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21 juillet 2015


Jacques Sapir : Contradictions et démagogie de François Hollande

par Jacques Sapir*

 

Le dimanche 19 juillet, le Président de la République, M. François Hollande, a fait deux déclarations dans des registres très différents. La première fut faite dans le cadre d’une lettre envoyée au Journal du Dimanche à l’occasion du 90ème anniversaire de Jacques Delors [1]. Elle porte sur l’Europe, l’Union européenne et l’organisation de la zone Euro. La seconde déclaration a été faite en Lozère le samedi 19 juillet, où se rendait le Président de la République pour assister au passage du Tour de France [2]. Face à la grave crise que subissent les éleveurs français, il a appelé les français à manger de la viande française. En apparence ces deux déclarations ne portent pas sur la même chose. La première est l’annonce, honnête ou non, d’un projet de transformation de certaines des institutions européennes dans un sens plus « fédéral ». La seconde se voulait une réaction à la crise grave que subit l’élevage en France, qu’il s’agisse de la filière dite de la viande bovine, de la filière du lait ou de celle de la viande de porc. En apparence, il s’agit donc d’un problème de politique intérieure. Mais en apparence seulement. Car, demander aux français de consommer avant tout de la viande élevée et abattue en France revient en réalité à faire du protectionnisme et même plus, à se prononcer pour une forme d’autarcie. A l’inverse, l’avancée vers des institutions fédérales aboutit exactement à l’inverse. De fait, l’un des arguments avancés en faveur de l’Euro était qu’il devait permettre une unification des marchés des pays considérés, rendant impossible toute forme de protectionnisme. Jamais la contradiction dans le discours du Président François Hollande n’aura été aussi visible, aussi patente, aussi constitutive de sa vision de la politique.

François Hollande et le gouvernement de la zone Euro

L’annonce d’un changement des institutions européennes vient donc à la fin de cette lettre ; ce sont les dernières phrases : « J’ai proposé de reprendre l’idée de Jacques Delors du gouvernement de la zone euro et d’y ajouter un budget spécifique ainsi qu’un Parlement pour en assurer le contrôle démocratique. Partager une monnaie, c’est bien plus que vouloir une convergence. C’est un choix que 19 pays ont fait parce que c’était leur intérêt. Nul gouvernement d’ailleurs depuis quinze ans n’a pris la responsabilité d’en sortir. Ce choix appelle une organisation renforcée et avec les pays qui en décideront, une avant-garde. La France y est prête parce que, comme Jacques Delors nous l’a montré, elle se grandit toujours quand elle est à l’initiative de l’Europe ».

Quand François Hollande propose un « parlement de la zone Euro » afin d’en assurer le « contrôle démocratique » il ne répond pas au problème réel de la zone Euro, qui s’est révélé dans la crise grecque. En fait, ce contrôle démocratique pourrait très bien se faire de manière bien plus simple. Si l’on pensait sérieusement que tel était le problème, on pourrait le résoudre en institutionnalisant l’Eurogroupe, qui rappelons le n’a pas d’existence légale dans les traités, et en le soumettant au contrôle du Parlement européen. Nul besoin de créer de nouvelles institutions ni un nouveau Parlement dont on avoue ne pas saisir très bien la relation avec celui déjà existant.

Cette prolifération des institutions n’est pas sans évoquer certains souvenirs. On se souvient du mot de Georges Clémenceau, lors de débats sous la troisième république : « quand je veux enterrer un problème, je créé une commission ». Il s’applique à merveille à l’idée de François Hollande. Donc, si on voulait soumettre l’Eurogroupe à un contrôle démocratique, les représentants des 19 pays de la zone Euro pourraient se réunir en comité restreint et superviser les décisions de l’Eurogroupe, mais aussi de la Banque Centrale Européenne. Il n’est nullement nécessaire d’élire un nouveau Parlement. Reste la question du budget. Et cette question soulève un problème, celui-ci bien réel, mais fort différent de ce que prétend le Président de la République.

Mais quel est ce problème réel ? C’est bien le refus de la part de l’Allemagne de faire fonctionner une « union de transfert » dans le cadre de la zone Euro. Ce refus, on peut le regretter au nom de la « solidarité » qui est évoquée dans cette même lettre, mais on peut aussi le comprendre. Car il convient maintenant de dire qu’une union de transfert impliquerait une ponction budgétaire énorme sur l’Allemagne, calculée entre 8% et 12% du PIB par an. On voit que cela n’a rien à voir avec une « organisation renforcée » et une « avant garde ». C’est un problème très simple, que tout étudiant en licence en économie comprend. Si les régions d’un même pays, en dépit de leurs différences en richesse et en dotation de capital (matériel et humain) peuvent vivre avec la même monnaie, c’est grâce au budget qui transfert massivement des ressources. C’est la situation dans tous les pays, comme on l’a vu aux Etats-Unis, quand certains Etats ont connu des difficultés importantes, mais aussi en Allemagne ou en Inde, pour ne parler ici que des pays fédéraux. Sauf que la zone Euro n’est pas un pays, on le voit dans les différences de cultures politiques, et qu’elle refuse, en particulier dans le traité de l’UEM, la notion d’union de transfert. Dès lors, la seule forme d’ajustement possible passe par ce que l’on appelle des « dévaluations internes », autrement dit des politiques extrêmement récessives. Evoquer un « gouvernement de la zone Euro » sans aborder la question des transferts n’est donc pas honnête.

La raison d’un hors-sujet

Alors, pourquoi parler de « démocratie » quand il est évident que le problème primordial est celui des transferts ? Si le président de la République était un étudiant, on dirait qu’il est hors-sujet. Mais, François Hollande n’est pas stupide, contrairement à ce que d’aucuns croient. Il a parfaitement compris les conséquences désastreuses de l’accord, ou plus exactement du diktat, même Strauss-Kahn utilise ce terme, imposé à la Grèce. Il en voit surtout les conséquences politiques. Et, en politicien qu’il est il pense qu’il faut répondre à un problème politique par une « solution » politique. Sauf, que cette solution est d’une part superfétatoire – si l’on voulait réellement démocratiser la zone Euro cela peut se faire plus simplement autrement par l’institutionnalisation de l’Eurogroupe – et d’autre part ne répond nullement au problème fondamental de la zone Euro. Alors pourquoi a-t-il fait cette proposition ? Très probablement pour faire ce que l’on appelle de « l’enfumage ».

En fait, il prend position pour l’élection présidentielle de 2017 sous couvert de parler d’Europe. Et ceci se voit un peu plus haut dans sa lettre : « Les populistes se sont emparés de ce désenchantement et s’en prennent à l’Europe parce qu’ils ont peur du monde, parce qu’ils veulent revenir aux divisions, aux murs, aux grillages ». Dans cette phrase, il pratique la confusion à grande échelle. Tout d’abord en prétendant que la peur du monde explique le dégout de l’Union européenne. Puis en confondant délibérément Europe et Union européenne. Il est clair que ce sont les abus des institutions de l’UE qui engendrent un rejet aujourd’hui grandissant de l’UE. Et, la manière dont la Grèce a été traitée n’est que l’un de ces abus, mais assurément le plus grave et le plus spectaculaire. Il n’y a nulle « peur du monde ». Mais, il y a un rejet de ce que représentent Mme Merkel, M. Juncker et M. Dijsselbloem. Il entend enfermer les opposant à l’Euro, et les opposants à l’UE dans la cage des rétrogrades. Pourtant, quand on voit comment l’UE fonctionne, et comment la zone Euro est gérée, on peut se demander si les véritables rétrogrades ne sont pas justement Mme Merkel, M. Juncker et M. Dijsselbloem, mais aussi M. François Hollande. Si, le véritable obstacle au mouvement et au progrès n’est pas cette conception particulière des institutions européennes, que nous avons héritée de Jacques Delors, mais aussi de Jean Monnet. Cette vision technocratique et anti-démocratique de l’Europe, fondée sur la négation de la souveraineté, c’est une vision du XIXème siècle, c’est la vision du Congrès de Vienne, alors que nous en sommes au XXIème. En pratiquant toutes ces confusions, en s’abritant derrière ces rideaux de fumées, en s’inventant des ennemis imaginaires, François Hollande est bien entré en campagne électorale. Qu’il l’ait fait alors que ce déroulait ce drame symbolique du viol de la souveraineté grecque montre que s’il n’est pas dénué d’intelligence, son intelligence est étriquée, formatée, sèche, stérile, et dépourvue de ce qui devrait en être la principale qualité : la puissance d’imagination.

Manger français ?

Et cela, on le constate dans la seconde déclaration. En effet, si on la prend au pied de la lettre ce n’est même pas une incitation au protectionnisme, mais directement à l’autarcie. Nous ne mangerions que ce que nous produirions. Si l’on veut alors parler de « peur du monde », de « grillages », nous sommes amplement servis. François Hollande aurait pu plaider pour une certaine qualité de nourriture, dire que la viande élevée en France présentait, dans certains cas, plus de garanties, tant sanitaires qu’alimentaires, sur des produits importés. Il aurait pu, au passage, condamner l’importation dans notre pays de ce modèle des usines à viande, comme les « fermes des mille vaches ». Notons, au passage, que cette position, qui est respectable et qui serait digne d’être soutenue, est parfaitement contradictoire avec le Traité Transatlantique, ou TAFTA, qui est actuellement négocié dans la plus parfaite obscurité, par la Commission européenne. François Hollande va-t-il donc appeler à rejeter ce traité, remettre en cause tout le processus européen ? Bien sur que non ; et pour justifier sa position il nous ressortira la grande tirade sur ceux qui « …s’en prennent à l’Europe parce qu’ils ont peur du monde, parce qu’ils veulent revenir aux divisions, aux murs, aux grillages ».

Il y a donc une incohérence profonde dans ce qu’a dit notre Président. Cette incohérence tient à ce qu’une partie du discours est juste : oui, la viande produite en France offre plutôt plus de garanties tant d’un point de vue sanitaire que d’un point de vue gustatif sur la viande produite dans de véritables « usines à viande » aux Etats-Unis ou en Allemagne. La meilleure réponse serait alors d’établir des critères quant aux conditions de production et de taxer, voire d’interdire, toute viande d’importation ne répondant pas à ces critères. Ce n’est plus de l’autarcie mais du protectionnisme, car cela autorise toujours l’importation de viandes moyennant qu’elles soient produites dans des conditions que nous trouvons acceptables. Notons aussi que l’on pourrait se coordonner avec des pays dont les exploitations agricoles sont du même type que le notre pour l’élaboration en commun de labels de qualités (les AOP et AOC) et une organisation du marché (avec des quotas pour le lait) qui permettraient à la fois de garantir un niveau de vie décent aux éleveurs sans les mettre sous perfusion avec des aides, ce que l’on va encore faire, et de maintenir un niveau de qualité adéquat. Cette politique impliquerait une restructuration de la commercialisation et impliquerait la constitution de filières intégrées allant de l’élevage à la commercialisation, sans doute de structures coopératives. Seulement, il faut savoir que tout ceci a été pratiqué et a été démantelé au nom de l’Union européenne et dans une logique dite « de grand marché ».

Entre le libre-échange intégral, qui provoque des désertifications de territoires, des crises alimentaires, qui conduit à accepter une alimentation au goût standardisé, et l’autarcie, il y a une solution, celle d’une maîtrise du marché par un protectionnisme intelligent qui associe dans des circuits courts les producteurs et les consommateurs. Mais, il faut savoir qu’une telle politique est aujourd’hui contradictoire avec les intérêts de certains pays, et certainement contradictoires avec les règles de l’Union européenne.

On mesure alors toute la contradiction révélée par ces deux déclarations quasi-simultanées de François Hollande. Mais, il y a une raison à cette contradiction.

François Hollande en campagne

Il est désormais évident que François Hollande est en campagne pour l’élection présidentielle de 2017. Mais, il n’a ni projet ni programme. Le parti qui est le sien, le parti dit « socialiste », est depuis plusieurs années en état de coma dépassé. Il n’y a plus de réflexion globale en son sein. Tous les courants où une certaine recherche intellectuelle, et quel que soit le jugement que l’on porte sur cette recherche, se faisait jour ont été marginalisés. Confronté à la montée du ressentiment contre les institutions européennes, ressentiment qui aujourd’hui touche des couches très différentes de la population française et qui est amplement justifié par leur mode de fonctionnement, il cherche des échappatoires, qui à enfourcher un fois le cheval de l’européisme le plus absolu, mais aussi le plus incohérent, et l’autre celui d’une revendication autarcique que pourraient reprendre à leur compte les identitaires. En vérité, l’absence de réponse aux problèmes de fond le contraint à ces exercices de styles. Et cela porte un nom en politique. On appelle cette tactique qui consiste à flatter chaque segment de son électorat, quitte à faire des promesses parfaitement contradictoires, et sans s’adresser au peuple tout entier, de la démagogie.

Ainsi, sous le couvert d’un homme politique qui se veut sérieux et responsable, c’est bien le masque du démagogue que l’on trouve. Mais, le démagogue est obligé pour ne pas être démasqué, d’accuser de démagogie ses adversaires. Ainsi, on verra, sans nul doute, fleurir dans le discours de François Hollande d’ici 2017 les accusations de démagogie et de populisme portées contre ses adversaires. Nous savons désormais que ces accusations ne font que refléter la démagogie profonde du projet de François Hollande.

Jacques Sapir pour RussEurope

RussEurope. Paris, 21 juillet 2015

*Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l’EHESS-Paris et au Collège d’économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux. Il est l’auteur de nombreux livres dont le plus récent est « La Démondialisation » (Paris, Le Seuil, 2011).

Notes

[1Journal du Dimance, François Hollande, « François Hollande : « Ce qui nous menace, ce n’est pas l’excès d’Europe, mais son insuffisance », 19 juillet 2015,

[2Prix de la viande : François Hollande en appelle au patriotisme des consommateurs

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