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11 mars 2020

Dans des eaux inconnues le monde entre, mais ...

... le problème est que nous ne savons pas vers quoi explosera le choc mondial annoncé.

par Rafael Poch de Feliu*

 

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Avec des cas détectés dans plus de soixante-dix pays et des flambées inquiétantes dans plusieurs d’entre eux (et en augmentation), personne ne semble discuter de l’importance de la pandémie. Les bourses tombent, les chaînes d’approvisionnement mondiales sont rompues et une récession mondiale approche à grands pas. Les comparaisons initiales avec la simple grippe ont déjà été stockées discrètement dans un tiroir. Ont également été remisées, bien qu’elles n’aient pas cessé, les campagnes de ridiculisation de la Chine et le discrédit de leurs dirigeants, dont il s’avère désormais qu’ils ont plutôt bien fait (lire les couvertures de février des grands hebdomadaires anglo-saxon et germanique).

La réticence initiale des gouvernements européens à prendre des mesures drastiques, perdant un temps précieux, pour contenir l’expansion du coronavirus et sous-estimant les preuves d’une urgence mondiale, ont rappelé l’attitude habituelle face à la crise climatique. Ce n’est pas que « depuis que le puisque Covid-19 existe, il ne se passe rien, il n’y a pas de changement climatique »c’est la même chose : l’aveugle dirigeant la cordée.

A Bruxelles, radiographie plate. Vendredi, ont été dénombrées environ 7 000 cas en Europe, un chiffre comparable à ce que la Chine a enregistré le 30 janvier. À ce moment-là, en Chine, des mesures de confinement drastiques avaient été prises pendant une semaine. « Ces données nous permettent de considérer que l’Europe est susceptible d’être affectée par la pandémie d’une manière plus forte que la Chine », explique Alexander Unzicher, un expert allemand qui approuve la maxime, « il est plus sage de s’ alarmer tôt que de s’alarmer tard. » Le communiqué de la Commission européenne du 4 mars se lit comme suit : « Nous suivons la situation de très près et ferons tous les efforts nécessaires ». Pour le moment, les choses se passent dans les États nationaux. En Italie, un médecin de Bergame, Daniele Macchini, a fait une grande impression en expliquant qu’en raison de la saturation des patients et de la pénurie d’appareils respiratoires, les médecins doivent choisir parmi les cas graves ceux qui sont les plus susceptibles de survivre. La situation change d’une semaine à l’autre : les discours patriotiques des chefs de gouvernement européens commencent à être entendus par leurs citoyens.

Isolement. Une saine cure minceur à la maison, dans le tourbillon de cette hyperactivité absurde ? Mais il y a beaucoup de gens qui ne peuvent pas se permettre l’isolement sans salaire pendant deux semaines. Le document de 27 pages du gouvernement britannique sur la réponse au virus envisage un scénario dans lequel « jusqu’à un employé sur cinq pourrait s’absenter du travail pendant les semaines aiguës ». Comment vont gérer cela ?

Selon un rapport de 2015, quelque 56 pays, riches et pauvres, ont réduit leurs budgets de santé après la crise financière de 2008. Aujourd’hui, ces coupes budgétaires, comme la discipline budgétaire en général, deviennent indéfendables. Pour éviter les effondrements sanitaires, il faut plus d’argent, si on ne veut pas mettre en péril le sacrosaint temple capitaliste lui même, le système productif, ne doit pas être mis en danger. La vertu budgétaire, ancienne vache sacrée, devient une stupidité. De nouvelles conditions pour ce qui est publique et le keynésianisme ? Y aura-t-il un « corona-bonus » dans l’UE ?

Aux États-Unis, la grande puissance la plus riche, semble mal préparée. Sa santé en mains privées offre un bon champ à la propagation du problème. Le président idiot qui a fermé le Conseil National de Sécurité de l’unité de santé mondiale (lancé en 2014 après la crise d’Ebola) et qui a dissout l’équipe chargée de coordonner les différentes agences gouvernementales de santé en cas de pandémie, réduit l’importance du problème des coronavirus. Le Congrès consacre 8,3 milliards de dollars à la pandémie, moins d’un dixième du coût d’une année de guerre en Afghanistan, et les médias semblent plus préoccupés par les effets sur le marché boursier que par le coût humain. Lorsqu’une collaboration étroite et une coopération internationale sont nécessaires pour résoudre un problème qui montre, une fois de plus, l’intégration et l’interdépendance de ce monde dans ses problèmes, la mentalité reste la même : les sanctions contre l’Iran compliquent grandement la crise de son système santé face à un nombre très élevé de personnes affectées. Imperium über alles .

« Un coup dur pour l’économie mondialisée », dit-il. Cette économie basée sur la folie de l’extrême mobilité-pollution, dans la frénésie de la recherche du plus bas coût salarial, de la sanctification du « low cost ». Un coup à son mode de vie excessif, obèse et accéléré grâce à la numérisation, avec ses stress et profusion de thèses, des rapports et des pensées en 200 caractères et 20 000 likes par minute qui marquent l’expansion de la stupidité moderne.

Un coup dur aussi à la spécialisation dans les chaînes de production. Les « ingrédients actifs », l’essence des propriétés thérapeutiques, de 80% des médicaments consommés dans l’UE sont produits en Chine. Coup dur aux « monocultures » des économies nationales, des voitures en Espagne aux exportations de voitures d’Allemagne. Les pandémies contiennent un avertissement pour la diversification, la suffisance et la proximité. Le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, glisse déjà « l’impérieuse nécessité de re-localiser un certain nombre d’activités », de rétablir « une souveraineté économique », française ou européenne (UE, d’abord !), Et pointe même la nécessité de créer une « batterie Airbus pour la voiture électrique ». Tout est si clair ?

Si nous ne savons pas combien de temps durera cette merde, ni comment cela va évoluer, ni jusqu’où cela ira ; qu’en restera t-il, rien ou peu ; Ce n’est pas que « la propagande des grands groupes économiques et médiatiques cachent la réalité et nous empêche de bien comprendre ce qui se passe », comme cela a été dit. C’est beaucoup plus simple : nous entrons dans des eaux inconnues.

Et il y a eu en même temps une « sensation de Tchernobyl ». Nous ne connaissions pas non plus les conséquences de ces nuages radioactifs. Il y avait beaucoup de spéculations, mais il y avait une certitude claire que c’était quelque chose de douteux. Et après cela, il y a eu une sensation de « bidonnage » : celle d’un désastre qui s’est ajouté aux autres et qui s’est conclu par l’affirmation de la « perestroïka » : vous ne pouvez pas continuer à vivre comme ça (так жить нельзя !), Ça doit péter ! Ce système est inhumain. Cela ne fonctionne pas, ce n’est pas viable pour un avenir décent. Le problème est que nous ne savons pas où va exploser le choc mondial annoncé ni quel avenir on nous prépare.

Rafael Poch de Feliu * pour son Blog personnel

Titre original : « En aguas desconocidas »

Rafael Poch de Feliu. Catalunya, le 10 mars 2020

* Rafael Poch-de-Feliu a été durant plus de vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou à Pékin et à Paris. Avant il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l’agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l’Est (1983 à 1987). Blog personnel. Auteur de : « La Gran Transición. Rusia 1985-2002 » ; « La quinta Alemania. Un modelo hacia el fracaso europeo » y de « Entender la Rusia de Putin. De la humiliación al restablecimiento ».

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, le 11 mars 2020

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