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11 mars 2022

Le rôle regrettable de l’Europe dans la guerre russo-ukrainienne et les larmes qu’il a provoquées

Les clés d’une catastrophe annoncée

par Boaventura de Sousa Santos *

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

L’auteur analyse la genèse du conflit et l’incapacité des dirigeants européens à désarmer une guerre longuement préparée à l’avance. le rôle des États-Unis d’Amérique et ce qui attend la politique et l’économie internationale

Parce que l’Europe n’a pas su s’attaquer aux causes de la crise, elle est condamnée à s’occuper des conséquences. La poussière du drame est loin d’être retombée, mais force est tout de même de constater que les dirigeants européens n’étaient pas et ils ne sont toujorspas à la hauteur de la situation que nous vivons. Ils entreront dans l’histoire comme les dirigeants les plus médiocres que l’Europe ait eus depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Maintenant, ils font de leur mieux en matière d’aide humanitaire, et le mérite de cet effort ne peut être remis en question. Mais ils le font pour sauver les apparences face au plus gros scandale de cette époque. Ils gouvernent les peuples qui, au cours des soixante-dix dernières années, se sont organisés et ont manifesté le plus contre la guerre dans n’importe quelle partie du monde, où qu’elle ait eu lieu. Et ils n’ont pas été en mesure de les défendre contre la guerre qui, au moins depuis 2014, couvait chez eux.

Les démocraties européennes viennent de montrer qu’elles gouvernent sans les peuples. De nombreuses raisons nous amènent à cette conclusion.

UNE GUERRE PRÉPARÉE IL Y A LONGTEMPS

Cette guerre était préparée depuis longtemps par la Russie et les États-Unis. Dans le cas de la Russie, l’accumulation d’énormes réserves d’or ces dernières années et la priorité donnée au partenariat stratégique avec la Chine, notamment dans le domaine financier, en vue de la fusion bancaire et de la création d’une nouvelle monnaie internationale, et dans le commerce, où il existe d’énormes possibilités d’expansion avec l’initiative « la Ceinture et la Route » en Eurasie.

Dans les relations avec les partenaires européens, la Russie s’est révélée être un partenaire crédible, exprimant clairement ses préoccupations en matière de sécurité. Préoccupations légitimes, si un instant on pense que dans le monde des superpuissances il n’y a ni bien ni mal, il y a des intérêts stratégiques qu’il faut ménager. Ce fut le cas lors de la crise des missiles de 1962 avec la ligne rouge des Etats-Unis, qui ne voulait pas que des missiles à moyenne portée soient installés à moins de 70 km de sa frontière. Qu’on ne pense pas que seule l’Union Soviétique a cédé. Les États-Unis ont également renoncé aux missiles à moyenne portée qu’ils avaient en Turquie. Ils ont rendu la pareille, ils se sont accommodés et ils ont conclu un accord durable. Pourquoi cela n’a-t-il pas été possible dans le cas de l’Ukraine ? Regardons la préparation du côté étasunien.

LA DÉMOCRATIE N’EST QUE L’ECRAIN DES ETATS-UNIS D’AMERIQUE.

Face au déclin de l’emprise mondiale qu’ils ont depuis 1945, les États-Unis cherchent à tout prix à consolider des zones d’influence qui garantissent à leurs entreprises des facilités commerciales et l’accès aux matières premières. Ce que j’écris ci-dessous peut être lu dans des documents officiels et des groupes de réflexion, qui écartent les théories du complot. La politique de changement de régime ne vise pas à créer des démocraties, mais uniquement des gouvernements fidèles aux intérêts des États-Unis.

Ce ne fut pas des États démocratiques , ceux des interventions sanglantes au Vietnam, en Afghanistan, en Irak, en Syrie et en Libye. Ce n’est pas pour promouvoir la démocratie qu’ils ont encouragé des coups d’État qui ont renversé des présidents démocratiquement élus au Honduras (2009), au Paraguay (2012), au Brésil (2016), en Bolivie (2019), sans parler du coup d’État de 2014 en Ukraine.

Depuis quelque temps, le principal rival est la Chine. Dans le cas de l’Europe, la stratégie US repose sur deux piliers : provoquer la Russie et neutraliser l’Europe (surtout l’Allemagne). La Rand Corporation , organisme de recherche stratégique bien connu, qui a publié en 2019 un rapport préparé à la demande du Pentagone, intitulé « ExtendingRussiaCompetingfromAdvantageous Ground » [Lire en français : traduction automatique] analyse la manière de toucher les pays afin que la provocation puisse être exploitée par les États-Unis.

COMMENT DESTABILISER LA RUSSIE

Concernant la Russie, il dit :

« Nous avons analysé une série de mesures non violentes capables d’exploiter les véritables vulnérabilités et inquiétudes de la Russie comme un moyen de faire pression sur l’armée et l’économie russes et sur le statut politique du régime à l’intérieur et à l’extérieur. Les mesures que nous avons examinées n’auraient pas pour objectif principal la défense ou la dissuasion, bien qu’elles puissent contribuer aux deux. De telles mesures sont plutôt considérées comme des éléments d’une campagne visant à déstabiliser l’adversaire, en forçant la Russie à concourir dans des domaines ou des régions où les États-Unis ont un avantage concurrentiel, en amenant la Russie à s’étendre militairement ou économiquement, ou en obligeant le régime à perdre prestige et influence au niveau national et/ou international ».

Avons-nous besoin d’en savoir plus pour comprendre ce qui se passe en Ukraine ?

La Russie a été incitée à s’étendre pour ensuite être critiquée pour l’avoir fait. L’expansion de l’OTAN vers l’Est, contrairement à ce qui avait été convenu avec Gorbatchev en 1990, a été la première étape de la provocation. La violation des accords de Minsk en fut une autre. Il convient de noter que la Russie a commencé par ne pas soutenir la revendication d’indépendance de Donetsk et Lougansk après le coup d’État de 2014. Elle a préféré une autonomie forte au sein de l’Ukraine, comme prévu dans les accords de Minsk. Ces accords ont été rompus par l’Ukraine avec le soutien des États-Unis, et non par la Russie.

LE ROLE DESTINÉ À L’EUROPE

Quant à l’Europe, le principe est de conforter la condition de partenaire mineur qui n’ose pas perturber la politique des zones d’influence. L’Europe doit être un partenaire fiable, mais elle ne peut pas attendre la réciprocité. C’est pourquoi l’UE, à la surprise ignorante de ses dirigeants, a été exclue de l’AUKUS, le traité de sécurité pour la région Inde-Pacifique entre les États-Unis, l’Australie et l’Angleterre.

La stratégie du partenaire mineur exige que la dépendance européenne soit approfondie, non seulement dans le domaine militaire (déjà garanti par l’OTAN) mais aussi dans le domaine économique, c’est-à-dire énergétique. La politique étrangère (et la démocratie) des États-Unis est dominée par trois oligarchies (il n’y a pas d’ oligarques qu’en Russie et en Ukraine) : le complexe militaro-industriel ; le complexe gazier, pétrolier et minier ; et le complexe bancaire-immobilier. Ces complexes réalisent des profits fabuleux grâce aux rentes dites de monopole, des situations de marché privilégiées qui leur permettent de gonfler les prix.

Le but de ces complexes est de maintenir le monde en guerre et de créer une plus grande dépendance vis-à-vis des fournitures d’armes américaines. La dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie était inacceptable. Du point de vue de l’Europe, il ne s’agissait pas de dépendance, il s’agissait de rationalité économique et de diversité des partenaires.

Avec l’invasion de l’Ukraine et les sanctions, tout s’est déroulé comme prévu, et l’appréciation immédiate du cours des actions des trois complexes avait le champagne qui les attendait. Une Europe médiocre, ignorante et sans vision stratégique tombe impuissante entre les mains de ces complexes, qui leur diront désormais les prix à facturer. L’Europe est appauvrie et déstabilisée de ne pas avoir eu des dirigeants à la hauteur de la situation.

En plus de cela, elle se précipite pour armer des nazis. Elle ne rappelle pas non plus qu’en décembre 2021, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté, sur proposition de la Russie, une résolution contre « la glorification du nazisme, du néonazisme et d’autres pratiques qui promeuvent le racisme, la xénophobie et l’intolérance ». Deux pays ont voté contre, les États-Unis et l’Ukraine.

À QUOI SERT L’OTAN ?

Les négociations de paix en cours sont une erreur. Cela n’a aucun sens qu’elles se tiennent entre la Russie et l’Ukraine. Elles devraient être entre la Russie et les États-Unis/l’OTAN/l’Union européenne. La crise des missiles de 1962 a été résolue entre l’URSS et les États-Unis. Est-ce que quelqu’un s’est souvenu avoir appelé Fidel Castro pour les négociations ?

C’est une cruelle illusion de penser qu’il y aura une paix durable en Europe sans un réel engagement de la part de l’Occident. L’Ukraine, dont nous voulons tous l’indépendance, ne devrait pas rejoindre l’OTAN. La Finlande, la Suède, la Suisse ou l’Autriche ont-elles jusqu’ici eu besoin de l’OTAN pour se sentir en sécurité et se développer ?

En fait, l’OTAN aurait dû être démantelée dès la fin du Pacte de Varsovie. Ce n’est qu’alors que l’UE aurait pu créer une force de défense politique et militaire répondant à ses intérêts, et non aux intérêts américains. Quelle menace pour la sécurité de l’Europe justifiait les interventions de l’OTAN en Serbie (1999), en Afghanistan (2001), en Irak (2004) et en Libye (2011) ? Après tout cela, est-il possible de considérer encore l’OTAN comme une organisation défensive ?

Boaventura de Sousa Santos*

Público. Espagne, 10 mars 2022.

* Boaventura de Sousa Santos est portugais et Docteur en Sociologie du Droit, professeur des universités de Coimbra (Portugal) et de Wisconsin (USA). Coordonnateur Scientifique de l’Observatório Permanente da Justiça Portuguesa. Il dirige actuellement un projet de recherche, ALICE - Estranges Mirroirs, des Leçons insoupçonnées : L’Europe a besoin d’une nouvelle façon de partager les expériences du monde , qui est un projet financé par le Conseil municipal Européen d’Investigation (ERC),

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi.

El Correo de la Diaspora. Paris, le 11 mars 2022

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