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29 décembre 2003

"Faites ce que nous avons fait, pas ce que nous disons" Joseph E. Stiglitz

par Joseph Stiglitz *

 

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De nos jours, à de nombreux marchés émergents, depuis l’Indonésie jusqu’au Mexique, on dit qu’il existe un certain code de conduite auquel ils doivent se soumettre s’ils veulent avoir du succès. Le message est clair : ceci est ce qu’ils font et ce qu’ont fait les pays industrialisés avancés. Si tu veux te joindre au club, tu dois faire la même chose. Les réformes seront pénibles, des intérêts personnels s’opposeront, mais, avec une volonté politique suffisante, vous serez capables de récolter des bénéfices.

Chaque pays élabore une liste de ce qu’il faut faire et chaque Gouvernement est responsable des résultats qu’il obtient. Dans tous les pays, l’équilibre budgétaire et le contrôle de l’inflation figurent parmi les priorités, tout comme les réformes structurelles. Par exemple, dans le cas du Mexique, la libéralisation de l’industrie électrique, que la Constitution mexicaine réserve au Gouvernement, s’est transformée en réforme structurelle qu’exige maintenant l’Occident. C’est pourquoi, les analystes - j’oserais dire de manière futile - applaudissent le Mexique par leurs avances dans le contrôle du budget et de l’inflation, bien qu’ils le critiquent par leur manque de progrès dans la réforme du secteur électrique.

Étant quelqu’un qui a été intimement lié à l’élaboration des politiques économiques aux Etats-Unis, la divergence entre les politiques que promeuvent les Etats Unis dans les pays en développement et celles qu’ils pratiquent en réalité dans leur territoire m’a toujours impressioné. Mais les Etats Unis ne sont pas seuls : la majorité des pays développés ou en voie de développement poursuivent des politiques "hérétiques" semblables. (y compris la France NDLR)

Par exemple, les deux principaux partis politiques des Etats-Unis acceptent maintenant la notion selon laquelle, quand un pays se trouve en récession, ce n’est pas seulement autorisable, mais y aussi désirable, d’avoir du déficit. Toutefois, partout dans le monde on dit aux pays en développement que leurs banques centrales devraient exclusivement s’adapter à la stabilité des prix. La Banque Centrale américaine, la Réserve Fédérale, a le mandat d’équilibrer la croissance, l’emploi et l’inflation, une obligation qui dispose de l’appui populaire.

Tandis que les partisans du libre marché lèvent un mur contre la politique industrielle, aux Etats Unis le Gouvernement soutient activement les nouvelles technologies, et il le fait depuis très longtemps. La première ligne télégraphique a été construite entre Baltimore et Washington en 1842 par le Gouvernement fédéral américain. Internet, qui a tant changé l’économie actuelle, a été développé par les militaires des Etats Unis. Une grande partie de l’avance technologique étasunienne actuelle est basée sur la recherche en biotechnologie ou la défense financés par le gouvernement.

De manière égale, tandis qu’ont dit à de nombreux pays qu’ils privatisent la sécurité sociale, les Etats-Unis disposent d’un efficace système de sécurité sociale public (avec des coûts de transaction plus bon marché que les pensions privées) et les utilisateurs se montrent réceptifs à ce système puisqu’il a joué un rôle fondamental pour déraciner presque complètement la pauvreté parmi les personnes âgées du pays.

Bien que le système de sécurité sociale américaine fasse face actuellement à un problème de financement insuffisant, la même chose se produit à pour une grande partie des programmes privés de pensions. Et le système public de pensions a fourni une plus grande certaine sécurité - face à l’inflation et les caprices de la Bourse - que le marché du secteur privé n’a pas vraiment offert jusqu’à présent la.

C’est évident, beaucoup d’aspects de la politique économique des Etats Unis contribuent de manière significative au succès de ce pays, même si peu sont mentionnés dans les débats autour des stratégies de développement. Pendant plus d’un siècle, les Etats Unis ont eu des lois antitrust strictes, qui ont déraciné les monopoles privés dans beaucoup de secteurs, comme celui du pétrole. Sur quelques marchés émergents, les monopoles dans le secteur des télécommunications freinent le développement d’Internet et la croissance économique conséquente. Dans d’autres, les monopoles du marché dépouillent les pays des avantages de la concurrence internationale, tout comme les monopoles du ciment qui augmentent de manière manifeste le prix de la construction.

Le Gouvernement américain a joué de même un important rôle dans le développement des marchés financiers du pays, en offrant des crédits directement aux entreprises ou par le biais de compagnies avec parrainage gouvernemental, à travers des garanties partielles d’un quart ou plus de tous les prêts. Fannie Mae, un organisme créé par le Gouvernement responsable d’accorder des hypothèques à la classe moyenne américaine, a contribué à réduire les coûts hypothécaires et a joué un important rôle au moment de transformer les Etats Unis en un pays avec le plus important pourcentage de propriétaires de logements.

L’Agence Fédérale pour le Développement de la Petite Entreprise a fourni du capital pour aider aux petites entreprises, dont certaine, comme Express Fédéral, ont grandi jusqu’à se transformer grandes compagnies qui produisent milliers de postes de travail. De nos jours, les prêts qu’accorde le Gouvernement fédéral aux étudiants sont fondamentaux pour garantir l’accès de tous les Américains à l’éducation universitaire ; tout comme durant des années précédentes, le financement du Gouvernement a contribué à ce que tous les Américains puissent profiter de la fourniture de électricité.

Occasionnellement, les Etats Unis ont essayé d’expérimenter l’idéologie de libre marché et la libéralisation, quelques fois avec des effets désastreux. La libéralisation des associations d’épargne et prêts menée à bien par le président Ronald Reagan a produit une néfaste vague d’erreurs bancaires qui a coûté aux contribuables américains plusieurs centaines de milliers de millions de dollars et a contribué à la récession économique de 1991.

À tous ceux qui vivent au Mexique, en Indonésie, au Brésil, en Inde et dans d’autres marchés émergents, on devrait leur donner une consigne différente : ne combattez pas pour l’économie mythique du libre marché, qui n’a jamais existé. Ne faites pas l’éloge des compagnies américaines, ni dans le cadre patronal ni dans le financier, parce que, même s’ils prêchent le libre marché, à la maison ils font poser leur confiance sur le Gouvernement des Etats Unis pour avancer dans leurs objectifs.

Au contraire, les économies en voie de développement devraient prêter attention non à ce que disent les Etats Unis, mais à ce qu’ils ont fait pendant des années où se sont érigés en puissance industrielle et à ce qu’ils font de nos jours. Il existe une similitude claire entre ces politiques et les mesures activistes effectuées par les économies triomphantes de l’est de l’Asie pendant les deux dernières décennies.

 Joseph E. Stiglitz est Prix Nobel d’Économie.

El País. Madrid, 17 décembre le 2003

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