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5 mars 2003

Gros nuages sur l’Amérique Latine

par William I. Robinson *

 

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Le projet néo-libéral, tellement méticuleusement imposé sur la région par les élites multinationales et leurs collègues locaux pendant ces deux dernières décennies, s’est effondré tandis que la région chute vers le tumulte économique et politique.

L’Amérique Latine va avec précipitation vers un tourbillon.

Ont germé crises sur crises avec une rapidité qu’a dépassée toutes prévisions faites y a seulement une année. La révolte en Argentine, l’insurrection campagnarde en Bolivie, le coup d’Etat raté au Venezuela et Haïti, soulèvements au Paraguay, l’Uruguay, et le Pérou, une dévaluation profonde au Brésil, une guerre civile chaque fois plus forte en Colombie... tel « est » l’ordre du jour.

Les élites transnationales du FMI et du Trésor des Etats-Unis espéraient mettre en quarantaine la crise apocalyptique qui a germé en Argentine décembre 2001. Mais la majorité des observateurs a compris que la révolte populaire qui a fait tombé cinq gouvernements entre décembre 2001 et janvier 2002 est comme un présage pour la région. Une décennie de néo-libéralisme a châtré à l’économie nationale Argentine, a fait augmenté le chômage de 3 à 20% de la population, et a précipité le nombre de personnes qui vit sous le seuil de pauvreté d’un million à 14 millions.

Tant la protestation populaire organisée que la délinquance violente se sont ultérieurement étendues à chaque coin du pays, en faisant de quelques régions des lieux ingouvernables et en conduisant à un vide au pouvoir inouï. Le Président Eduardo Duhalde a fait un effort considérable pour remplir les demandes du FMI à propos d’une nouvelle ronde d’austérité, comme condition préalable du nouveau prêt d’urgence. Mais on n’a pas eu besoin de beaucoup de temps pour comprendre, devant cette révolte populaire qui continue, que son gouvernement aux mains liées pouvait tomber à tout moment. Il a été obligé dans les derniers mois de ratifier le non paiement de la dette de son pays, de cesser de signer tout nouvel accord avec le FMI, et d’avancer les élections jusqu’à mars de du 2003, c’est-à-dire laisser de la crise à ses successeurs.
Si l’Argentine démontre la faillite absolue du modèle du FMI- Trésor américain, l’élection Luis Ignacio da Silva ("Lula") et le partie de gauche Partie Travailleur (PT) au Brésil est importante parce qu’elle symbolise la fin de l’ordre néo-libéral en vigueur, mais aussi meten évidence les limites des changements parlementaires dans l’Ere du capitalisme global.

Précédemment au chef et militant syndicaliste socialiste, Lula , il lui a été refusée la présidence en trois occasions. Il a gagné cette fois, en partie grâce à la force croissante du mouvement populaire et en partie suite au malaise social et économique provoqué par les politiques néo-libérales du régime sortant du Président Fernando Cardoso.

Mais il a aussi gagné parce que son aile du PT s’est déplacée vers le centre politique, en obtenant une base sociale entre les électeurs de classe moyenne et en recueillant des forces centristes et y compris politiquement conservatrices qui n’approuvent pas un programme de gauche mais qui sont peu disposées à supporter les impacts provoqués par le néo-libéralisme. Le PT a des obligations avec ces forces qui utiliseront probablement leur influence pour limiter les initiatives radicales de tout plan de gouvernement du PT. Derrière le bloc centriste et conservateur dans le nouveau gouvernement se trouve le pouvoir du capital financier transnational. En août, quand le Brésil a fait face à une fuite des capitaux et à une baisse marquée dans la valeur de la monnaie nationale, Lula a calmé les marchés financiers globaux en promettant de ne pas cesser de payer la dette et en donnant sa bénédiction à un prêt de 30 milliards de dollars par le FMI, ce qui a obligé le gouvernement à maintenir les politiques d’ajustement de Cardoso et de promettre de ne pas déclarer un moratoire sur le paiement de la dette externe du pays.

Le Paraguay et l’Uruguay ont aussi souffert de la "contagion" de l’Argentine. La décision du Trésor des Etats-Unis de fournir un prêt "pont" de 1500 millions de dollars il y a quelques mois à l’Uruguay, dont l’économie est étroitement attachée à celle de l’Argentine, a simplement souligné la crainte qu’a Washington de que ce petit pays sud-américain, qui fait face à des protestations organisées et chaque fois plus belliqueuses depuis que le "contagion" l’a frappé, pourrait aller dans le même sens que son voisin argentin. Au Paraguay, la crise économique qu’a commencé il y a sept ans ne montre aucune signal de diminuer. Les protestations croissantes montées en septembre passé par le Congrès Démocratique du Peuple (CDP), une vaste coalition de syndicats et des organisations de travailleurs ruraux, campagnards, indigènes, organisations politiques de gauche et autres mouvements sociaux populaires, ont obligé au gouvernement du président González Machi à retirer les mesures néo-libérales, y compris la privatisation des entreprises étatiques de services.

Plus au nord, les cinq pays andins (la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Pérou et le Venezuela) sont aussi plongés dans le désordre. En Bolivie le chef Evo Morales, radical indigène, a perdu de peu les dernières élections présidentielles fortement influencées par la pression des Etats-Unis, et sa menace de représailles économiques internationales si Morales avait gagné, et des accusations de fraude. Mais le mouvement populaire et indigène en Bolivie rendra impossible au nouveau gouvernement de président Gonzalo Sanchez de Lozada de continuer par le chemin néo-libéral. Le Pérou et l’Équateur comptent aussi des mouvements indigènes et paysans puissants, une baisse économique et un conflit social et politique croissant.

Tandis que le Mexique et Amérique Centrale sont à peine immunisés devant le tumulte, les pays les plus volatils d’Amérique Latine à l’heure actuelle sont le Venezuela et la Colombie. Le Venezuela fait face à une situation légèrement différente de celle de ses voisins. Le Président Hugo Chávez et son projet populiste de gauche a provoqué la résistance non des pauvres et de la classe moyenne et haute, conduits par la fédération commerciale, Fedecámaras, fonctionnaires militaires dissidents, et les politiciens traditionnels - avec l’appui pas si subtil de Washington - une situation peu différente de celle du Chili sous le gouvernement socialiste de Salvador Allende (1970-1973).

Tout au long d’octobre, dans la capital vénézuélienne, Caracas, il y a eu des grèves générales et des émeutes, et de nouvelles conspirations. Le pays a été rapidement polarisé à nouveau après la tentative de coup d’Etat d’avril 2001 manqué en 72 heures, et que se renouvellent les bruits des nouveaux coups d’Etats. D’autre part, la Colombie fait face déjà à une escalade de guerre civile sous son nouveau président autoritaire, Álvaro Uribe, et la région andine pourrait été plongée dans un conflit militaire international si explose aussi la guerre civile au Venezuela - ce qui chaque fois paraît plus probable.

Derrière le tumulte : l’écroulement du néo-libéralisme

Derrière tout ce tumulte se trouve la réorganisation des forces sociales et politiques et l’effondrement du modèle néo-libéral tout le long de l’Amérique Latine. Durant les années quatre-vingt, les pays latino-américains ont subi la restructuration complète et l’intégration dans l’économie globale sous le modèle néo-libéral. Mais le modèle s’est avéré incapable de résoudre la crise de développement de la région, et les régimes civils fragiles qui ont pris les rênes après les dictatures des années précédentes sont chaque fois moins capables de contenir les conflits sociaux et les tensions politiques produites par les effets polariseurs du modèle néo-libéral.

N’importe quelle analyse académique prédit la chute de la région vers le désordre. Toutefois, avant que la crise Argentine explose en décembre le 2001, les fonctionnaires des Organisations internationales (FMI, BM, BID, etc) insistaient sur le fait que le modèle néo-libéral était bien installé et faciliterait la récupération. Ils indiquaient l’entrée de grands flux de capitaux transnationaux dans la région durant les années les quatre-vingt-dix et la reprise de la croissance pendant une grande partie de cette décennie. Mais l’immense majorité de ces importants flux n’ont pas constitué un investissement étranger direct, susceptible d’ aider à conforter la base productive de la région. Il s’est agi principalement de celui appelé "le capitalisme casino" associé avec l’économie globale - l’achat d’actions dans des compagnies privatisées, l’investissement spéculatif dans les services financiers, comme les actions en bourse, les fonds d’investissement, les pensions, et les assurances - avec de nouveaux prêts.

La dette externe a augmenté à un rythme constant tout au long des dernières années de la décennie des 80 et pendant les 90. De 230 000 millions de dollars en 1980 on est passé à 533 000 millions de dollars en 1994, plus de 714 000 millions de dollars en 1997, 793 000 millions de dollars en 1999, et ensuite plus de 1 milliards de dollars pour le XXIème siècle. Le paiement de cette dette gigantesque a exigé un impôt pénible sur des secteurs populaires d’Amérique Latine et a arrêté nettement toute possibilité de récupérer de façon durable pendant les années quatre-vingt-dix. En Argentine en 1998, le seul paiement des intérêts a absorbé 35,4% des devises obtenues des exportations. Quant au Brésil, le chiffre était de de 26,7% ; pour la Colombie 19,7% ; Équateur 21,2% ; Le Nicaragua, 19,3% ; Le Pérou 23,7% ; et pour le Venezuela le 15,3 %.

La séquence prévisible d’événements est la suivante :

 une fois que la pression pour le paiement de la dette arrive au point où la cessation de paiements devient une possibilité, où un gouvernement ne peut déjà plus contenir la pression afin qu’il remplisse même les obligations sociales minimales, on entame la spirale de crise.

Les gouvernements locaux se trouvent entre le retrait des investisseurs transnationaux et l’inquiétude croissante des majorités pauvres qui ne peuvent pas supporter d’autres plans d’austérité. L’actuel chemin vers la crise a commencé à la fin les des années 90 quand la sortie nette de ressources est arrivée une fois de plus à dépasser la recette nette. En Argentine, par exemple, le gouvernement a obtenu de maintenir l’économie à flot tandis qu’il y avait des ressources étatiques pour vendre. Une fois qu’il n’y a plus de façon de rassembler de l’argent rapidement, la fuite des capitaux se fait de la nuit au matin. -comme cela s’est passé- plongeant les pays dans la récession.

L’effondrement économique actuel est le troisième dans les années récentes, précédés par la "crise Tequila" qui a commencé au Mexique en 1995, et par l’écroulement activé par la crise financière asiatique 1997. Mais de la situation actuelle il est différent, dans lesquels il menace d’impliquer dans son tourbillon le continent complet, depuis le Mexique jusqu’au Chili, et parce que la crise régionale est attachée à son tour à la spirale de la crise économique mondiale.

Les données des rapports annuels de la Commission Économique des Nations Unies pour l’Amérique Latine (ECLA) montrent des taux élevés de croissance dans quelques pays pendant les quatre dernières années, tandis que la majorité a éprouvé de la stagnation et jusqu’à diminution. Mais plus révélateurs sont les indicateurs des coûts sociaux de la crise économique. Les données de la ECLA indiquent que le revenu par habitant a diminué dans une moyenne de 0,9 % durant chaque année de la décennie de quatre-vingt, connaissance en Amérique Latine comme la "décennie perdue", et a ensuite décliné dans une moyenne de 1,5 % chaque année pendant les quatre-vingt-dix, celle supposée "décennie de récupération". Les indicateurs pauvreté et privation se sont développés dans la majorité des pays durant les dernières 20 années.

Durant les dernières années les soulèvements spontanés qui se sont produits dans presque tous les pays, ont été provoqués par les programmes d’ajustement structurel du FMI, produisant des chocs violents entre les gouvernements et la population. La crise sociale et économique a déjà fait place à des dilemmes institutionnels plus étendus et à des conflits politico- militaires transnationaux. Les gouvernements civils qui ont remplacé les régimes militaires à la fin du 20ème Siècle, et les classes politiques corrompues, paraissent avoir perdu toute crédibilité. Il n’est pas clair si ces régimes fragiles pourront résister aux tensions des crises économiques et sociales sans qu’eux-mêmes soient aussi s’effondrent. Ce panorama suggère que les structures étatiques levées pour mener à bien le programme néo-libéral et protéger les intérêts dominants, se sont décomposées probablement, au-delà de toute possibilité de réparation.

Et maintenant quoi ?

Qu’est-ce qui peut remplacer l’ordre politique actuel ? Une possibilité peut être le modèle brésilien, dans lequel le prix de la victoire électorale et la stabilité financière paraît être la formulation d’un programme radical pour les classes populaires. Un autre est celui du Venezuela de Chávez, qui peut représenter une nouvelle forme de populisme - une direction que peut prendre l’Argentine et dans laquelle pourrait s’enraciner d’autres partis tandis que les élites désespérées essayent de récupérer la légitimité. La Gauche est profondément divisée, angoissée par les divisions internes, et dans le la meilleur des cas incapable de poser une alternative au néo-libéralisme. Mais les mouvements de base travailleurs, paysans et pauvres se sont aussi développés, et la résistance des forces populaires a été chaque fois plus organisée et dirigée vers les déprédations du capitalisme global dans la région.

Ce n’est pas clair d’imaginer comment se déroulera la crise du néo-libéralisme. Mais nous pouvons nous attendre à une nouvelle ronde d’interventions politiques et militaires américaines dans la région sous l’excuse de guerres contre le "terrorisme" et les drogues. La remilitarisation a déjà été bien installée à la fin du 20ème siècle, propulsée sous les auspices américains : les 1 300 millions de dollars du Plan Colombie, la vente par Washington d’avions de combat avancés aux forces armées du Chili, l’installation d’une base militaire américaine en Équateur, la fourniture à une grande échelle d’armes, les équipements de contre révolte, et des programmes d’entraînement "anti-terrorisme" au Mexique, des nouveaux mécanismes d’intervention multilatéraux, et une nouvelle série d’exercices militaires conjoints le long du continent entre les armées des Etats-Unis et les pays latino-américains.

L’un ou l’autre des gouvernements de l’hémisphère a entaché de "terroriste" le MST du Brésil, les Zapatistas du Mexique, les FARC et l’ELN de la Colombie, le mouvement indigène de l’Équateur, le Farabundo Marti, l’Avant de Libération Nationale dans le Salvador, les Sandinistes du Nicaragua, et à d’autres mouvements légitimes de résistance. La CIA a identifié comme "un nouveau défi pour la sécurité interne" le mouvement indigène, qui - 510 années après l’entamé de la conquête - a été étendu le long de l’hémisphère et est souvent à l’avant-garde des mobilisations populaires. Pour le moment Washington a mis son attention dans les terres éloignées du Moyen-Orient et le sud de l’Asie. Mais au mieux, la Colombie sera plus probablement l’épicentre de l’intervention directe américaine et d’une guerre de contre révolte régionale en Amérique du Sud.

EL GRANO DE ARENA
Correo de información ATTAC n°180
Lunes, 03/03/2003

* William I. Robinson, est sociologue à l’Université de Californie- Sainta Barbara et spécialiste de la globalisation en Amérique latine. Son livre le plus récent, Capitalisme Global et Amérique Centrale : Le développement et le Changement Social dans l’Âge de la Globalisation, sera publié en 2003 par Verso Press.

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