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17 octobre 2006

La connexion française du Condor.

 

Dés le début, la France, qui a exporté durant les années soixante et soixante-dix ses méthodes de lutte anti-subversive, a eu vent de l’opération Condor, qui prévoyait sanctions et assassinats dans les pays d’accueil de réfugiés latino-américains.

Por Martin Barzilai
L’Humanité, 20 septembre 2003.

Correspondance particulière.

En Amérique latine, dans les années soixante-dix, les dictatures militaires étaient unies dans une sanglante chasse aux opposants. Si les responsabilités du département d’État américain sont aujourd’hui connues, celles du gouvernement français le sont beaucoup moins. Pourtant la France a participé activement à la construction de cet édifice de l’horreur. Marie-Monique Robin démontre, dans son documentaire Escadron de la mort, l’école française, que des généraux français, anciens d’Indochine et d’Algérie, ont formé des tortionnaires sud-américains et les ont guidés dans leurs exactions (lire ci-contre). Mais il est, malheureusement, fort probable que l’État français se soit compromis davantage, en laissant agir sur son propre territoire des agents de ces régimes totalitaires.

Le 19 décembre 1974, le colonel uruguayen Ramon Trabal est assassiné à Paris. Joaquim Zentero Anaya, militaire et ambassadeur bolivien, tombe à son tour sous les balles le 11 mai 1976, là encore dans la capitale française. La police croit d’abord à des attentats exécutés par la guérilla uruguayenne en exil (les Tupamaros). Mais cette piste ne donne rien. Les assassinats perpétrés à Paris ne seront jamais élucidés. Aujourd’hui, les investigations d’un journaliste spécialisé tel que Samuel Blixen (Uruguay) laissent supposer qu’il s’agit d’assassinats commandités depuis l’Amérique du Sud dans le cadre de l’opération Condor. Mais, à l’époque, la police française classe l’affaire sans suite. Pourquoi ? L’interrogation subsiste. Le ministre de l’Intérieur de l’époque est Michel Poniatowski. Il est, par ailleurs, mis en cause par Manuel Contreras, ex-responsable de la DINA (police politique chilienne). Celui-ci affirme qu’il aurait échangé avec le ministre français des renseignements sur les " subversifs " sud-américains exilés en France. L’ancien officier chilien va même plus loin, puisqu’il dit avoir collaboré avec la DST pour l’arrestation de réfugiés de retour au Chili.

Pendant que l’on séquestre et que l’on torture selon la méthode française en Argentine, au Chili, en Uruguay et au Paraguay, les militaires argentins s’organisent aussi à Paris. Au mois de juillet 1977, l’ambassadeur argentin, Tomas de Anchorena, un proche du dictateur Jorge Videla, met en place le Centro piloto, rue Henri-Martin, une base arrière pour des exactions clandestines dans toute l’Europe. Officiellement, l’ambassadeur veut utiliser ce centre pour diffuser des " informations positives " sur l’Argentine et contrer ainsi " la propagande subversive " qui se fait l’écho des atrocités commises dans ce pays. Mais très rapidement ce sont les officiers de la marine, l’amiral Massera en tête, qui prennent les rênes de cette ambassade parallèle. On infiltre le milieu des exilés pour repérer ceux qui ont l’intention de retourner au pays. Le capitaine de corvette Alfredo Aztiz [1] doué pour ce travail, déjà en Argentine parmi les mères de la place de Mai, renouvelle ses exploits à Paris. Il voyage en Europe sous le nom d’Alberto Escudero, avec un faux passeport confectionné à l’École de mécanique de la marine (ESMA), à Buenos Aires.

Un ancien détenu de l’ESMA, Carlos Lordicipanidse, nous livre, en février 2002, son témoignage : " J’ai été arrêté en novembre 1978 et je suis resté enfermé deux ans et demi à l’ESMA. Aztiz est allé plusieurs fois à Paris. Je le sais bien puisque, à l’ESMA, on m’a forcé à travailler dans les sous-sols où ils confectionnaient leurs faux passeports. Aztiz voyageait en France, mais aussi dans le reste de l’Europe. Je me souviens aussi que pour donner plus de crédibilité à leurs faux passeports, ils réalisaient des imitations de tampons. D’autres tortionnaires, comme Miguel Angel Cavalo (actuellement incarcéré en Espagne) et le capitaine Scheller, voyageaient régulièrement en Europe. Une fois, Scheller nous avait dit qu’il revenait de Paris. Un groupe de prisonniers qui s’étaient échappés avaient prévu de faire une conférence de presse aux Nations unies, à Genève.

Les militaires de l’ESMA s’étaient déplacés pour essayer de les en empêcher, en vain. Une autre fois, ils sont partis à plusieurs, dont les plus costauds. Ils voulaient saboter une action qui devait avoir lieu pendant un match de foot en Italie (Argentine-Italie). Mais les opposants à la dictature étaient trop nombreux et les gros bras fascistes se sont dégonflés. Même les réfugiés savaient que le Centro piloto existait. Ce qui montre bien que tout le monde était au courant de sa présence à Paris, et certainement les autorités françaises l’étaient également. "

À cette époque, Elena Holmberg est en poste à l’ambassade d’Argentine à Paris. Pourtant proche du pouvoir militaire, elle n’admet pas la présence de ce centre clandestin [2]. Elle s’oppose donc à l’amiral Massera. On la renvoie rapidement à Buenos Aires où, le 20 décembre 1979, elle est enlevée et assassinée.

Mais l’affaire la plus énigmatique se déroule au cours de l’année 1980. le 24 mai, l’ancien maire de Buenos Aires, Montero Ruiz, est enlevé près de son domicile parisien, rue Broca. Le lendemain, les ravisseurs contactent sa fille et lui réclament 1,2 million de dollars pour la libération de son père. Celle-ci rejoint la capitale d’Argentine pour essayer de réunir l’argent de la rançon, sans prévenir la police française ni l’ambassade. Son mari, Jorge Cedron, reste en France et subit les pressions des ravisseurs qui menacent de tuer sa fille de cinq ans s’il contacte la police. Jorge Cedron est un cinéaste en exil, connu pour ses positions révolutionnaires. Lorsque sa femme revient de Buenos Aires, elle a déjà prévenu les autorités argentines de l’enlèvement. La police française est donc forcément au courant via l’ambassade. Le commissaire Leclerc attend le couple à la sortie de l’aéroport et leur demande de le suivre quai des Orfèvres. Pendant que la fille de Montero Ruiz est interrogée par la police, Jorge Cedron qui attendait dans les couloirs, disparaît. Il est retrouvé mort, poignardé de quatre coups de couteau dans les toilettes du centre de police le plus important de France. L’arme se trouve dans sa main droite alors qu’il est gaucher. L’enquête conclut à un suicide.

Sans qu’aucune rançon ne soit jamais réclamée, Montero Ruiz est libéré, le jour même, par ses ravisseurs. Un certain nombre de questions restent en suspens encore aujourd’hui : qui a séquestré puis libéré l’ancien maire de Buenos Aires et pour quelles raisons ?

Ce qui est certain, c’est qu’en ce mois de mai 1980, arrive à Paris le ministre des Finances argentin, Martinez de Hoz, pour une visite officielle. Il s’entretient avec le président de la république, Valéry Giscard d’Estaing, le premier ministre, Raymond Barre, et des membres du CNPF (syndicat patronal). À l’époque, la France représente le quatrième investisseur étranger en Argentine et lui vend des armes parmi lesquels des avions de chasse.

Le Centro piloto fermera définitivement ses portes quelques mois plus tard, au mois de décembre 1980.

Notes :

Notes

[1Alfredo Aztiz a été incarcéré de nouveau le 16 septembre. Il avait été condamné en 1990 à Paris par contumace à la prison à perpétuité pour le meurtre de deux religieuses françaises pendant la dictature, Léonie Duquet et Alice Domon.

[2Elle avait été scandalisée par les détournements de fonds auxquels se livraient les officiers de la marine. Surtout, elle n’avait pas supporté les prises de contact avec un certain Firmenich, agent double, mais connu uniquement à l’époque pour son appartenance à la guérilla Montoneros.

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