens et européens pour ramasser les pots cassés. À Washington, on ne se gêne pas de dire dans les couloirs du Département d’état que c’est la mission que les Etats-Unis espèerent du Canada qui n’est pas une puissance militaire, mais qui peut « seconder » par un travail de police et un peu d’aide humanitaire l’action américaine. De la même manière, l’Union européenne a été « mobilisée ».

Appui indirect à la stratégie américaine

La situation s’est compliquée au moment de la guerre contre l’Irak. Certains gouvernements de centre et de centre-gauche (comme celui de Jean Chrétien) avaient alors refusé d’endosser l’action unilatérale des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne à la grande fureur de George Bush et des leaders de la droite comme Stephen Harper. Par après pour atténuer la confrontation, les gouvernements canadien et européens ont promis d’aider davantage la « reconstruction » de l’Afghanistan, secondant ainsi indirectement la stratégie américaine dans la région en permettant à Washington de concentrer ses forces sur l’Irak. Le « deal« en question était inavouable et a été masqué par un fleuve de bonnes intentions canadiennes et européennes soudainement converties à l’impératif d’« aider » et de « démocratiser » l’Afghanistan. Ainsi, le Canada y a déployé, sous le drapeau de l’ONU, une grande partie de ses soldats faisant de ce pays le principal lieu d’intervention canadienne. Également sans préavis ni passé, l’Agence canadienne de développement international (ACDI) s’est vue ordonnée par le gouvernement de mettre $250 millions de dollars de côté pour la « reconstruction » de l’Afghanistan, ce qui signifiait, à touts fins pratiques, qu’autant d’argent de moins était disponibilisé pour les engagements traditionnels du Canada, en Afrique notamment.

La crise continue

Qu’en est-il maintenant ? Les occupants ont passé la main, en principe, à un gouvernement afghan élu, mais celui-ci n’a pas la capacité ni sans doute la légitimité de gouverner. Le Président Hamid Karzai est surnommé par les Afghans le « maire de Kaboul », mais même dans la capitale afghane, il n’a pas grand pouvoir. Dans les régions, une grande partie des factions qui avaient fait la guerre contre l’URSS ont repris le contrôle en retransformant le pays en un gigantesque producteur d’opium. Selon l’ONU, 28 provinces du pays (contre 6 avant le renversement des Talibans) produisent l’opium dont les exportations ont représenté près de trois milliards de dollars en 2004 (90% du marché mondial de l’héroïne). Les Talibans pour leur part gardent des appuis importants dans le sud du pays où les populations ne sont pas enchantées devant une occupation qui semble se perpétuer.

Les Afghans qu’on ignore

Ici et là, les Afghans et les Afghanes tentent de s’organiser au niveau de la société civile, mais leurs appels restent la plupart du temps ignorés du gouvernement et des agences internationales. L’an dernier par exemple, les ONG locales et internationales ont demandé, en vain, que les priorités du gouvernement soient réorientées vers le développement social et la lutte contre la pauvreté dans un pays qui est au bas de l’échelle selon les indicateurs de l’ONU. Elles ont critiqué le « plan de reconstruction » mis de l’avant par la Banque mondiale (et fortement appuyé par le Canada) et qui consiste à imposer les recettes habituelles de la privatisation et de l’ouverture au marché international alors que presque partout, ces conditionnalités ont aggravé la situation au lieu de l’améliorer. Pendant ce temps, le contingent de l’ONU essaie de sécuriser certaines régions menacées par les talibans. De leur côté, les soldats américains qui opèrent en dehors de la force multinationale ont transformé leurs camps retranchés (comme Bagram) en d’immenses prisons où sont détenus et torturés des « suspects » qu’on soupçonne liés à Bin Ladden. Les trafiquants de drogue entre-temps continuent leur business en paix puisqu’ils font partie du gouvernement et qu’ils appuient les Etats-Unis dans la guerre.

Mission impossible ou erreur gravissime

Les soldats canadiens déployés sur le terrain, comme leurs collègues néerlandais, allemands, turcs, font ce qu’ils peuvent et veulent sans doute sauver des vies. Mais leur mission est impossible dans le présent contexte. Les Etats-Unis qui ont créé les conditions du chaos actuel sont trop contents de voir d’autres s’enliser dans une guerre qui risque d’être sans fin. Le gouvernement canadien a répondu à ces critiques en disant que le Canada ne pouvait être « indifférent » et devait s’investir. Mais pourquoi ne l’a-t-il pas fait ou si peu en République démocratique du Congo et dans tant d’autres crises dramatiques ? Ne peut-on soupçonner qu’il y ait d’autres considérations que les impératifs humanitaires ? Le gouvernement néerlandais qui a fait le même choix que le Canada s’interroge maintenant sur la validité de continuer dans les circonstances actuelles. Ne devrait-on pas avoir le même débat ?

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