Accueil > Empire et Résistance > Capitalisme sénile > GEAB 97 : 2016, l’année de l’Inde… et dernière chance pour une transition (...)
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Lorsque LEAP a lancé le GEAB en janvier 2006 avec pour objet la description d’une « crise systémique globale » en gestation, l’une de ses intentions était de contribuer à faire prendre conscience aux Européens de la faiblesse des États-Unis et de l’opportunité qui existait alors de finaliser le processus d’indépendance du continent.
Cet objectif n’était pas seulement motivé par un intérêt purement européen. Il se fondait sur une prédiction forte que nous avons souvent répétée dans ces pages : la transition du monde occidentalo-centré vers le monde multipolaire se passerait très mal si l’Europe ne parvenait pas à se dégager du camp occidental dans lequel l’« Amérique dure » l’enfermait. En effet, associée à l’Europe, cette Amérique n’avait plus de raison de se remettre en question et pouvait mettre en place une pure stratégie de puissance pour tenter de conserver son leadership global.
Nous avons ainsi entrepris de repérer et d’analyser tous les indicateurs des tentatives de prise d’indépendance de l’Europe depuis bientôt dix ans. Malheureusement, malgré certaines nobles et réelles tentatives, l’Europe n’a pas suffisamment saisi l’opportunité de la demi-décennie 2008-2013 (en particulier, le choix d’un président noir à la tête des États-Unis l’a endormie).
Les États-Unis affaiblis avaient besoin de la force de l’Europe pour maintenir leur suprématie ; le contrôle de cette force était à prendre puisque l’UE avait « omis » de faire ce qu’il fallait pour ancrer sa légitimité politique ; et puisque la place était déjà bien occupée, l’« insouciance » européenne ferait le reste. En 2014, l’Amérique a fait une véritable prise de judo à l’Europe, retournant la force européenne contre elle-même et bloquant notre continent.
Depuis la crise ukrainienne, en effet, et malgré le relatif « gel » de la situation lié aux accords euro-russes de Minsk, les mauvaises nouvelles s’amoncellent sur l’Europe : non-règlement de la crise grecque, élections catastrophiques en Pologne [1], déploiement de troupes étasuniennes en divers points du continent, blocage du taux de l’euro à quasi-parité avec le dollar [2], vagues perturbatrices d’immigration, maintien des forces politiques anti-changement à la tête d’un Royaume-Uni en pleine dislocation, incapacité européenne à mettre en place les mesures imposées par la gigantesque crise, acquisitions agressives des fleurons de l’économie européenne par des entreprises américaines [3], etc. Plus le monde se dégage des États-Unis, plus la main de ceux-ci se resserre autour du cou européen.
L’Europe se retrouve ainsi entraînée dans la stratégie folle de l’Amérique dure : l’attaque de tous les pôles du monde multipolaire… dont l’Europe, bien sûr, qui en était potentiellement emblématique. La Russie éliminée du jeu international grâce à l’Ukraine ; la Chine éliminée du système monétaire et financier international grâce au rejet par le FMI d’intégrer le yuan aux DTS [4] ; le Brésil rabaissé au rang des emprunteurs spéculatifs par les agences us-américaines de notation [5]…
Bien entendu, la crise elle-même fragilise « naturellement » tout ce monde, mais les actes malveillants sont tellement visibles désormais qu’on ne peut les ignorer sans sombrer dans la naïveté : le monde va suffisamment mal pour que les actes d’intransigeance et de non-coopération ne puissent pas être interprétés autrement que comme le fruit d’une volonté délibérée que les choses aillent encore plus mal… pour tout ce qui n’est pas américain. Comme nous l’avons lourdement fait remarquer pendant tout le premier semestre 2015, les solutions et coopérations à établir autour de la crise sont désormais suffisamment évidentes pour que les actions consistant à s’en détourner ne puissent être autre chose que malveillantes.
Cela dit, nous voyons encore une dernière chance pour le monde de se maintenir sur le chemin d’une transition organisée non destructrice. Et cette chance, c’est l’Inde.
Nous estimons en effet que l’Inde devrait profiter d’une fenêtre d’opportunité en 2016 qui lui permettrait de contribuer à catalyser positivement la transition vers le monde multipolaire. L’argument central est le suivant : l’Inde va réunir en 2016 des caractéristiques qui devraient lui permettre de s’articuler aux deux autres « grands » des BRICS – la Russie et la Chine – et rendre la bascule vers le monde multipolaire irrésistible aux yeux de l’Occident, au premier rang duquel l’Europe.
Ces caractéristiques sont les suivantes :
Cette liste de caractéristiques converge donc en une indication de rôle international renforcé pour l’Inde en 2016, avec pour potentiel fort de bâtir sur l’image positive de l’Inde une image positive pour les BRICS et donc pour le monde multipolaire, et emporter toutes les réticences associées à cette évolution aux yeux de l’Occident.
Cela dit, notre équipe préfère ne formuler aucune anticipation sur le résultat final lié à ce potentiel. Au lieu de cela, nous anticipons qu’en raison de ces potentialités, l’Inde va connaître des difficultés imprévues dans les prochains mois, voire semaines.
Les acteurs ou appareils programmés pour empêcher cette transition font certainement la même analyse que nous et entreprennent sans doute déjà d’affaiblir l’Inde. Et en effet, à y regarder de plus près, les problèmes qui ont étonnamment épargné Modi depuis le début de son mandat commencent à apparaître.
Nous citerons deux exemples :
Nous anticipons donc que la présidence indienne des BRICS va se passer dans un contexte de très grandes tensions politiques autour de l’Inde qui pourraient réduire à néant la belle convergence d’atouts transitionnels présentés par l’Inde en 2016.
Si l’Inde est poussée à échouer sur ce point, les perspectives seront alors irrémédiablement sombres concernant la voie de transition que devra emprunter le monde et qui correspondra alors à la seconde des deux chroniques du futur proposées par Franck Biancheri en 2010 dans son livre Crise mondiale : En route pour le monde d’après, soit un « crépuscule tragique » (…)
GEAB 97. Paris, le 15 septembre 2015.
[1] Le résultat « inattendu » de la dernière élection polonaise en faveur du très anti-européen et pro-Otan Duda, déjà commenté dans le précédent numéro de GEAB.
[2] Depuis plusieurs mois, l’euro ne parvient plus à passer les 1,12 par rapport au dollar, et ce quelles que soient les nouvelles : bonnes annonces sur l’économie, vente de dollars par la Chine, etc.
[3] Par exemple, les révélations récentes concernant les dessous du rachat d’Alstom par GE (qui viennent d’ailleurs confirmer toutes les analyses de GEAB à ce sujet). Source : France Inter, 10/09/2015.
[4] Source : Wall Street Journal, 19/08/2015.
[5] Source : The Guardian, 10/09/2015.
[6] Source : Deutsche Welle, 04/09/2015.
[7] Source : Economic Times of India, 18/11/2014.
[8] Source : Economic Times of India, 24/08/2015.
[9] Source : Indian Diaspora.
[10] Source : Economic Times of India, 28/07/2014.
[12] Il semblerait que Malraux n’ait en réalité jamais prononcé sa fameuse phrase : « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas », mais plutôt celle-ci, plus explicite et visionnaire : « Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu’ait connue l’humanité, va être d’y réintégrer les dieux. » Source : Wikipedia.
[13] Notre équipe est tombée par hasard sur cette vidéo qui en dit long sur le potentiel de l’Inde en matière d’intégration positive du fait religieux et de sa diversité dans la société.
[14] Par exemple, sur le site du Parlement européen. Source : Parlement européen.
[15] Source : The Telegraph, 16/05/2014.
[20] Source : New York Times, 07/09/2015.
[22] Source : New York Times, 19/08/2015.