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11 mars 2011

La difficile unité des forces antisystémique

par Raúl Zibechi *

 

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Maintenant que le système traverse des sérieuses difficultés de survie à moyen terme, l’attitude des forces antisystémique commence à jouer un rôle décisif. Bien avant de penser à une forme d’unité ou de coordination stable, on doit constater que coexistent dans l’univers de ceux qui sont pour des changements de fond une gamme de différences qui compliquent une vision minimale commune des faits.

Un bon exemple est l’attitude envers la révolte arabe et, en particulier, le cas de la Libye. Il y a des vastes secteurs antisystémique – ou qui disent l’être– qui sympathisent avec Kadhafi, ils observent la révolte à l’inverse comme une manœuvre occidentale et ne donnent pas une plus grande importance au massacre que le régime fait contre son propre peuple. Une partie de ce secteur, et je ne me réfère pas seulement à quelques gouvernants, a suivi avec sympathie les révoltes triomphantes de la Tunisie et de l’Égypte, mais pas ainsi dans ces pays dont les gouvernements ont un degré d’affrontement avec les États-Unis. Une hypothétique révolte populaire en Iran, ou en Chine, par exemple, ne serait pas accompagnée par de vastes secteurs qui s’enthousiasment pour des révoltes similaires dans d’autres pays.

Ceci est juste l’une des multiples contradictions qui traversent le champ anti impérialisto-capitaliste. Tout indique qu’au fur et à mesure que la crise s’approfondit et que les contradictions deviennent plus virulentes et complexes, les différences deviendront plus grandes. Sans chercher à épuiser le sujet mais juste en ouvrant un débat, il semble nécessaire d’aborder quatre aspects dans lesquels aujourd’hui se manifestent de profondes différences.

Le premier est l’attitude envers l’État. Au sein des antisystémiques, il y a au moins deux positions opposées : devenir un État ou repousser ce chemin pour construire quelque chose de différent. Il semble évident que la plupart des mouvements sont en faveur de la première option, pour qui ils travaillent d’une manière solide que ce soit par la voie électorale ou celle insurrectionnelle ou, plus fréquemment, en combinant les deux. À mesure que la décomposition du système s’approfondit, l’opposition interne aux gouvernements progressistes et alignés avec le socialisme du XXIe siècle semble progresser, ce qui tend à réouvrir un débat que les zapatistes et quelques intellectuels ont amorcé dans les années 1990.

Les problèmes que ce chemin présente sont évidents et dans cette conjoncture ils deviennent encore plus nets. Le risque de légitimer l’ordre mondial et d’utiliser l’appareil étatique pour ce qu’il a réellement été créé : contrôler et réprimer ceux d’en bas.

La deuxième question a été posée il y a quelques semaines par Immanuel Wallerstein après avoir signalé les différences entre ceux qui optent pour le développement et la modernité et ceux qui font appel à un changement de civilisation, surtout les mouvements indigènes qui font appel au « bon vivre ». Il est certain que c’est un sujet crucial dont dépend la manière selon laquelle la crise systémique va être résolue, mais il n’est pas en aucun cas séparé de la première option.

Si les forces qui cherchent à changer le monde optent pour le chemin étatique, cette logique impose de soutenir l’État dont ils se sont chargés et, en conséquence, ils doivent assumer le développement et l’approfondir. C’est ce que les gouvernements sudaméricains font à travers de l’extractivisme. Les états ont besoin des ressources urgentes et énormes qu’ils peuvent seulement obtenir en cédant des territoires à l’accumulation pour dépossession, ce qui bute inévitablement contre la résistance des peuples autochtones, paysans et urbains pauvres.

En théorie, on peut argumenter, il y aurait d’autres chemins depuis l’État. Mais les faits disent le contraire. Le résultat est une polarisation croissante sociale et politique, inhérente à l’extractivisme, qui fait que l’État est de plus en plus l’État, et les résistances de plus en plus obstinées. Au contraire, ceux qui rejettent le chemin étatique se sont dédié à construire des formes rotatives, territoriales ou non de pouvoir qui ne répondent déjà plus à la famille des états-nations.

Le troisième problème est lié aussi à ces options. Les forces antisystémique appartiennent à deux grandes familles culturelles : qui répondent à la forme-État, comme les partis, et ceux qui ancrent leur puissance dans les différentes formes que prennent les communautés. Celles-ci peuvent être des communautés traditionnelles indigènes renouvelées et démocratisées, ou bien des communautés urbaines et paysannes, mais elles répondent toujours à une autre forme de construction.

Dans les coordinations entre ces forces, pour plus flexibles et horizontales qui soient, la culture de la représentation et de celle de la démocratie directe ont l’habitude de se heurter et les ententes ne sont pas simples. Mais la tendance est que ce sont les organisations étatcentriques – depuis les partis et les grandes centrales syndicales jusqu’aux ONG –qui finissent par s’emparer des espaces communs, en monopolisant la parole et en devenant les représentants de la diversité qui, mal qui nous pèse, reste ignorée.

Je ne nie pas que sur ce terrain on a avancé pas mal, qu’on a réussi à construire les espaces collectifs où le respect pour la parole et l’identité des autres est incomparablement plus grand qu’autrefois. Cependant, nous sommes devant une difficulté qui doit être débattue et non cachée.

En quatrième lieu, il y a la question de l’éthique. Est-il possible de rendre compatible l’État et l’éthique ? Pour être plus précis : comment peut-on amener l’ éthique à un type de relation, comme l’ étatique, qui sépare rigoureusement les moyens et les fins ? L’État est une relation instrumentale, rationnelle, verticale, un outil adapté pour commander en commandant qui ne peut pas commander en obéissant parce qu’il entrerait en implosion, si ce n’est que sa propre façon de faire ne l’empêche par la force.

En ces moments si chargés d’espoir que nous vivons, entreprendre ces débats avec sérénité suppose d’accepter les limites des deux stratégies. Ceux qui parient sur un chemin non étatique nous savons que nous ne sommes pas dans des conditions, pour le moment, d’aller au-delà des expériences locales et régionales. Les uns et les autres nous avons besoin de nous et nous pouvons faire ensemble, à condition de placer l’honnêteté et l’éthique dans le gouvernail du commandement.

La Jornada. Le Mexique, le 11 mars 2011.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Esyelle et Carlos Debiasi

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El Correo. Paris le 11 mars 2011.

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