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4 août 2015

Jacques Sapir sur Varoufakis, son plan « B » et sur la cible France

par Jacques Sapir*

 

Le fameux plan « B » de Yanis Varoufakis n’a pas cessé de faire parler de lui. Le 16 juillet 2015, soit le lendemain du vote au Parlement grec de l’accord signé le 13 juillet, et on rappelle que Varoufakis avait voté contre cet accord, il a donné un téléconférence à l’OMFIF ou Official Monetary and Financial Institutions Forum [1]. Il s’agit en fait d’une conversation de 25 minutes avec deux responsables de l’OMFIF, David Marsh, le directeur exécutif de l’OMFIF et Norman Lamont. Cette conversation téléphonique a été installée sur le site web de l’OMFIF le 27 juillet 2015 et la transcription écrite a été installée sur le site le 28 juillet 2015, avec l’accord de Yanis Varoufakis. Cette transcription précise le statut de ce plan « B ». Quel que soient les points de divergences avec Yanis Varoufakis, il est important de l’écouter, et de le lire. On verra d’ailleurs que s’il est, en principe, pour l’Euro il est arrivé à la conclusion, qui est partagée par ses collaborateurs, qu’une sortie de l’Euro était envisageable.

Le but du plan « B »

Yanis Varoufakis commence par dire : « Je dois admettre que nous n’avions pas de mandat pour sortir la Grèce de l’Euro. Ce pour quoi nous avions un mandat était pour négocier un arrangement avec l’Eurogroupe la Banque Centrale Européenne qui rende la position de la Grèce viable dans le cadre de la zone Euro. Le mandat allait cependant un peu plus loin – au moins dans mon estimation. Je pense que le peuple grec nous avait autorisé à poursuivre cette négociations avec énergie et vigoureusement au point de dire que si nous ne pouvions avoir un accord viable nous devrions considérer une sortie (de la zone Euro) ». C’est une position très claire, et entièrement cohérente avec la logique des négociations menées depuis plusieurs mois. Varoufakis dit bien que le mandat, en tant que tel, ne portait pas sur une sortie de l’Euro, ce qui était explicite depuis la campagne électorale de janvier 2015 mais que, et en particulier à la suite du referendum du 5 juillet, implicitement, ce mandat s’étendait à une sortie si aucun accord viable pour la Grèce, autrement dit respectant le programme sur lequel Syriza avait gagné les élections n’était possible. L’accord que la Grèce a été contrainte d’accepter n’est pas viable. Varoufakis insiste sur ce point à de nombreuses reprises. Et, il laisse entendre que, effectivement, son choix aurait alors été plutôt une sortie de la zone Euro. Pourtant, il ne s’en cache pas les difficultés. Il ajoute ainsi peu après : « Le problème est que, quand vous êtes à l’intérieur d’une Union Monétaire, il est toujours très dur de créer le type de dialogue public, qui est nécessaire afin de préparer les gens pour ce qui arrive, pour un processus de désengagement de cette union monétaire tout en ne précipitant pas en même temps un effondrement ». On peut comprendre cette phrase comme la reconnaissance du fait que Syriza a fait une erreur stratégique en n’ouvrant pas un dialogue public, il vaudrait d’ailleurs mieux dire un débat, sur cette question très en amont. Peut-être cela aurait-il renforcé la position de négociation du gouvernement grec.

Les raisons de sa non application

Sur le plan « B », il est très précis. Il dit : « Le travail (de mise au point du plan « B ») était plus ou moins achevé, nous avions un plan B, mais la difficulté venait du passage des 5 personnes qui l’avaient planifié aux 1000 personnes qui auraient eu à le mettre en œuvre. Et pour cela je devais recevoir un autre autorisation qui n’est jamais venue ». Ce passage est très important. Il montre qu’il y avait bien une alternative, mais que cette alternative fut rejetée pour des raisons politiques et non pour des raisons de faisabilité. Alexis Tsipras, celui qui aurait dû donner la dernière autorisation, ne le fit pas. On peut comprendre les raisons politiques de ce geste. Mais, ce geste fut le produit d’une raison politique, la volonté de rester quoi qu’il en coûte dans la zone Euro, et non d’une raison technique. De ce point de vue, cela éclaire la position de ceux qui en France prétendent que le choix d’Alexis Tsipras était dicté par la nécessité, comme par exemple Pierre Laurent dans son entretien à Marianne du 25 juillet [2]. C’est une tout autre histoire que fournit Varoufakis. Elle dément complètement la thèse de Laurent, ce que l’on pouvait discerner dans les nombreux articles de presse qui ont été publiés du 14 au 24 juillet [3]. Et, cela éclaire aussi le mensonge qu’a proféré Laurent dans cet entretien à Marianne quand il prétend, contre toute évidence, qu’il n’y avait pas d’autre choix possible.

Varoufakis alors ajoute une phrase, celle qui a « fuité » et qui lui a été beaucoup reproché, mais dont le sens devient alors très clair dans le contexte de la conversation téléphonique qu’il a avec ses correspondants de l’OMFIF : « C’était très bien développé et je pense que cela aurait fait une très grande différence, car très vite nous aurions put l’étendre (le système de paiements parallèle) en utilisant des applications sur des Smartphones et il serait devenu une fonction du système parallèle. Et, bien entendu, ceci aurait été en Euro mais aurait pu en un coup de chapeau être converti en nouvelle Drachme ». Varoufakis explique ainsi en quoi le plan « B », qui impliquait un système assez sophistiqué mais en réalité assez simple de système parallèle de paiements, aurait permis, s’il l’avait fallu – et il faut bien insister sur cela – un basculement hors de l’Euro. Ce basculement n’était pas prémédité, mais il devenait possible si le gouvernement grec en prenait la décision. Là encore, nous pouvons constater que cette décision était politique et non technique. Ici encore, le mensonge de tous ceux qui, en France, continuent de prétendre qu’il n’y avait pas d’autre solution que d’accepter l’accord du 13 juillet est clairement dévoilé.

La France dans le viseur de l’Allemagne

Mais, il y a une autre chose importante dans cette conversation entre Yanis Varoufakis et les deux responsables de l’OMFIF. Parlant de ce que voulait le Ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, il fait une référence très précise à la France : « Et il (i.e. Schäuble) me dit explicitement qu’un GREXIT, une sortie de la Grèce, aller lui donner assez de pouvoir de négociation, avec suffisamment de pouvoir terreur, dans le but d’imposer à la France ce à quoi Paris résistait. Et de quoi était-il question ? Du transfert du pouvoir de décision budgétaire de Paris à Bruxelles ». Autrement dit, le plan mis en place par Schäuble ne visait pas prioritairement la Grèce, mais avait comme objectif, à travers la Grèce, d’aboutir à une capitulation totale de la France qui devrait, et devra sans doute, accepter le transfert de la totalité de son pouvoir de décision budgétaire à une instance étrangère. Autrement dit, c’est bien la mise en tutelle de la France que visait Schäuble à travers sa position sur la Grèce. Il faut en avoir conscience.

C’est pourquoi les mensonges, que ce soit ceux de François Hollande sur un « gouvernement » de la zone Euro ou ceux de Pierre Laurent, justifiant l’accord léonin, le diktat, auquel Tsipras a consenti, prennent ici une autre dimension. Ils deviennent des actes de connivences dans un transfert décisif de souveraineté vers une puissance étrangère, un transfert sur lequel le peuple français ne sera, et c’est l’évidence, jamais consulté. Il y a un mot par lequel on appelle tout cela…

Jacques Sapir pour RussEurope

RussEurope. Paris, 3 août 2015

*Jacques Sapir es un economista francés, profesor en el EHESS-París y en el Colegio de Economía de Moscú (MSE-MGU). Especialista de problemas de la transición en Rusia, es también un conocido experto de problemas financieros y comerciales internacionales. Es autor de numerosos libros de los cuales el más reciente es « La Démondialisation ». París, Le Seuil, 2011.

Notes

[1Voir le PDF

[3En particulier l’interview de James Galbraith, qui a travaillé avec Varoufakis ou encore celui de Daniel Munevar, un autre des collaborateurs de Varoufakis.

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