recherche

Accueil > Notre Amérique > Face aux conflits sociaux d’Amérique latine, les Etats-Unis proposent (...)

24 février 2003

Face aux conflits sociaux d’Amérique latine, les Etats-Unis proposent rien moins que de militariser

par Raúl Zibechi *

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

L’intransigeance guerrière des Etats Unis, qui parie sur le fait de militariser les sociétés latino-américaines, peut être et doit être freinée grâce à l’action convergente des sociétés civiles et des gouvernements qui misent sur un monde multipolaire.

Le scénario se profile chaque fois avec une plus grande clarté : La Colombie est le modèle des Etats-Unis pour la toute Amérique latine. Polarisation sociale et politique, déchirure du tissu social, création d’un ennemi (réel, inventé ou simplement imaginé) et ensuite installation d’une scène de guerre qui ouvre les portes à la militarisation du pays. Ce sont les excuses idéales pour le déploiement de conseillers et de corps d’élite, et pour l’installation d’un rosaire de bases militaires - qui tenaillent le continent de nord à sud - appelées à modifier le rapport de forces dans la région.

Traduction de l’espagnol pour El Correo : Estelle et Carlos Debiasi
Ainsi, si la crise mondiale de 1929 et la Seconde Guerre Mondiale ont représenté un repos pour les pays de l’Amérique latine, la guerre contre l’Irak semble appeler à intensifier les souffrances du sous-continent. En effet, ce fut le cas pendant la récession des années trente quand on a consigné les bases pour le processus d’industrialisation des pays de l’Amérique latine, sur la base de la substitution d’importations. Et aussi pendant la guerre contre le nazisme et le fascisme quand l’industrialisation est montée de plusieurs marches jusqu’à modifier la structure économique et sociale de plusieurs pays, qui jusque là étaient à peine des nations agro exportatrices, régies par les oligarchies de propriétaires fonciers.

Nouveaux alliés

La chute du socialisme réel qui a modelé l’actuel monde unipolaire, a produit une redistribution profonde des alliances régionales de la superpuissance. Après quelques feintes, allées et venues qui ont jalonné les transitions démocratiques des années 80, la nouvelle doctrine impériale s’est formée : les actuels ajustements mis en oeuvre sous la pression du Fonds Monétaire International (FMI) poursuivent la polarisation économique, sociale et politique, en installant une sorte de terre rase, bouillon de culture d’une guerre sociale larvée qui dérive facilement en guerre tout simplement. Les rues de la La Paz, où mercredi (12 fév. 2003) 16 personnes ont trouvé la mort, tandis que les responsables du FMI vérifiaient, depuis le Sheraton, l’application de « l’impuestazo » (énorme augmentation des impôts ordonné par le FMI) contre lequel se révoltèrent comme un seul homme les travailleurs et les chômeurs, les cholas (indignes) et les policiers, représentent la meilleure image de la politique en cours.

Celui qui dit La Paz, peut dire Buenos Aires, Arequipa, Asunción ou Quito. Et si l’on veut, on peut ajouter Caracas, en dépit des particularités et des différences du processus vénézuélien. Le phénomène tend, de façon suspecte, à apparaître d’une extrémité à une autre du continent, avec une exception ponctuelle qu’est le Brésil (et on dira aussi Cuba, avec raison), où le gouvernement du PT essaie une politique qui va à contre courants des intentions de Washington et du Pentagone. Grâce à Joseph Stiglitz, Nobel d’Économie et ex vice-président de la Banque Mondiale, nous savons que les organismes financiers internationaux calculent, au moment de concevoir les mesures économiques qu’ils imposent à chaque pays, tant les coûts sociaux que les coûts politiques. Ils prévoient, même, les réactions populaires, dans ce qui peut être qualifié comme une véritable ingénierie de guerre intégrale.

Voyons le cas colombien. En 1981, il y avait 25 mille hectares cultivés de marijuana et de coca. En 2001, après une décennie de terre brûlée pour déraciner les cultures, les cultures de coca seules se montaient à 120 mille hectares. En 1990 la production d’héroïne était insignifiante. Elle dépasse aujourd’hui celle du Mexique comme principal fournisseur. Bien qu’on ne soit pas parvenu à freiner les cultures et la production de coca, le Pentagone est parvenu à imposer la politique de fumigations aériennes, qui entraînent une convulsion sociale profonde, rendent malades ales populations et produisent des dommages écologiques irréparables. La fumigation est une politique de guerre, et c’est avec cette brindille que l’on doit mesurer le succès ou l’échec de la politique américaine, et non avec la quantification de la production et des cultures. Ainsi vont les choses, le principal succès est avoir polarisé la société colombienne, empêchant et bloquant toutes les initiatives de paix et élevant au rang de président un homme des paramilitaires. La politique des escadrons de la mort et des armées irrégulières - il faut se souvenir du Nicaragua et l’Irangate- est la véritable option de l’administration de George W. Bush, entendue comme la meilleure façon de contenir la rébellion sociale que ses politiques promeuvent.

Libertés sous soupçon

Si dans l’arène internationale, le gouvernement de Bush prend comme modèle la lutte antiterroriste du régime génocidaire de l’Algérie, et si dans son propre pays il taille les libertés, transforme en suspects des milliers de citoyens et surveille les communications Internet, plus au sud le scénario est imposé de manière beaucoup moins subtile. Apparemment, le véritable ennemi à battre ce sont les sociétés civiles. Le cas bolivien, un autre paradigme de la politique de la superpuissance, illustre clairement cet aspect. En 1985, la Bolivie a été le précurseur des ajustements structurels. Les ajustements ont été fait dans l’industrie minière, non par incompétence mais parce que là le prolétariat mineur, le plus conscient et combatif de l’Amérique latine s’était fait fort, depuis la révolution de 1952, était devenu le principal obstacle à la voracité des élites créoles et des capitaux des multinationales. Dispersés par la fermeture des mines, beaucoup d’ex travailleurs se sont déplacés vers au Chapare, où ils se sont transformés en paysans. La puissance du mouvement indigène- paysan qui a émergé dans les années ’80, a activé les politiques d’éradication forcées des cultures de coca avec lesquelles survivent des régions complètes du pays.

Mais une politique tellement impopulaire ne pouvait pas être mise en oeuvre, même si les mouvements sociaux boliviens se sont cramponnés à démontrer qu’ils sont étrangers à l’élaboration de cocaïne et qu’ils sont disposés à accepter une réduction des cultures. La réponse a été identique à celle faite maintenant en Colombie : intervention directe de troupes d’élite américaines, dont l’ambassade décide des politiques officielles, et dicte qui peut être choisi comme président et ne peut l’être et surtout, protège jalousement les grands narcotrafiquants, dont quelques un ont occupé la présidence du pays après de sanglants coups d’État.

Certainement, la désintégration nationale que provoquent les politiques du FMI et du Pentagone -les deux faces de la même monnaie-, amalgamée sur la base de la subordination et de la domination - entraîne vers le bas les principales institutions de chaque pays. Non seulement les Parlements et les communes perdent du poids et du sens mais aussi les gouvernements et jusqu’aux corps de sécurité de l’État, comme cela se passe avec la police bolivienne. Ce second soulèvement policier en un peu plus de deux ans paraît indiquer - comme l’a fait en son temps la rupture de l’armée équatorienne - que l’ensemble des institutions nationales du continent ont entamé un déclin incontrôlable. L’armée argentine, qui ne peut pas échapper de la boue qu’elle a générée avec les génocides est, avec la très corrompue police de la Province de Buenos Aires, peut être le meilleur paradigme de la désintégration d’institutions qui jusqu’à peu paraissaient solides. Le plus significatif, cependant, est qu’il ne s’agit pas d’accidents, ni d’échecs, mais de "dommages collatéraux", comme les désignent les stratèges néo-libéraux. Ce sont les conséquences d’une politique soigneusement planifiée : la destruction nationale ouvre des brèches pour l’intervention directe d’autres institutions, globales ou impériales, qui sont déjà disposées à remplacer les fonctions dans ces décadents Etats créoles. On ne peut pas oublier que reste encore en vigueur la proposition selon laquelle l’organisme financier international est chargé de payer directement les subventions des chômeurs argentins.

Un monde multipolaire

Bien que la majorité des gouvernements latino-américaines n’ait pas jouée un rôle important au moment de faire face à l’éminence d’une guerre en Irak, il paraît évident que les intérêts de la région se jouent avec ceux qui parient sur la paix. C’est-à-dire, avec cet hétérogène et multicolore conglomérat qui inclut le pape Jean-Paul II et les gouvernements la Russie, la Chine, l’Allemagne et de la France, jusqu’aux sociétés civiles qui ce week-end mobilisent des millions de personnes partout dans le monde. En incluant aux Etats-Unis, où on attendait des manifestations à New York et San Francisco, ce qui va marquer des limites à la politique extérieure que le gouvernement Bush ne pourra pas ignorer. À ce sujet, Noam Chomsky a indiqué, dans le récent Forum Social Mondial de Porto Alegre, que pour le Vietnam a dû vivre quatre années de guerre pour que la société civile américaine commence à se mobiliser. Maintenant, les marches sont déjà tellement nombreuses comme l’ont été les plus grandes manifestations anti-guerre des années soixante.

De toute façon, ce qui est en jeu n’est rien d’autre que : « les contrepoids à la superpuissance existent-ils ou non ». Si la très large alliance contre la guerre ne parvient pas à freiner cette superpuissance, si la volonté des va-t-en guerre de la Maison Blanche et d’un isolé Tony Blair s’impose, cela sera une nouvelle désastreuse pour l’humanité.

Le futur de l’Amérique latine peut être mesuré par la mesure de l’existence d’un monde multipolaire. S’il n’y a pas de force humaine capable de freiner les faucons de la Maison Blanche, alors que les scènes de cette semaine sur la place historique Murillo de la La Paz -calqués de celles de Place de mai, à Buenos Aires, il y a un peu plus d’une année- seront le chemin pénible que beaucoup de peuples du continent parcourront. Finalement, le gouvernement de Gonzalo Sánchez de Lozadaa a été obligé de retirer les mesures impopulaires dictées par le FMI.

Brecha</U>. Uruguay,

Retour en haut de la page

El Correo

|

Patte blanche

|

Plan du site