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Accueil > Notre Amérique > Frère Indigène > L’Holocauste que nous ne verrons pasThe Holocaust We Will Not See

17 février 2010

L’Holocauste que nous ne verrons pas

The Holocaust We Will Not See

par Georges Monbiot*

 

En 1492, la population native des Amériques était de 100 millions. A la fin du 19ème siècle, la plupart avaient été exterminés. De nombreux décès étaient dus à des maladies, mais cette extinction de masse a aussi été organisée. La boucherie a commencé avec Christophe Colomb. Il a massacré la population autochtone d’Hispaniola (aujourd’hui Haïti et Dominique) avec une férocité inimaginable. En 1535 la population native de 8 millions de personnes avait été réduite à zéro, en raison des maladies, des assassinats, ou épuisées par le travail forcé et la famine.

Par George Monbiot.
The Guardian
, le 11 janvier 2010

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Avatar raconte à demi-mots une histoire que nous préférerions tous oublier

Avatar, le film en 3D de James Cameron, est à la fois profondément bête et profond. Il est profond parce que, comme la plupart des films sur les aliens, c’est une métaphore sur la confrontation entre différentes cultures humaines. Mais dans ce cas la métaphore est délibérée et précise : c’est l’histoire de la confrontation entre les européens et les peuples indigènes des Amériques. Il est profondément stupide parce que mettre en scène une fin heureuse demande une intrigue si stupide et prévisible que cela ôte son sens au film. Le destin des natifs Américains est beaucoup plus proche de l’histoire racontée dans un autre nouveau film, The Road, dans laquelle ses survivants s’éparpillent de terreur alors qu’on cherche à les exterminer.

Mais c’est une histoire que personne ne veut entendre, à cause du défi qu’elle impose à la façon dont nous voulons nous voir. L’Europe a été massivement enrichie par les génocides des Amériques ; les nations américaines ont été fondées sur eux. Cela est une histoire que nous ne pouvons accepter.

Dans son livre American Holocaust, le savant américain David Stannard détaille les plus grands actes de génocide que le monde n’ait jamais connu [1]. En 1492, quelque cent millions d’indigènes vivaient aux Amériques. Vers la fin du 19ème siècle presque tous avaient été exterminés. Beaucoup sont morts à cause des maladies. Mais l’extinction de masse a aussi été organisée.

Quand les Espagnols sont arrivés en Amérique, ils ont décrit un monde qui ne pouvait guère être plus différent du leur. L’Europe avait été ravagée par la guerre, l’oppression, l’esclavage, le fanatisme, la maladie et la famine. Les populations qu’ils ont rencontrées étaient en bonne santé, bien nourries et principalement paisibles (à l’exception des Aztèques et Incas) démocratiques et égalitaires. Partout dans les Amériques les premiers explorateurs, Colomb inclus, ont remarqué l’hospitalité extraordinaire des indigènes.

Les conquistadores se sont étonnés des routes stupéfiantes, des canaux, des bâtiments et de l’art qu’ils ont trouvé, qui dépassaient dans certains cas tout ce qu’ils avaient vu chez eux. Rien de ceci ne les a empêchés de détruire tout et tous ceux qu’ils ont rencontrés.

La boucherie a commencé par Colomb. Il a massacré les indigènes de Hispaniola (maintenant Haïti et la République Dominicaine) par des moyens incroyablement brutaux. Ses soldats ont arraché des bébés de leurs mères et ont fracassé leurs têtes contre les rochers. Ils ont nourri leurs chiens d’enfants vivants. Pour une célébration, ils ont pendu 13 Indiens en l’honneur du Christ et des 12 disciples, sur un gibet juste assez bas pour que leurs orteils touchent terre, les ont éviscérés ensuite et les ont brûlés vivants. Colomb a ordonné à tous les indigènes de livrer une certaine quantité d’or tous les trois mois ; celui qui n’y parvenait pas avait les mains coupées. En 1535, la population indigène de Hispaniola était tombée de 8 millions à zéro : pour partie à cause des maladies, pour partie à cause d’assassinats, d’épuisement et de famine.

Les conquistadores étendent cette mission civilisatrice à travers l’Amérique du Sud et centrale. Quand ils ne voulaient pas révéler où leurs trésors mythiques étaient cachés, les autochtones étaient flagellés, pendus, noyés, démembrés, déchiquetés par les chiens, enterrés vivants ou brûlés. Les soldats coupaient des seins des femmes, renvoyeaient les gens dans leurs villages avec les mains et le nez coupés accrochés autour de leur cou et chassaient les Indiens avec leurs chiens comme sport. Mais la plupart d’entre eux a été tuée par l’asservissement et la maladie. Les Espagnols ont découvert qu’il était moins cher de faire travailler des Indiens à mort et de les remplacer que les maintenir en vie : l’espérance de vie dans leurs mines et plantations était de trois à quatre mois. Un siècle après leur arrivée, environ 95 % de la population de l’Amérique Sud et Centrale avaient été détruits.

En Californie pendant le 18ème siècle les Espagnols ont systématisé cette extermination. Un missionnaire Franciscain du nom de Junipero Serra a monté une série "de missions" : en réalité des camps de concentration utilisant le travail des esclaves. Les indigènes ont été rassemblés par la force des armes et ont travaillé dans les champs avec un cinquième des calories nourrissant les esclaves afro-américains au 19ème siècle. Ils sont morts d’épuisement, de famine et de maladie dans des proportions énormes et étaient continuellement remplacés, anéantissant ainsi les populations indigènes. Junipero Serra, l’Eichmann de Californie, a été béatifié par le Vatican en 1988. Il lui faudrait encore accomplir un miracle pour être canonisé [http://www.latimes.com/news/local/la-me-miracle28-2009aug28,0,2804203.story].

Alors que les Espagnols étaient surtout poussés par la convoitise de l’or, les Britanniques qui ont colonisé l’Amérique du Nord voulaient la terre. En Nouvelle Angleterre, ils ont encerclé les villages des Natifs Américains et les ont assassinés quand ils dormaient. Alors que le génocide s’est étendu vers l’ouest, il a été appuyé au plus haut niveau. George Washington a ordonné la destruction totale des maisons et de la terre des Iroquois. Thomas Jefferson a déclaré que les guerres de sa nation avec les Indiens devraient être poursuivies jusqu’à ce que chaque tribu “ soit exterminée ou conduite au-delà du Mississippi”. Pendant le Massacre de Sand Creek de 1864, les troupes du Colorado ont massacré des gens désarmés réunis sous un drapeau blanc, tuant des enfants et des bébés, mutilant tous les cadavres et gardant les organes génitaux de leurs victimes pour les utiliser comme sac à tabac ou mettre sur leurs chapeaux.
Theodore Roosevelt a dit de cet événement qu’il constituait “l’ action la plus légitime et positive qui soit jamais survenue sur la frontière.”

La boucherie n’est toujours pas terminée : le mois dernier The Guardian a signalé que les propriétaires de ranch brésiliens dans l’Amazonie de l’Ouest, ayant abattu tout le reste, ont essayé de tuer le dernier membre survivant d’une tribu de la forêt [http://www.guardian.co.uk/world/2009/dec/09/amazon-man-in-hole-attacked]. Pourtant les plus grands actes de génocide de l’histoire troublent à peine notre conscience collective. Peut-être c’est ce qui serait arrivé si les nazis avaient gagné la deuxième guerre mondiale : l’Holocauste aurait été nié, excusé ou minimisé de la même façon, même s’il continuait. Les gens des nations responsables – l’Espagne, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et d’autres – ne toléreront aucune comparaison, mais les solutions finales poursuivies aux Amériques étaient bien plus efficaces. Ceux qui les ont commandées ou ont approuvées restent des héros nationaux ou religieux. Ceux qui cherchent à provoquer nos souvenirs sont ignorés ou condamnés.

C’est pourquoi la droite déteste Avatar. Dans l’hedomadaire neocon ( néoconservateur) Weekly Standard, John Podhoretz se plaint que le film ressemble à un "western révisioniste ” dans lequel “les Indiens sont devenus les bons gars et les Américains les mauvais gars.” [http://www.weeklystandard.com/Content/Public/Articles/000/000/017/350fozta.asp]. Il dit qu’il demande au public “d’encourager la défaite des soldats américains aux mains d’une insurrection.” L’insurrection est un mot intéressant pour désigner une tentative de s’opposer à l’invasion : l’insurgé, comme le sauvage, est ce que vous appelez quelqu’un qui a quelque chose que vous voulez. L’Osservatore Romano, le journal officiel du Vatican, a condamné le film comme “juste … une parabole antiimpérialiste, antimilitariste” [http://www.thesun.co.uk/sol/homepage/news/2802155/Vatican-hits-out-at-3D-Avatar.html].

Mais au moins la droite sait ce qu’elle attaque. Dans le New York Times le critique libéral Adam Cohen loue Avatar de soutenir la nécessité de voir clairement [2]. Le film montre , dit il, “un principe bien connu du totalitarisme et du génocide selon lequel il est plus facile d’opprimer ceux que nous ne pouvons voir”. Mais dans une merveilleuse ironie inconsciante, il évite la fracassante métaphore évidente et parle plutôt du coup de projecteur sur les atrocités nazies et soviétiques. Nous sommes tous devenus habiles dans l’art de ne pas voir.

J’approuve ses critiques droitisantes disant qu’Avatar est grossier, mièvre et plein de clichés. Mais il parle d’une vérité plus importante - et plus dangereuse - que celle contenue dans des milliers de films d’art et d’essais.


The Holocaust We Will Not See

by George Monbiot.
The Guardian, le 11 janvier 2010

Avatar half-tells a story we would all prefer to forget

Avatar, James Cameron’s blockbusting 3-D film, is both profoundly silly and profound. It’s profound because, like most films about aliens, it is a metaphor for contact between different human cultures. But in this case the metaphor is conscious and precise : this is the story of European engagement with the native peoples of the Americas. It’s profoundly silly because engineering a happy ending demands a plot so stupid and predictable that it rips the heart out of the film. The fate of the native Americans is much closer to the story told in another new film, The Road, in which a remnant population flees in terror as it is hunted to extinction.

But this is a story no one wants to hear, because of the challenge it presents to the way we choose to see ourselves. Europe was massively enriched by the genocides in the Americas ; the American nations were founded on them. This is a history we cannot accept.

In his book American Holocaust, the US scholar David Stannard documents the greatest acts of genocide the world has ever experienced(1). In 1492, some 100m native peoples lived in the Americas. By the end of the 19th Century almost all of them had been exterminated. Many died as a result of disease. But the mass extinction was also engineered.

When the Spanish arrived in the Americas, they described a world which could scarcely have been more different from their own. Europe was ravaged by war, oppression, slavery, fanaticism, disease and starvation. The populations they encountered were healthy, well-nourished and mostly (with exceptions like the Aztecs and Incas) peacable, democratic and egalitarian. Throughout the Americas the earliest explorers, including Columbus, remarked on the natives’ extraordinary hospitality. The conquistadores marvelled at the amazing roads, canals, buildings and art they found, which in some cases outstripped anything they had seen at home. None of this stopped them from destroying everything and everyone they encountered.

The butchery began with Columbus. He slaughtered the native people of Hispaniola (now Haiti and the Dominican Republic) by unimaginably brutal means. His soldiers tore babies from their mothers and dashed their heads against rocks. They fed their dogs on living children. On one occasion they hung 13 Indians in honour of Christ and the 12 disciples, on a gibbet just low enough for their toes to touch the ground, then disembowelled them and burnt them alive. Columbus ordered all the native people to deliver a certain amount of gold every three months ; anyone who failed had his hands cut off. By 1535 the native population of Hispaniola had fallen from 8m to zero : partly as a result of disease, partly as a result of murder, overwork and starvation.

The conquistadores spread this civilising mission across central and south America. When they failed to reveal where their mythical treasures were hidden, the indigenous people were flogged, hanged, drowned, dismembered, ripped apart by dogs, buried alive or burnt. The soldiers cut off women’s breasts, sent people back to their villages with their severed hands and noses hung round their necks and hunted Indians with their dogs for sport. But most were killed by enslavement and disease. The Spanish discovered that it was cheaper to work Indians to death and replace them than to keep them alive : the life expectancy in their mines and plantations was three to four months. Within a century of their arrival, around 95% of the population of South and Central America had been destroyed.

In California during the 18th Century the Spanish systematised this extermination. A Franciscan missionary called Junipero Serra set up a series of "missions" : in reality concentration camps using slave labour. The native people were herded in under force of arms and made to work in the fields on one fifth of the calories fed to African-American slaves in the 19th century. They died from overwork, starvation and disease at astonishing rates, and were continually replaced, wiping out the indigenous populations. Junipero Serra, the Eichmann of California, was beatified by the Vatican in 1988. He now requires one more miracle to be pronounced a saint [3].

While the Spanish were mostly driven by the lust for gold, the British who colonised North America wanted land. In New England they surrounded the villages of the native Americans and murdered them as they slept. As genocide spread westwards, it was endorsed at the highest levels. George Washington ordered the total destruction of the homes and land of the Iroquois. Thomas Jefferson declared that his nation’s wars with the Indians should be pursued until each tribe "is exterminated or is driven beyond the Mississippi". During the Sand Creek Massacre of 1864, troops in Colorado slaughtered unarmed people gathered under a flag of peace, killing children and babies, mutilating all the corpses and keeping their victims’ genitals to use as tobacco pouches or to wear on their hats. Theodore Roosevelt called this event "as rightful and beneficial a deed as ever took place on the frontier."

The butchery hasn’t yet ended : last month the Guardian reported that Brazilian ranchers in the western Amazon, having slaughtered all the rest, tried to kill the last surviving member of a forest tribe [4]. Yet the greatest acts of genocide in history scarcely ruffle our collective conscience. Perhaps this is what would have happened had the Nazis won the second world war : the Holocaust would have been denied, excused or minimised in the same way, even as it continued. The people of the nations responsible - Spain, Britain, the US and others - will tolerate no comparisons, but the final solutions pursued in the Americas were far more successful. Those who commissioned or endorsed them remain national or religious heroes. Those who seek to prompt our memories are ignored or condemned.

This is why the right hates Avatar. In the neocon Weekly Standard, John Podhoretz complains that the film resembles a "revisionist western" in which "the Indians became the good guys and the Americans the bad guys." [5] He says it asks the audience "to root for the defeat of American soldiers at the hands of an insurgency." Insurgency is an interesting word for an attempt to resist invasion : insurgent, like savage, is what you call someone who has something you want. L’Osservatore Romano, the official newspaper of the Vatican, condemned the film as "just ... an anti-imperialistic, anti-militaristic parable" [6].

But at least the right knows what it is attacking. In the New York Times the liberal critic Adam Cohen praises Avatar for championing the need to see clearly [7]. It reveals, he says, "a well-known principle of totalitarianism and genocide - that it is easiest to oppress those we cannot see". But in a marvellous unconscious irony, he bypasses the crashingly obvious metaphor and talks instead about the light it casts on Nazi and Soviet atrocities. We have all become skilled in the art of not seeing.

I agree with its rightwing critics that Avatar is crass, mawkish and cliched. But it speaks of a truth more important - and more dangerous - than those contained in a thousand arthouse movies.

*George Monbiot. Nació 27 de enero de 1963 en Kensington, Londres. Universitario, periodista y militante ecologista. Es autor, entre otros best sellers, de los libros The age of consent : a manifesto for a new world order (La era del consenso : manifiesto para un nuevo orden mundial), y Heat (Calor : cómo parar el calentamiento global). Es colaborador habitual de The Guardian.

Références  :

Notes

[1David E Stannard, 1992. Holocauste américain. Oxford University Press. Sauf exposés autrement, tous les événements historiques mentionnés dans cet article sont sourcés du même livre.

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