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8 décembre 2005

Opérations secrètes, espionnage et manipulation politique.

L’antenne de Montevideo de la CIA

 

Nombre de documents concernent l’utilisation par les Etats-Unis d’actions illégales clandestines comme arme politique extérieure. Durant les années qui suivirent la révolution cubaine, la chute de gouvernements, le meurtre, le sabotage, la torture et d’autres actions terroristes ont été directement utilisées ou ont été promues par la Maison Blanche pour combattre ses adversaires idéologiques et politiques en Amérique latine. L’Uruguay ne fut pas une exception.

Par Clara Aldrighi
Brecha de Uruguay
. Uruguay, 25 novembre 2005

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À travers l’antenne de la CIA, des programmes d’assistance militaire, de Sécurité Publique de l’AID et d’appui au syndicalisme "libre", le gouvernement des Etats-Unis est intervenu en Uruguay pour conditionner l’orientation de la politique en faveur de ses intérêts. Il a employé pour cela des moyens légaux et illégaux. Au moins jusqu’à 1966 il existe des preuves que des fonctionnaires de la CIA avec une couverture diplomatique ont organisé et ont financé un réseau illégal et secret pour surveiller des citoyens étrangers et uruguayens, s’approprier des secrets d’État pour les transmettre à une puissance étrangère, présenter de faux rapports au gouvernement, diffuser de fausses nouvelles dans la presse et mener des actions violentes contre certaines personnes. Une véritable association subversive formée d’Uruguayens et d’étasuniens. Ses membres auraient pu être traduits devant la justice et être jugés pour des délits d’attentas à la Constitution aux motifs de conspiration, espionnage et association de malfaiteurs. Avec des circonstances aggravantes puisque beaucoup étaient des fonctionnaires éminents de l’État - politiciens, policiers et militaires - à qui les citoyens avaient confié la défense de la loi et la tutelle de la souveraineté.

Philip Agee, fonctionnaire de la CIA qui a opéré au sein de l’antenne de Montevideo entre 1964 et 1966, a laissé dans son livre de mémoires (Journal de la CIA. La "Compagnie" par à l’intérieur, Barcelone, 1979) une description détaillée des méthodes d’intervention secrète des Etats-Unis dans les pays de la région et particulièrement en Uruguay.

Tout comme dans le reste du monde (à l’exception du Royaume-Uni, de l’Australie, du Canada et de la Nouvelle Zélande), la CIA a installé à Montevideo à la fin des années quarante son noyau ou "antenne", pour mener à bien ses tâches d’espionnage, contre-espionnage et influence politique.

Les antennes étaient placées dans les capitales de chaque pays. D’autres bases pouvaient être dispersées dans des villes de province et étaient subordonnées à celle de la capitale. Dans la majorité des cas, elles étaient cachées au sein des sections politiques de l’ambassade. Quelques fonctionnaires étaient assignés aux sections économique et consulaire.

Les affectations générales de chaque antenne consistaient à découvrir les secrets militaires, scientifiques et économiques de l’État et récolter des informations sur les "intérêts soviétiques", incarnés par les partis communistes locaux et les groupes politiques "assimilés" : nationalistes, révolutionnaires et d’extrême gauche. La CIA obtenait les informations ou les secrets d’État d’abord par le biais d’agents très bien payés. Choisissant pour cela des politiciens, scientifiques, militaires et économistes. Ces personnes, observe Agee, devenaient collaborateurs ou agents si on arrivait à les convaincre que les secrets officiels de leur pays pouvaient être transmis aux Etats-Unis. C’est-à-dire, quand ils arrivaient à croire que les intérêts des deux pays coïncidaient totalement et que rien n’était perdu en transmettant l’information.

Parmi les fonctionnaires de la CIA qui ont opérés en Uruguay sous couverture diplomatique fictive, Agee identifie les chefs d’antenne Tom des Flores (jusqu’à 1963), Ned Holman (1963-1965), John Horton (1965-1968), Richard Sampson (1968-1970) et Gardner Hathaway (dont sa présence est enregistre en 1973) ; les subchefs Gerald O’Grady, John Cassidy, Comer Gilstrap et Fisher Ames ; les fonctionnaires d’opérations Michael Berger, Paul Burns (spécialisé en infiltration au Parti Communiste), Fred Morehouse (chef de l’équipement de surveillance radiophonique, transféré en 1966 au Venezuela), William Cantrell, Juan Noriega, Russell Phipps (représentant des opérations contre les soviétiques en 1964), William L Smiths et Alexander Zeffer (représentant d’opérations de travail).

On sait peu de ces personnes qui ont tant influencé l’histoire de la période. Leur activité était développée, naturellement, en sourdine, sans laisser de traces dans les sources qui forment traditionnellement la vision du chercheur. Après quatre années d’expérience au sein de l’antenne de Quito, en mars 1964, Agee est arrivé Montevideo avec sa femme et ses deux enfants en bas âge. Il avait 29 ans. Il avait entamé sa carrière à la CIA en 1959, juste après avoir obtenu son diplôme de droit à l’université. Sa tâche principale serait les "opérations cubaines". A cette époque, l’antenne avait comme principal objectif d’obtenir que l’Uruguay, l’un des rares pays américains qui maintenait encore des relations diplomatiques avec Cuba, les interrompe.

L’antenne de Montevideo était de taille moyenne : 14 personnes, dirigées par le chef Ned Holman et le sous-chef O’Grady. Les tâches étaient réparties entre quatre fonctionnaires, chargés des opérations secrètes, du Parti Communiste et des groupes connexes, soviétiques et cubains. A cela s’ajoutait, un collaborateur administratif, trois secrétaires, deux fonctionnaires de communications et deux fonctionnaires sous couverture non officielle. Les 12 premiers appartenaient fictivement à la section politique de l’ambassade. Le budget annuel de l’antenne dépassait le million de dollars.

Jusqu’à 1963 Benito Nardone avait été le plus important agent d’opérations politiques anticommunistes de la CIA à Montevideo, par le biais de sa « Ligue d’Action Ruraliste » ou depuis la présidence du « Conseil National du Gouvernement » (CNG), où il a exercé entre 1960 et 1961. S’occupait de lui personnellement, le chef de l’antenne, Tom Flores. Un grand succès souligné par l’agence pendant le mandat de Nardone avait été l’ "opération politique" qui avait abouti à l’expulsion, en janvier 1961, de l’ambassadeur cubain Mario García Incháustegui et du premier secrétaire soviétique, accusés d’interférence dans les affaires internes. D’autres agents politiques de la CIA, connus par Agee, furent les dirigeants ruralistes Olga Clérici Nardone et Juan Jose Gari, les ministres, de l’Intérieur Nicolas Storace Arrosa, Felipe Gil et Adolfo Tejera, le directeur d’Immigration Luis Vargas Garmendia, l’avocat Carlos Alberto Roca et le député Wilson Elso.

Pour les "opérations de travail", la CIA a créé, financé et contrôlé plusieurs organisations syndicales. La première fut la Confédération Syndicale uruguayenne. Relativement forte jusqu’en 60, son ascendance a décliné avec la formation du syndicalisme de classe. En 1970 l’antenne a fondé et a soutenu financièrement la Confédération uruguayenne de Travailleurs. Les syndicats qu’elle regroupait étaient de faible influence. Elle a atteint son sommet pendant la dictature, qu’elle a carrément parrainée. Mais elle n’a pas obtenu même alors plus de représentativité.

Le responsable des opérations clandestines de la CIA au sein des médias et des étudiants était le représentant de l’entreprise étasunienne Brooks Read. Il s’occupait des agents uruguayens qui prennent en charge des opérations de publicité. Un d’eux plaçait des articles politiques et de faux rapports élaborés par l’antenne dans El País, El Plata, El Día y La Mañana. C’étaient en général des sortes d’éditoriaux non signés ; les rédacteurs des journaux recevaient de l’argent pour leur publication.

La CIA a établi en Uruguay, comme dans tout pays où elle agissait, une relation préférentielle avec le service local de sécurité ou un "service de liaison", spécialement avec les services de renseignement de la police. Sans la collaboration du service local, il était très difficile pour la CIA de contrôler le transit par les frontières, d’intercepter des conversations téléphoniques et de la correspondance ou d’effectuer des surveillances et des filatures. En outre, au cas où certaines de ces opérations auraient été découvertes, le scandale n’aurait pas touché la CIA mais les services secrets locaux.

Une fois établie cette collaboration officielle, les antennes recrutaient secrètement des agents à sa solde dans les services de sécurité locaux. Cet aspect était considéré d’une importance vitale, parce qu’il permettait d’élargir le nombre limité de personnel de l’antenne, et parce qu’à la demande de la CIA le service local pouvait effectuer des opérations, détentions et coup de filet.

En 1964 l’antenne de Montevideo maintenait des excellentes relations opérationnelles avec la Police et le service d’intelligence militaire. Entre les agents et les collaborateurs de liaison qu’identifie Agee se trouvaient le chef de la Garde Républicain le lieutenant le colonel Mario Barbé, le colonel Mario Aguerrondo, le sous-chef d’Investigations Juan Jose Braga, le chef d’intelligence militaire le colonel Carvajal, le lieutenant colonel Zipitría, le policier d’Investigations Guillermo Copello, le sous-commissaire Pablo Fontana, le commissaire Arturo Jaureguiza, le sous-chef de la Police le colonel Carlos Martín, le chef Intelligence et de Liaison commissaire Alejandro Otero, l’inspecteur Antonio Pirez Castagnet, les chefs de la Garde Métropolitaine le colonel Robert Ramirez et le lieutenant colonel Amaury Prantl, les chefs de la Police de Montevideo Ventura Rodriguez et Rogelio Ubach.

La plus grande opération conjointe de la CIA et de la Police uruguayenne, dans la période où Agee a travaillé à Montevideo, était l’écoute téléphonique de la mission soviétique et cubaine, du siège central du PCU et du logement d’un révolutionnaire argentin lié à l’ambassade cubaine. En 1965, on a élargi l’espionnage à l’ambassade tchèque et l’agence de presse Prensa latina. Cette opération, du cryptonyme « Avengeful », a suivi son cours pendant les gouvernements de Oscar Gestido et Jorge Pacheco et fut accidentellement découverte en septembre 1969.

Le département de police de la plus grande importance pour la CIA était ’Intelligence et Liaison’. Au début des années 60, avec le nouveau gouvernement du Parti National, le département a négligé ses missions premières de recherche et de contrôle du comportement fonctionnel des policiers. A sa direction a été désigné Alejandro Otero, un jeune officier qui avait fait une carrière rapide, dépassant dans les promotions ses compagnons les plus vieux.

’Intelligence et Liaison’ a commencé à acquérir une importance plus grande pour la CIA dès que les mobilisations syndicales ont augmenté en fréquence et intensité. Dans une entrevue accordée à l’auteur en 2002 par le commissaire Otero, ce dernier observe à ce sujet : " ’Intelligence et Liaison’ répondait toujours aux besoins des services d’intelligence américains. Quand j’en étais en charge, j’ai agi avec une indépendance totale et c’est clair que toute l’information que j’obtenais, toute, je la fournissais à ces services, parce c’était l’ordre ".

L’inspecteur Pirez Castagnet recevait un salaire de l’agence pour son travail comme agent de pénétration dans la Police. Il fournissait en outre de l’information méticuleuse sur les plans du gouvernement par rapport aux mobilisations et aux grèves, les possibles changements de politique et à l’intérieur de la police.

Pour le programme de liaison avec la Police uruguayenne, l’antenne déboursait annuellement - sans inclure les frais de l’opération d’écoutes téléphoniques - quelque 25.000 dollars.

Le sous-chef Gerry O’Grady s’occupait de la liaison avec le service d’intelligence militaire, en rencontrant fréquemment le lieutenant le colonel Zipitria, sous-chef du service. Holman se réunissait parfois avec lui et avec le chef du sid, le colonel Carvajal. Vu la tendance des militaires uruguayens à ne pas s’immiscer en politique, Carvajal a refusé d’organiser des opérations contre le Parti Communiste et les groupes d’extrême gauche. Zipitria, au contraire, anticommuniste tenace et avec des tendances fascistes, était un collaborateur obséquieux et on l’utilisait comme source d’information.

Au début des années 60, l’antenne de Montevideo a organisé des opérations d’"action militante" contre la gauche, par le biais de "escadrons de châtiment" créés et financés pour attaquer des manifestations et des réunions partisanes. Elles se sont développées à partir de 1960, sous l’impulsion de Tom Flores. Le prédécesseur de Ventura Rodriguez au Quartier général de la Police de Montevideo, Mario Aguerrondo, a été un étroit collaborateur de liaison de l’antenne tandis qu’il a effectué cette charge entre 1958 et 1962. En 1964, Holman a décidé de suspendre temporairement les contacts avec lui pour ses velléités putschistes. En 1962, le nouvel ambassadeur Wymberley Coerr a ordonné à Flores de mettre à terme à la collaboration politique avec Nardone et d’interrompre les opérations violentes. Le problème était qu’il y avait eu des morts (celles d’Arbelio Ramirez et un enfant Olivio Piriz) que le PCU et la gauche "utilisaient dans leurs campagnes contre le gouvernement". Flores s’est opposé et a été muté en 1963. Les « escadrons » furent responsables d’une autre forme de violence : les svastikas, gravées avec des instruments coupants sur le corps des victimes, juifs et militants de gauche.

Durant cette période la gauche appelait "bandes fascistes", les ’escadrons de châtiment’. En réalité ils n’avaient pas de vie politique propre : ils étaient une émanation de la CIA et du personnel à son service. Certains de ces agents provenaient de l’Europe de l’Est. Le commissaire Otero se souvient : "Les Américains amenaient beaucoup d’hongrois. Ces hongrois agissaient comme agents. Au début, ils brûlaient un Kiosk, ils lançaient une bombe. Quand l’un d’eux était fait prisonnier, je ne leur faisais pas de cadeaux.
Arrivait ce qui arrivait, qu’ils avaient commis un crime ou non et il n’y avait d’impunité pour aucun. Si je le pouvais, je les envoyais en prison. J’étais libre et j’avais une idée claire de ce qu’était ma profession. Évidemment cela a abouti à créer une profonde antipathie envers moi parmi ceux qui composaient le Département Intelligence et Liaison. Surtout de la part de mes supérieurs ".

Après deux ans de séjour en Uruguay, à la fin d’août 1966, Agee fut transféré à Washington et peu ensuite à son nouveau destin : la ville de Mexico. Le 10 août est arrivé à Montevideo son remplaçant, Juan Noriega. Ex pilote de la marine, il venait de l’antenne de Managua, où il avait été responsable de l’instruction des gardes du corps d’Anastasio Somoza et sa famille.
Dans un délai très rapide, l’antenne va être renforcée par deux autres fonctionnaires avec une couverture non officielle. En octobre est aussi arrivé William Cantrell, fonctionnaire de la CIA et conseiller en Investigations pour le Programme de Sécurité Publique (PSP), qui est resté à Montevideo jusqu’à mars 1970.

En février 1967, la CIA a commencé à structurer la Direction Nationale d’Information et Intelligence (DNII). La CNG avait approuvé dans les derniers jours de janvier un projet du commissaire Otero - élaboré "sous la propre direction de Cantrell", comme c’est consigné dans un document du PSP - pour la formation d’une direction d’intelligence de juridiction nationale. Pendant le processus de formation, le nouvel organisme a parallèlement fonctionné avec le Département Intelligence et Liaison. Manuel Hevia Cosculluela, agent d’intelligence qui a travaillé simultanément en Uruguay entre 1964 et 1970 pour la CIA et la sécurité cubaine, observe dans son livre de mémoires « Passeport 11333 ». Huit ans avec la CIA, que le noyau constitutif de la DNII, dont ne faisait pas partie Otero, recevait l’entrainement de la part de Cantrell et de Noriega dans un local adjacent à la 9ª Section au coin de la rue 18 juillet et Paullier. Au même endroit, son siège a été officiellement installé en 1968.

Cantrell disposait de fonds propres, provenant de la CIA et non de l’AID, pour financer la nouvelle direction d’intelligence. En 1967, il a choisi six fonctionnaires pour recevoir une instruction aux Etats-Unis : Pírez Castagnet et Aldo Conserva - futurs sous chef et chef de la DNII -, Juan Carlos Lemos Silveira, Juan María Lucas, José Pedro Macchi et Carlos Legnani.

Dans la DNII, où régnait la volonté de Cantrell, Otero a d’abord été relégué et ensuite exclu. "La Direction d’Information et Intelligence - rappelle Otero - a été créée par Cantrell, parce qu’ils voulaient me pousser vers la sortie. Au début, Pírez Castagnet la dirigeait, qui était mon supérieur. Il a eu ensuite plusieurs directeurs, jusqu’à qu’arrive Víctor Castiglioni."

Hevia Cosculluela indique que la CIA coexistait avec Otero et lui laissait faire tant que durait la sélection et l’instruction du personnel d’Information et Intelligence. Les fonctionnaires de la CIA "sabotaient Otero", et pour cette raison le commissaire s’est approché progressivement du chef de l’équipement du PSP, Adolph Sáenz. Cependant, tout au long de 1967, Cantrell prenait part encore personnellement à certaines procédures policières antisubversives d’Intelligence et Liaison. Otero continuait à lui envoyer "des copies de rapports secrets qu’élaborait son département". Mais Cantrell a commencé à aller trop fréquemment au quatrième étage du Quartier général, là où travaillaient Otero et ses hommes. Il s’immisçait et surveillait les archives. Le commissaire observe à ce sujet : "Ce que je n’admettais en aucune manière, c’était que les Américains, aucun d’eux, viennent dans mon département. Je ne les voulais pas dans mon département s’ils n’étaient pas préalablement annoncés et qu’on avait convenu d’une réunion.

Entre en scène Monsieur William Cantrell, ou celui que j’ai connu comme Cantrell et peut-être qu’ils l’ont identifié sous un autre nom, parce que va savoir comment il s’appelait en réalité. C’était un personnage très particulier, qui avait étudié et avait servi au Vietnam, etc. Ce fut lui qui a indiqué, contre mes idées, que la Police commencerait à utiliser les fusils à canons sciés qui ont donné la mort à de nombreux d’étudiants et des blessé tant d’autres.
Sáenz était une personne agréable et j’avais de bonnes relations avec lui. Il arrivait à mon bureau en se faisant annoncer. Par contre Cantrell était autoritaire et arrogant avec les fonctionnaires uruguayens de rang (...) Et je répète à nouveau qu’à travers mes subalternes je lui faisait parvenir toute l’information (...) Mais ce que je ne lui permettais pas, c’était qu’il fasse ce qu’ils faisaient partout : ils entraient, ils s’immisçaient, retournaient, ordonnaient, ils disposaient (...) Peut-être, si je m étais soumis à eux, j’aurais été directeur d’Intelligence, j’aurait gagné énormément d’argent et je ne aurais pas dû faire le clown en soufflant dans un sifflet dans un terrain de football pour pouvoir vivre décemment (...) Mes mésaventures avec les Américains, fondamentalement avec Cantrell et tout sa clique, et avec le chef de la Police Zina Fernández, avec lequel j’avais des divergences indéfendables, ont été la cause pour laquelle ils m’ont viré d’Intelligence et Liaison et m’ont envoyé comme directeur à l’École Nationale de la Police ".

Si pendant la permanence d’Agee, la CIA travaillait avec diligence sur des opérations tellement complexes, il n’y a pas de motif pour penser que dans la période critique ouverte en 1968 elle ne les fera pas avec une plus grande persistance.

Ce qui est certain, c’est que l’antenne dévoilait une activité intense en Uruguay avant la crise de 1968 ; activité qui s’est accrue durant les années suivantes. À un tel point, qu’en avril 1973, l’ambassade s’est plainte à Washington de la grande proportion de fonctionnaires avec couverture officielle destinés "à rassembler et à traiter ouvertement ou secrètement les données d’intelligence obtenues". Sans compter les agents qui travaillaient avec une couverture non officielle. Une présence qui répondait "à des demandes imposées depuis Washington". En 1972, le personnel embauché par le gouvernement des Etats-Unis et assigné à l’ambassade atteignait les 363 fonctionnaires.

Le coup d’État du février 1973, observait le Country Team dans son bilan d’avril, permettrait finalement de diminuer le nombre de fonctionnaires consacrés à des tâches d’intelligence. "Notre haute visibilité est un facteur qui complique le développement de relations réalistes." Parmi d’autres inconvénients, observaient -ils , il avait fourni à la gauche marxiste de nouveaux prétextes pour souligner la présence d’un présumé "ogre impérialiste".

Bien que n’aient pas été déclassifiés les documents de la CIA relatifs à l’Uruguay, dans quelques rapports du Département d’État on admet que l’ambassade disposait de "sources propres" pour la lutte antisubversive. C’est-à-dire, des Uruguayens qui fournissaient directement de l’information sur le MLN et autres groupes de guérilleros. Si on se tient au modus operandi décrit par Agee, il ne s’agissait pas seulement d’infiltrés, mais d’agents opérationnels qui accomplissaient des tâches de surveillance, écoute téléphonique, filatures de personnes et autres activités d’intelligence que suggère la documentation déclassifiée relative à d’autres pays, comme celle du Chili durant les années précédent le putsch de 1973. Trois jours après l’exécution de Dan Mitrione, en août 1970, est apparue l’ "escadron de la mort" comme émanation du réseau d’agents de la CIA dans les services d’intelligence policière et militaire. Il a été constitué comme une grappe de groupes compartimentés entre eux, qui effectuaient des tentatives avec des engins explosifs et incendiaires, ils menaçaient des personnalités de gauche et les parents de guérilleros.

A l’automne 1971, certaines de ces personnes ont constitué un autre groupe, plus choisi et secret, qui a commencé les exécutions et les disparitions de tupamaros. Le choix des victimes a maintenu une relation, directe ou indirecte, avec le cas Mitrione. Les opérations effectuées par la DNII le 14 avril 1972 dans les « estancias » Amazonas et de Pérez Gomar ont aussi été, très probablement, en rapport avec ce cas et ont été conduites par la CIA. Ainsi le suggère, parmi d’autres indices, un rapport envoyé en février 1973 par le chef de l’équipement du PSP à Montevideo, Charles Guzmán, à ses responsables à Washington.

Un des membres des escadrons, l’agent de la DNII, Nelson Bardesio, appartenait au réseau de la CIA depuis 1967. Ses déclarations au MLN indiquent que, entre autres tâches, il intégrait un des groupes consacrés au suivi et à la surveillance de personnes, formés et équipés par l’antenne.

Le commissaire Otero dans l’entrevue mentionnée, se rappelle vivement de sa figure : "Ce qui est certain , c’est que ce Monsieur Cantrell utilisait un agent, Bardesio, qui a été ensuite enlevé par le MLN, que j’ai sorti à coup de pieds de mon bureau.
Cela a justifié que Pirez Castagnet m’envoie chercher. Il m’a demandé si je l’avais frappé.
Je lui ai dit que oui, parce que je ne le voulais pas là. Ni Atilio Galán. Pourquoi ? Parce qu’ils ne me plaisent pas comme personnes. Bardesio était le ’moine noir’ de tous les Américains. Cantrell je crois qu’il était dévot de Bardesio. Je ne sais pas par quelles caractéristiques Bardesio l’avait absolument conquis et c’était celui qui maniait toutes les choses ".

En se référant aux confessions de Bardesio aux tupamaros, dans lesquelles il a identifié ses compagnons policiers, militaires et civils des escadrons de la mort, Otero rajoute : "Je savais que Bardesio ne supportait rien, c’est pourquoi je ne le voulais pas dans mon département. De ce qu’il a dit et que je connais, tout était vrai. Mais allez savoir combien de choses en plus il a pu avoir dit que je ne connais pas et qui peut-être ne sont pas vraies ".

Cependant, si on lit attentivement les déclarations de Bardesio au MLN, quand Mauricio Rosencof l’a interrogé dans la Prison du Peuple, l’agent de la CIA a prétexté l’ignorance et a mentionné, au sein de la nouvelle équipe étasunienne qui avait succédé à celle de Mitrione, seulement le conseiller à l’entraînement Richard Biava. Peut-être parce qu’il savait que Mitrione l’avait déjà dit à Candan Grajales - comme le consigne un document du Département d’État - quand celui-ci l’a interrogé dans la Prison du Peuple.
Il n’a rien dit des nouveaux conseillers de sécurité publique Roy Driggers, José Hinojosa et Lee Echols ; il n’a pas mentionné non plus, naturellement, sa propre condition d’agent de la CIA, ni l’identité des fonctionnaires qui s’occupaient de lui. Il a indiqué au MLN les Américains qui étaient déjà partis de l’Uruguay : Sáenz, Cantrell, Noriega, Bernal et Richard Martínez. Le MLN ne s’est pas rendu compte de cela, ni n’était en condition de le faire : son infiltration dans les services de sécurité était absolument marginale, et ainsi lui vérifiaient les analystes des Etats-Unis qui suivaient de très près de l’évolution des guérillas uruguayennes.

En avril 1972, Bardesio a reçu à la Prison du Peuple la visite d’un allié insoupçonné : Hector Amodio, récemment enfui de Punta Carretas. L’ex dirigeant tupamaro collaborait probablement avec les services d’intelligence depuis des débuts de juillet de 1970. Comme on peut le lire dans un document entier de la DNII qui consigne ses confessions en étant arrêté en février 1972, au terme de sa déclaration Amodio rendait compte que son intégration au MLN avait cessé à cette date.

Quelques faibles documents rendent compte, indirectement, de l’activité de l’antenne jusqu’au coup d’État. Parmi eux, une étude du MLN menée en juillet 1971 par le Bureau de Sécurité Publique (OPS) à Washington, qui prenait comme sources et citait largement des documents élaborés par la CIA de Montevideo. Quelques jours avant l’arrivée de Mitrione, en juillet 1969, la CIA a préparé une étude préliminaire sur le MLN. Ce document, opportunément modifié, a été envoyé le 30 juillet 1969 à Lauren J. Goin, comme provenant de la branche Amérique latine de l’OPS. En juin 1970, l’antenne a élaboré un rapport secret d’intelligence sur la stratégie du MLN. Le 19 août 1970, à Washington, on mettait à jour l’information sur l’entraînement reçu à Cuba jusqu’alors par les tupamaros. Le 12 mars 1971 la CIA envoyait une "Estimation de l’intégration et de la force du MLN".

Le service d’intelligence du Pentagone ne restait pas en arrière : en 1968, il élaborait une étude secrète de la capacité contre-insurgée des forces répressives uruguayennes. Le 4 mars 1971, il envoyait une chronologie des activités de la guérilla durant 1970. Le 23 mars, il rendait compte des opérations d’intelligence du MLN. Le 7 avril 1971, dans un rapport de 66 pages, il envoyait à Washington des documents sur les tupamaros. Le 14 mai 1971, il élaborait un rapport confidentiel d’intelligence de 27 pages sur les activités de la guérilla.

En décembre 1970, l’antenne de Montevideo de la CIA a envoyé à Washington des biographies succinctes de "personnalités tupamaras", dans le but de documenter la nature hétérogène du mouvement et ses ramifications dans différents secteurs sociaux. Le rapport secret contenait les fiches de militants connus et d’autres qui étaient donnés avec l’assurance qu’ils l’étaient. Une version de ce document a été déclassifiée, sûrement épurée, pour une utilisation interne à l’OPS et au Département d’État, qui contient 22 fiches biographiques.

Le 14 novembre 1971, Agee a décidé de rendre publique sa démission au moyen d’une lettre adressée à la revue Marcha. En juin 1968, il avait communiqué à la CIA ses intentions de démissionner. La démission a été formalisée au début 1969. Trois années, après il se trouvait à Paris, en écrivant son livre de mémoires. La lettre cherchait démontrer que sa décision n’admettait pas de reculs et peut-être, à la fois, essayait de dresser une barrière aux projets de l’assassiner qui pourraient être envisagé par l’agence. Son but politique était d’alerter l’opinion publique uruguayenne sur la possibilité que la CIA soit en train de financer et de promouvoir des opérations d’action politique contre le « Frente Amplio », pour favoriser les partis traditionnels.

Sous le titre "La CIA en Uruguay", Marcha l’a publiée le 26 novembre 1971 dans la section Courriers des Lecteurs. Par le biais de Carlos María Gutiérrez ou d’autres correspondantsliésCuba,QuijanoetAlfaro avaient la possibilitéde vérifierl’identité d’Agee - qui avait alors des liens étroits avec les cubains et avait voyagé à l’île en mai et octobre 1971- et de comprendre la signification de la lettre.

Mais la direction de l’hebdomadaire l’a ignorée. Bien qu’elle eut en pouvoir une preuve irréfutable des dénonciations qu’elle publiait depuis au moins une décennie, elle ne l’a accompagnée d’aucun commentaire éditorial. Et a même cru légitime de censurer certains passages, "pour inclure des références d’ordre personnel qui n’ajoutent rien de plus au texte".

Dans ses mémoires, Agee indique qu’en effet, la lettre a été publiée incomplète. Après avoir altéré la lettre par des coupes à discrétion, Marcha a trouvé que le plus correct, pour "respecter l’auteur", était "de respecter sa syntaxe et l’orthographe". Par conséquent il ne l’a pas publiée, en reproduisant ses fautes d’orthographe et d’autres erreurs idiomatiques.

Agee était identifié comme un ex-fonctionnaire de la CIA et décrivait dans les grandes lignes son activité clandestine pendant les années de service en Équateur, Uruguay et Mexique. Il révélait qu’en 1964, peu après son arrivée à Montevideo, le Brésil avait mis au point un plan pour envahir l’Uruguay et prendre la capitale en huit heures si le gouvernement n’interdisait pas l’activité conspirative de Joao Goulart, Brizola et autres exilés brésiliens.

Il indiquait ensuite le grave danger qui planait sur la démocratie uruguayenne : Les Etats-Unis, à travers la CIA, intervenait pour tordre la direction des élections. Nixon ne pouvait pas permettre que le Chili et l’Uruguay, les deux pays qui en Amérique latine constituaient un exemple prolongés de traditions de stabilité politique, se dirigent vers le socialisme par la voie électorale.

Pour soutenir ses affirmations, il révélait l’intervention de la CIA dans les campagnes électorales du Brésil en 1963 et du Chili en 1964. L’ "Uruguay est actuellement fait sur mesure pour des opérations d’action politique de la CIA. Parce que jusqu’à présent, il n’avait existé aucun danger pour les Etats-Unis en Uruguay, puisque seulement les partis traditionnels avaient une force électorale suffisante. Et en étant traditionnels, ils ont traditionnellement servi les intérêts généraux du gouvernement de mon pays. Mais les choses ont changé maintenant, grâce, j’imagine, aux succès du Mouvement Libération Nationale et de la conscience révolutionnaire qu’il a créée."

Il exhortait à faire attention aux traces de la CIA dans certains événements qui paraissaient être le fruit de processus autochtones. Les plus transparents étaient, justement, ceux déterminés par les opérations d’action politique.

Il suggérait que peut-être, a pris part à ces dernières, de façon secondaire, l’intelligence britannique, vue la collaboration traditionnelle entre les deux services dans le Rio de la Plata : "Les signes doivent être visibles. Le candidat qui dépense plus que ses possibilités réelles. Les journalistes qui répètent les avertissements d’une sanglante dictature communiste. Les organisations qui sèment des rumeurs, la peur et l’incertitude sur les traditionnelles libertés uruguayennes. Les groupes de choc patrouillant les rues à la recherche d’activistes progressistes pour les attaquer.

Pères de Famille Pro-Liberté. Etasuniens contribuant par des fonds généreux comme donateurs particuliers à des candidats choisis. Avertissements sous plusieurs formes aux organisations de sécurité, militaires et policiers, de leurs destins lamentables sous un régime socialiste. Déclarations de préoccupation à Buenos Aires et Rio de Janeiro sur la possibilité que triomphe le socialisme en Uruguay. Publicité subtile qui divise les forces révolutionnaires. Enquêtes, soit discrètes, soit ouvertes. J’ai suivi de près la marche quotidienne de la campagne. Par tout ce que j’ai pu lire, je suis convaincu que le gouvernement de Nixon n’a pas eu d’autre alternative qu’intervenir dans ces élections uruguayennes. Donc, entre autres choses, ce serait un risque trop sérieux si les forces progressistes gagnent".

L’avertissement d’Agee est resté lettre morte. Peut-être, plus par omission, que par incapacité. Mener une enquête et sanctionner des actions illégales du pouvoir politique et économique était presqu’impossible en Uruguay de l’époque. Peu après, l’enquête promue par Wilson Ferreira Aldunate et le Parti National sur les preuves de fraude électorale a échoué sur des bancs de brouillard

Entretemps, Agee faisait face à de nouvelles difficultés avec ses anciens camarades. La CIA a envoyé aussi à Paris un de ses amis de jeunesse, Keith Gardiner, fonctionnaire de la CIA, avec une copie dactylographiée de la lettre publiée dans Marcha. Il a transmis à Agee un message que lui envoyait le directeur de la CIA Richard Helms : "Il voulait savoir ce que je pensais de ce que je faisais". Il a ensuite commenté le contenu de la lettre et a nié que l’agence soit embarquée dans des opérations électorales en Uruguay. Il a admis, cependant, que la campagne de Bordaberry "avait reçu de copieuses « transfusions » d’argent brésilien". À la lumière des procédures décrites par Agee et de la coordination existante entre les antennes de Montevideo et de Rio de Janeiro, cet argent provenait probablement de la CIA.

Agee a tranquillisé Gardiner : dans son livre il ne mettrait "aucune révélation nuisible" et avant la publication, il soumettrait le projet final à l’approbation de la CIA. On ignore si cela fut le cas. Cependant, dans le « Journal de la CIA » Agee maintient en réserve l’identité de nombreux agents, particulièrement ceux de bas niveau, en citant : "Vrai nom oublié". Bien qu’en même temps, il se rappelle parfaitement de ses complexes cryptonymes.

Depuis la publication de la lettre dans Marcha, la CIA a intensifié sa pression. Elle a commencé à l’encercler avec des agents et des équipements de surveillance, a essayé de le discréditer en diffusant des fausses informations, l’a menacé avec des procès, a manœuvré pour lui empêcher de voir ses enfants.

Mais aux Etats-Unis le scandale Watergate a imposé certaines restrictions à l’omnipotente agence. "Un avertissement précoce comme quoi trois décennies de traitement préférentiel arrivaient à leur fin pour la CIA - écrit A. J. Langguth dans sa biographie documentée de « Mitrione Hidden des Terreurs » - fut les nouvelles provenant de Paris sur le fait que Philip Agee écrivait un livre. Pendant son dernier poste à mexico, Agee s’était rapproché de la gauche politique. Il a divorcé de sa femme, un pas sérieux pour un Catholique, a laissé également la CIA, autre pas également sérieux pour un homme de quarante ans qui n’avait pas la pratique du travail excepté dans des sales coups, et a commencé ses mémoires, acte le plus sérieux de tout pour un homme qui donne de la valeur à sa vie.

En jouant la prudence qu’on lui avait enseignée à Langley, Agee a pu terminer une reconstruction immensément détaillée de ses années à la CIA. La documentation précise - ou la perspective de longues batailles légales avec l’agence - a découragé beaucoup d’éditeurs des États Unis. Mais l’histoire d’Agee a eu deux extrémités heureuses. Le livre a été publié avec un grand succès à Londres et ensuite à New York. Et à Paris, il a rencontré Angela Camargo Seixas, qui a commencé à vivre avec lui."

La jeune femme était une guérillera brésilienne appartenant au PCBR, du groupe conduit par Carlos Marighella. Capturée par la police en 1970, elle avait été torturée et était restée 30 mois en prison. On lui avait accordé la liberté surveillée, et elle s’était exilée à Paris, où elle étudiait l’économie à la Sorbonne. En septembre 1972 - raconte Langguth - dans une fête franco-brésilienne, elle a rencontré Agee, qui se trouvait dans une situation très difficile d’un point de vue émotionne et financier. La rencontre lui a offert un nouvel élan pour conclure son projet. Dans la première page du « Journal de la CIA », publié en 1975, on peut lire comme alinéa : "Consacré à Ángela Camargo Seixas et à ses camarades d’Amérique latine qui combattent pour la justice sociale, la dignité nationale et la paix".

Le livre est devenu un best seller dans de nombreux pays et il a été traduit en plus de trente langues. Son auteur s’est consacré postérieurement au journalisme, a collaboré à différentes publications académiques, a donné des conférences, s’est consacré à l’activité entrepreneuriale et a écrit cinq autres livres. « On the run », publié en 1987, raconte les péripéties vécues après l’apparition du « Journal de la CIA ». Les pressions de l’agence ont déterminé son expulsion d’Angleterre, d’Allemagne, de France et de l’Italie. Il a finalement réussi à s’installer en Allemagne. Actuellement, Agee est un militant renommé pour la paix, les Droits de l’Homme et l’amitié entre les peuples. Il a fondé en 2000 la première entreprise américaine installée sur le sol cubain après la révolution, « Cubalinda », une agence de voyages consacrée à resserrer des liens avec le peuple des Caraïbes.

Traduction de l’espagnol pour El Correo : Estelle et Carlos Debiasi

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