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Dossier : « plateformes, surveillance et postpolitique dans la cybersociété »
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Le gouvernement argentin a décidé de transférer aux Big Tech et aux sociétés de consulting privées [1], le 5 février 2018 (pris le 7 février de : portions stratégiques d’infrastructure, de processus et gestion de l’information de l’État.
Les engagements vont beaucoup plus loin que des tertiarisations de services secondaires. Il y a dans cette initiative un parti pris d’une gestion partagée avec des compagnies multinationales de technologies de l’information et de la communication qui ouvre des questions sensibles sur la protection de l’identité et la souveraineté de l’État.
Les accords les plus emblématiques de cette nouvelle orientation stratégique ont été ceux que le gouvernement a souscrits avec le service de serveurs lointains d’Amazon Web Services (AWS), le transfert des données personnelles de l’ANSeS pour être utilisé par le Secrétariat de Communication Publique, la société conseil de Mckinsey and Co. pour démonter le programme de satellite ARSAT et le plan pilote Facebook at Work (FAW).
Sous la rhétorique de l’efficacité de la gestion, le programme du gouvernement remet l’information publique à des plate-formes spécialisées en monétisation de la connectivité [2]
Le nouvel écosystème vit en partie avec l’infrastructure précédente. Le grand capital accumulé dans l’entreprise ARSAT a été réduit à un système de serveurs publics sur lequel est réalisée la centralisation de services de bases de données et de courrier électronique de tous les ministères. C’est l’expression des « microsystèmes connectifs » dont parle Van Dijck. [3]
Les prérogatives transférées au secteur des entreprises cherchent à accompagner l’émergence d’un pouvoir souverain qui déplace l’État (et la politique) du centre de la gestion du public. La sous-politique du capital dont parle Ulrich Beck déplace les mécanismes institutionnels de la démocratie représentative [4].
La nouvelle cartographie de flux d’information et d’infrastructures est révélatrice d’une distribution inédite de pouvoir dans le « réseau sémantique de connectivité automotrice » [5]
Le cas argentin s’avère paradigmatique du passage d’une institucionalité de gouvernement à une de gouvernance décrite par Rosenau [6]
Le modèle de gouvernance basé sur un partenariat stratégique public-privé s’appuie sur des mécanismes cybernétiques et sur des processus évolutifs de flux permanents [7]. La nouvelle rationalité de procédure n’est pas d’une application mécanique et cohérente. Elle semble plutôt guidée sur le critère de canibalisation de l’État poussé par des fournisseurs de technologie et, circule à un second plan sur l’idéologie néolibérale d’efficacité technique.
Cette caractéristique expliquerait l’implémentation manquée d’une gestion de protection d’infrastructure critique d’information et de cybersécurité (domaine qui fut à la charge d’un ex-policier de Buenos Aires jusqu’à ce que se produisissent de graves interférences de hackers au ministère de Sécurité) et le système fragile de protection des données personnelles, discrètement construit dans l’orbite du ministère de la Justice.
Description du processus de transfert de compétences publiques
Par ordre d’importance, l’accord le plus clairement inscrit dans la logique de délégation de compétences critiques de la gestion digitale, a été l’accord avec Amazon.
En juillet 2017 le ministre de Modernisation, Andrés Ibarra, a signé un Mémorandum d’Entente pour le développement des nouvelles technologies d’information et de communication (TIC) avec Amazon Web Services (AWS), la structure de « cloud computing » du géant du commerce électronique usaméricain.
Le mémorandum habilite l’administration à essayer pendant un an le système de cloud computing pour deux bases de données de l’État.
Ibarra annonçait dans une conférence de presse que « la technologie est un outil fondamental pour continuer de travailler pour un État moderne, agile et efficient. Cet objectif requiert le meilleur de chaque secteur, un dialogue colaboratif continu pour construire ensemble l’État que l’Argentine mérite ». Dans ce cas, la rhétorique de propagande sur le fait « de construire ensemble l’État » se heurte à la loi sur les données personnelles.
Les entreprises « G.A.F.A.M. » (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) comptent des années de pression sur les gouvernements pour qu’ils modifient leurs lois de protection des données personnelles. Ils veulent éviter des restrictions pour pouvoir loger cette information dans les cloud qui ne sont pas « locaux ».
L’argumentation, a laquelle l’Union Européenne a fortement résisté, est que de cette façon l’administration de serveurs, de centres de données est plus facile, et on minimise les problèmes du support technique et les actualisations de software.
Cette pression n’a pas fonctionné en Russie, où, à la fin de l’ année dernière, Twitter a du commencer à stocker des données personnelles de ses utilisateurs dans ce pays, en vertu d’une loi qui oblige les réseaux sociaux, services de messagerie et moteurs de recherche russes et étrangers à stocker les données de ses utilisateurs de nationalité russe chez un serveur en Russie ; dont l’endroit physique doit être communiqué aux autorités du pays. Facebook continue de négocier, sous la menace du gouvernement de le déconnecter.
En janvier 2016, à seulement un mois de la prise de fonction de la nouvelle administration du président Mauricio Macri, le Ministère de Modernisation a lancé un plan pilote dénommé Facebook at work (FAW), à travers un accord avec la multinationale , qui l’année avait l’année précédente inauguré ses bureaux au Buenos Aires (l’inauguration lors de laquelle se sont rencontrés la présidente Cristina Fernández de Kirchner et Macri, principale figure de l’opposition à l’époque).
FAW a été présenté comme une plate-forme développée par la compagnie pour que les fonctionnaires puissent demeurer connectés avec leurs collègues, partager l’ information et travailler de façon collaborative plus simplement et rapidement.
Selon une information de Facebook, de FAW « il aide à créer des espaces de travail plus productifs et connectés dans tous les dispositifs et plate-formes ».
Comme dans le cas d’Amazon, les serveurs sur lesquels il circule cette solution informatique sont logés à l’étranger c’est-à-dire dans une juridiction légale d’un autre pays ; avec la circonstance aggravante que les administrateurs pourraient avoir accés même aux données hautement sensibles et privées de l’administration nationale de la Sécurité sociale (ANSES) [8] ou du recensement électoral.
En août suivant le Ministère de Modernisation a cédé quelques courriers électroniques de l’État (qui venaient déjà d’être stockés chez des serveurs Exchange) à Microsoft, à travers un contrat direct de 4 millions de dollars (Résolution 278 – E/2016) [9].
De plus, par un autre accord avec Microsoft, pour offrir de laconnectivité, on a avancé dans l’exploration du système la Télévision White Spaces pour utiliser une partie du spectre assigné au posseseur déterminé d’une licence TV. En même temps, ils ont promu des programmes dirigés spécialement aux jeunes, comme « l’Alliance par l’Éducation » qui forme des élèves et des enseignants à utiliser les outils proposés par Microsoft .
Après leur publication, la députée nationale Liliana Mazuree et les chercheurs Diego Rossi, Mariela Baladrón, Diego De Charras, Luis Lazzaro [10] et Daniel Badenes, ont réclamé des détails de ces engagements. Le chef de Cabinet, Marcos Peña, s’est excusé en remarquant que l’accord incluait « des clauses secrètes » [11]
Comme faisant partie de la même politique, après quelques mois le gouvernement a fait savoir qu’il avait passé plusieurs accords avec McKinsey et Co (avec qui travaillait déjà la ville du Buenos Aires pendant l’administration Macri).
Un groupe d’analystes de cette société de conseil s’est installé au Ministère de Communications pour développer un cadre régulateur pour le développement et l’innovation en TIC [12]
Le Ministre de la Production, Francisco Cabrera, a signé l’un des ces accords avec la filiale argentine de la société de conseil pour environ 20 millions de pesos[1M de dollars], pour réaliser une proposition de remise en ordre des communications du pays.
Cette intervention incluait l’élaboration d’un « plan d’affaires » pour l’entreprise ARSAT (Entreprise Argentine de Solutions Satelitales Sociedad Anónima) [13]. La société de conseil a suggéré de privatiser la branche satellite d’ARSAT, ce qui a été immédiatement exécuté à travers un accord avec l’entreprise US Hughs [14]
Avec l’argument « d’améliorer la communication officielle » en août de la même année , a été publiée la résolution 166 - E/2016, approuvant un accord grâce auquel l’ANSES cède sa base de données au Secrétariat de Communication Publique avec la finalité délibérée d’envoyer « une information segmentée aux citoyens ».
Le chef de cabinet Marcos Peña a dit, après avoir annoncé cet accord suite à sa publication dans le Bulletin Officiel (c’est-à-dire sans instance de débat à ce sujet), qu’ « il n’y a pas de vocation d’utilisation électorale ». En simultané, le titulaire de l’ANSES, Emilio Basavilbaso a éclairci que l’intention officielle était « de partager seulement des données de contact comme le téléphone, mail ou adresse postale, aucune donnée de plus ». Seulement cela. Presque rien.
En avril 2017 le Gouvernement de Buenos Aires a signé un accord avec l’application Moovit, l’entreprise israélienne qui a développé une application pour anticiper des données de transport public : combien de temps avant qu’arrive le prochain bus et s’il y a des coupures ou des suspensions de services. Par cet accord la Ville s’engage à « ouvrir » les données à l’application pour que les services officiels l’informent des alertes liées à la circulation.
Le dispositif digital de gouvernance partagé avec les Big Tech, importe en réalité la rationalité commerciale de ces entreprises à la gestion politique en creusant ouvertement une breche dans les principes de gouvernement politique et de la démocratie représentative. Ce n’est pas seulement un partenariat qui s’appuie techniquement sur le secteur privé, mais une délégation qui n’ a rien de neutre. Au contraire, avec la solution « technique » on trafique une rationalité d’imposture de la politique par le management.
Il ne s’agit pas de révéler ici une conspiration mais de signaler les effets de l’application de dogmes de marché qui ont été ouvertement énoncés par les idéologues du gouvernement.
COLOMBIE
En 2015, elle devient le premier pays du continent et le deuxième du monde qui se lie au projet de massification d’Internet avancé par Zuckerberg. À travers le site Web www.internet.org les utilisateurs de l’opérateur « Tigo » peuvent accéder de façon gratuite à Facebook, à Wikipedia, à Accuweather, à Girl Effect, UN Women, MAMA, Unicef, Mitula, Su Dinero, 24 Symbols, Tamberos, 1doc3, Icfes, Agronet et au portail de Réparation Intégrale de Victimes.
PÉROU
L’année dernière le pays a commencé à travailler grâce à un accord avec l’entreprise Facebook pour que le service d’Internet parvienne aux localités les plus éloignées grâce à des drones et d’autres mécanismes, où la fibre optique n’arrive pas.
BRÉSIL
En 2015, après l’accord avec la Colombie, le gouvernement du Brésil et Facebook ont annoncé une alliance pour mettre en application l’accès gratuit au réseau mondial d’ordinateurs.
URUGUAY
Le gouvernement uruguayen a signé un accord avec Google en 2015 pour l’utilisation du programme « Google for Education » qui connecte des élèves et des professeurs à travers ses applications comme Google Docs, Calendar ou Clasroom. L’accord permet aux élèves et professeurs de Primaire, Secondaire et UTU d’avoir accès à un compte de courrier électronique Gmail et à une autre de magasinage en ligne Dropbox avec un espace illimité.
La crainte est générée parce que l’information que ceux-ci enregistrent sera stockée dans des serveurs aux États-Unis. En cas de conflit, ils auront à regler le problème à Santa Barbara en Californie. Le Centre d’Études de Software Libre ; Données Ouvertes, Transparence et Accès à l’information ; Droit à la Culture à 58 Docentes, des chercheurs et des professionnels spécialistes l’éducation et de la technologie ont manifesté dans une lettre publique leur « préoccupation » quant à cet accord.
HONDURAS
Le Gouvernement a signé en 2015 un accord avec l’entreprise McKinsey & Company, Inc. pour développer et promouvoir des investissements dans le pays. L’accord consiste à ce que « McKinsey » soit l’entreprise chargée de développer et de promouvoir des stratégies et des études pour le pays dans differents domaines.
Federico Llumá pour Cuadernos del CEL
Cuadernos del CEL, 2018, Vol. III, Nº 5 Págs. 38-45. Un ISSN : 2469-150X.
Cet article fait une partie du Dossier : « Des plate-formes, surveillance et postpolitique dans la cybersociété. » Des cahiers du CEL UNE ANNÉE 3 - NUMÉRO 5
[1] Par Big Tech je me réfère aux G.A.FA.M. (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et à la société de conseil qui a le plus bénéficié de contrats en matière de gestion de données publiques, McKinsey and Co. Conformément à un rapport présenté par l’Association civile « Sous la Loupe » de l’ex-députée Margarita Stolbizer « le Gouvernement a passé des contrats avec les sociétés de conseil dans la période 2016-2017 pour 174.424.356 millions de dollars, qui dans de nombreux cas rendaient déjà des services au gouvernement de la Ville du Buenos Aires », Big Bang. Et Gasto público : apareció Stolbizer y denunció que Gobierno contrató consultorías por más de $170 M
[2] José DIJCK VONT, « La Culture de la Connectivité. Une histoire critique des réseaux sociaux », Buenos Aires, le XXIe Siècle, 2016, 39 (désormais CC)
[3] CC, 43
[4] Ulrich BECK : Was ist Globalisierung ? Irrtümer des Globalismus - Antworten auf Globalisierung, Suhrkamp, 1997, (ISBN 3-518-40944-1) ; « Qu’est-ce que c’est la globalisation ? : fausseté du globalismo, des réponses à la globalisation », Barcelone, Paidós, 2001.
[5] Cfr. CC
[6] James ROSENAU, « Governance without government : order and change in world des polytics », New York, le Cambridge University Press, 1992.
[7] Gabriel PÉRIÈS, « El espacio urbano objeto de la revolución cibernética. ¿Qué espacio para el e-ciudadano ? »
[8] L’ANSES est un Organisme décentralisé qui développe ses fonctions dans l’enceinte du Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale. Par le Décret N ° 2.741/91, il a à sa charge l’administration des prestations et les services nationaux de la Sécurité sociale dans la République l’Argentine.
[9] En mars 2013, la Ville de Buenos Aires est devenue la première ville d’Amérique latine à intégrer le projet CityNext de Microsoft. CityNext travaille comme un réseau de solutions basées sur le cloud, pour administrer des données et des applications, ainsi que pour gérer et automatiser des processus administratifs. En même temps, ils lancent en partenariat un téléphone cellulaire de couleur jaune avec des applications preinstallées, pour des habitants de la ville. Le modèle élu a été le Nokia Lumia 1020. Le Ministre de Modernisation était Andrés Ibarra
[10] Luis LAZZARO, « La política en el panóptico de las redes. « Gobernar es hacer créer »
[11] Le Gouvernement de la Ville de Buenos Aires a décidé de migrer tous ses courriers électroniques sur le cloud même de Microsoft à travers un contrat avec une entreprise privée. Il s’agit de l’adaptation au secteur public municipal du modèle d’affaires Go to Cloud. Poste de travail que Microsoft implémente en association avec la Compagnie téléphonique comme solution pour les PME : « Une compagnie téléphonique et Microsoft fusionnent pour pousser la migration sur le cloud des pme avec ‘Go To Cloud Puesto de Trabajo’ de Movistar »
[12] http://www.online-translator.com/Si...Le gouvernement argentin a payé 875.000 dollars pour cette consultation de 16 semaines. Le promoteur principal de cet accord fut le secrétaire de Coordination Interministérielle de la Direction de Cabinet, Mario Quintana ; un ex-exécutif de McKinsey de même que le ministre de la Production, Francisco Cabrera.
[13] http://www.online-translator.com/Si...ARSAT est l’entreprise de satellite étatique argentine qui était titulaire des droits pour l’opération et la commercialisation des positions géostationnaires 72 ° et 81 ° Ouest. Elle offre des services de télécommunications et de gestion de bases de données à travers des infrastructures terrestres situées dans la province du Buenos Aires.