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28 mai 2014

Dans la brume des Andes, la longue patience de l’organisation populaire

 

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Eliel García est debout sur un versant andin. Derrière lui deux hommes et le boeuf qui tire la charrue. Le ciel pèse sur les chapeaux. En face poussent les fraises, les framboises, un fleuve descend d’une lagune. Eliel raconte, son histoire est celle de beaucoup. Une histoire de mains qui s’ouvrent sur l’aube, plongées dans la terre.

C’est d’ici qu’il vient, de l’État de Táchira, de cette montagne précisément qu’il laissa il y a quelques années pour travailler en ville, avant de revenir en organisateur, porteur d’un projet collectif. C’est alors qu’il fut élu porte-parole du Parlement Communal d’une tentative devenue réalité : la Cité Socialiste Juan Pablo Peñaloza.

Il milite au Courant paysan révolutionnaire « Bolívar y Zamora », le mouvement social à l’origine de cette expérience. Ce courant, explique Eliel, « ne se situe ni en avant ni en arrière mais aux côtés du peuple, pour l’accompagner, le former, l’aider, le mobiliser ».

Le pionnier du travail d’organisation, ce fut Eduardo Cifuentes, un homme nourri de l’expérience de la construction de la ¨Cité Communale Paysanne Socialiste Simón Bolívar¨, située dans l’État du Haut Apure, la première des trois cités socialistes impulsées par ce mouvement dans le pays.

« Quand nous sommes arrivés en 2008 nous avons trouvé un secteur dominé par la droite, 60% contre 40% aux élections. Lors des élections du 14 avril 2013, la révolution a gagné 70 à 25 », raconte-t-il, sa fille dans les bras, née à Juan Pablo Peñaloza.

Depuis ils ont organisé les cinq communes qui en font partie, intégrant les 19 conseils communaux qui regroupent un millier de familles. « Nous on avance, on n’attend pas la loi, mous avons commencé avec les conseils communaux avant que la Loi les définisse, de même avec les communes, la loi n’existait pas encore » explique Eliel. « Si nous nous trompons, nous le faisons avec le peuple, pas depuis un bureau » ajoute-t-il. Derrière, la charrue poursuit sa marche lente, têtue.

Un pas sur la route

D’abord les conseils communaux. Ensuite les communes. Maintenant, une cité socialiste. Chaque instance d’organisation populaire – et tout ce qui l’accompagne – est pensé sur la base d’une vision : l’État Communal, le nouvel État pour substituer l’actuel, le capitaliste. C’est ainsi que le décrit Eliel qui nomme le Plan de la Patrie, approuvé dans les urnes en avril 2013, pour la période 2013-2019 [1]. On y lit : « Pulvériser complètement la forme de l’État bourgeois qui se reproduit encore à travers ses vieilles et néfastes pratiques et poursuivre l’invention de nouvelles formes de gestion politique ».

La nouvelle institutionnalité donc, avec ses essais, erreurs, réussites qui se crée et se recrée. C’est là que doit prévaloir l’État Communal. C’est l’horizon qui traverse les projets et les pratiques de la Cité Socialiste, le sens de chaque pas et de la création de chaque commune « aussi importante pour le socialisme que l’eau pour l’être humain » dit Eduardo.

C’est pour ça qu’on parle d’auto-gouvernement et qu’on cherche à l’incarner, à lui donner vie dans les communautés. « Quand la cité communale s’est formée, parallèlement à la création des communes, on a construit l’auto-gouvernement. La Loi des Communes n’existait pas encore, mais déjà l’auto-gouvernement réunissait les porte-parole de chacun des conseils communaux. Quand la Loi est sortie, on l’a rebaptisé Parlement Communal” explique Yanina Settembrino. Elle est argentine. Avant de poursuivre elle précise : « la Révolution Bolivarienne n’est pas seulement liée au projet vénézuélien, elle nous a ouvert la possibilité de nous réaliser à tous les latino-américains ».

La pratique de l’auto-gouvernement se veut transversale dans toute la Cité Socialiste. Dans chacune de ses instances. Pour le mouvement social, l’organe principal de décision doit être l’assemblée de citoyennes et citoyens de chaque conseil communal, tandis que le Parlement Communal sert de lieu d’articulation plus que de prise de décision.

Avec le temps de l’apprentissage collectif ils ont réussi à avancer dans cette direction, explique Yanina : « Nous visons l’existence d’un auto-gouvernement capable de décider, qui soit la voix de mille familles pour exécuter les politiques publiques. Ici ne débarque pas de fonctionnaire sans que notre Parlement en soit informé, aucune ressource n’arrive sans qu’on en discute dans la communauté ». La voie a un sens : du bas vers le haut.

Consolider l’économie communale et paysanne

Dans les montagnes du Táchira la majorité des habitants sont paysans, producteurs. Beaucoup comme Ezequiel ont émigré il y a des dizaines d’années en quête de travail. C’est ainsi qu’ils ont peuplé les collines de Caracas et des grandes villes du pays. Peu sont revenus. C’est pourquoi une des lignes transversales de la Cité est la production et la distribution des aliments. Pour débattre de chacun des projets, des assemblées ont été tenues, d’où sont sorties deux revendications qui se sont transformées en conquêtes : le premier système Agropatria Communal du pays, et l’installation d’une Entreprise de Propriété Sociale, le Centre de Stockage et de Distribution. Deux outils pour répondre aux besoins fondamentaux des paysans : l’obtention des ressources pour produire et vendre à travers Agropatria et la possibilité d’avancer vers un système de distribution organisé collectivement, qui puisse mettre fin au problème des intermédiaires. Deux instances pour développer l’autogestion et l’indépendance communale de l’État existant.

“Avec le Programme Agropatria Comunal, les producteurs eux-mêmes – 992 au total – se prennent eux-mêmes en charge et le conseil communal fait le suivi” poursuit Eliel. Quant au centre de Stockage et de Distribution qui verra bientôt le jour, Eduardo explique qu’il devra avoir « un développement productif endogène, comme disait le Commandant Chávez en 2006, c’est l’Entreprise de Production Sociale (EPS) qui génère son excédent pour alimenter son espace territorial, après quoi elle peut s’étendre aux autres communes, aux autres cités communales ».

Outre ces deux piliers, la Cité Socialiste a conçu un autre projet important : l’octroi de cent logements. Javier Mauricio Valderrama, porte-parole du Parlement et bénéficiaire d’une des maisons, raconte : « On a tenus de assemblées dans les conseils communaux et les communes pour recenser les personnes qui avaient le plus besoin d’un toit, avant d’en discuter au sein du Parlement Communal ». Il fait ce récit assis dans une plantation de fraises, avec son fils sur les genoux : « Nous allons exécuter ce projet nous-mêmes, en tant que bénéficiaires ». Résoudre les demandes – la dette historique – en partant de la mobilisation populaire dans chacune des discussions, décisions, réalisations des projets, telle est la feuille de route.

Jusqu’où ?

Auto-gouvernement, montée en puissance, gouvernement communal, mobilisation populaire, autant de mots qui font partie du lexique quotidien. Pour arriver à incarner ces concepts, l’arme-clef, c’est la formation socio-politique. A cette fin a été organisée, dans d’autres instances, l’École Nationale de Formation des Communardes et Communards « Tremblez Oligarques » [2]. « Nous travaillons suivant la méthodologie de l’éducation populaire, toute personne a le droit de penser et d’exprimer ses idées » explique María Ochoa, une des formatrices de l’école et militante du mouvement paysan.

Ainsi, quand la nuit tombe pleine de brume, des dizaines de communard(e)s, jeunes et adultes, au terme de leur journée de travail, se rendent dans l’une des trois écoles où se donne en parallèle la formation. « Les gens disent que chaque jour il faut en apprendre un peu plus sur le processus révolutionnaire » raconte María avant d’entrer en classe pour réfléchir aujourd’hui sur la nature du pouvoir populaire dans le socialisme.

Telle est la stratégie, c’est ainsi qu’ils ont fondé des conseils communaux, des communes, et cette étape nouvelle qu’est la cité socialiste. Que faire ensuite ? Jusqu’où ? Comment continuer après les cités socialistes ? Les communard(e)s de Juan Pablo Peñaloza suivront-ils le rythme de l’organisation populaire, avec ou sans lois ? Répéteront-ils ou elles, comme le poète Juan Gelman : « Qui a osé dire un jour : l’homme s’arrête ici, ou pas ici ? »

C’est pourquoi ils travaillent chaque jour à construire un auto-gouvernement « qui commande d’en bas, en obéissant », comme dit Yanina. Peut-être qu’un jour l’Histoire dira « Jusqu’ici ». Peut-être que ce peuple formé répondra comme Eliel : « ceci commence mais n’a pas de fin », laissant la montagne seule avec le bruit de la charrue.

Marco Teruggi para « Crónicas comuna adentro »
Cité Socialiste Juan Pablo Peñaloza, État du Táchira, Venezuela, 2014.

Traduit de l’espagnol pour Venezuela Info par : Thierry Deronne

Venezuela Info, le 28 mai 2014.

Notes

[1Pour connaître en détail ce que va faire la révolution bolivarienne de 2013 à 2019 : http://venezuelainfos.wordpress.com/2013/04/15/ce-que-va-faire-la-revolution-bolivarienne-de-2013-a-2019/

[2Paroles de l’hymne de l’armée paysanne du général rebelle Ezequiel Zamora (1817-1860)

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