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15 mai 2013

Cuba, Yoani Sánchez et la révolution impardonnable

par Rafael Poch de Feliu*

 

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J’avoue que je suis arrivé sceptique mais curieux à l’intervention de Yoani Sánchez, « journaliste indépendante » Cubaine, a fait le 8 mai à l’Institut Cervantes de Berlin. Une manifestation organisée par le quotidien local Die Tageszeitung.

Sánchez est une jeune femme vive , très jolie et au verbe aiguisé. Elle a décrit la situation dans son pays dans des termes très extrêmes. Elle a parlé de l’île comme d’une « cage perverse » et de son gouvernement comme la « dictature d’un clan familier ». Elle a expliqué la stabilité du régime cubain par « la peur » qu’elle attribue à sa population. Elle a défini l’économie cubaine comme, « le capitalisme d’une famille » et elle a considéré que le système cubain « est irréformable ». Sánchez, qui se présente comme « personne relais » disposée à s’entretenir avec tous, a fait comprendre qu’elle se fait l’avocate de ce qui s’appelle « changement de régime ».

Sa popularité médiatique est énorme. Son blog est traduit en plusieurs langues et jouit d’ appuis logistiques extraordinaires. Elle réclame son droit à critiquer. Je ne discute pas à Sánchez le droit de mettre au feu qui elle veut, à ne parler de ce qu’elle veut. Ce que je lui discute c’est le rôle qui lui est attribué, par la droite mondiale, comme représentante de quelque chose de nouveau et même comme la conscience du peuple cubain.

Cuba, maintenant avec le Venezuela, est le pays qui rassemble la plus grande attention médiatique de l’Amérique Latine en matière de droits de l’homme. Les sujets qui dans d’autres lieux passent inaperçus, à Cuba sont focalisés et fréquemment manipulés pour les présenter sous leur pire lumière. Mais si l’on révise avec un peu d’une mesure la situation des droits de l’homme dans le monde et en Amérique Latine, on constatera que la situation de la Cuba est très loin d’être la pire. (voir, par exemple : «  Cuba, l’Union européenne et la rhétorique des droits de l’homme I  » et «  Cuba et la rhétorique des droits de l’homme II  »). Cela n’empêche pas que tout sujet, par exemple, le suicide en prison du prisonnier Orlando Zapata en février 2010, a un impact et reçoit une attention toujours supérieure à tout autre fait similaire ou plus grave dans d’autres pays ; par exemple la découverte, un mois avant du cas Zapata, de 2000 cadavres de syndicalistes et des activistes des droits de l’homme assassinés par l’armée colombienne.

Le mauvais traitement d’un Cubain pour des motifs politiques sera toujours beaucoup de plus présentable et dénonciable, pour le monde médiatique occidental que l’assassinat de dizaines d’activistes politiques dans des pays amis comme les Philippines, avec 56 journalistes assassinés en vingt ans, comme la Colombie, où le compte de l’élimination d’adversaires est impossible, et comme beaucoup d’autres. L’Amérique Latine apporte des centaines d’exemples.

« Que dans d’autres pays les choses vont mal ou pire ce n’est pas un motif pour ne pas critiquer Cuba », dit Sánchez. Naturellement que non, mais ce n’est pas le sujet. Il s’agit de la politique de droits de l’homme (à ne pas confondre avec la défense Universelle des Droits de l’Homme) c’est-à-dire de l’utilisation politique et médiatique des droits de l’homme pour punir les adversaires de celle qui s’utilise tant en Occident.

Sánchez a été lancée et soutenue par l’establishment occidental, de Washington à Madrid, dans ce contexte. A Berlin aussi, il en fut ainsi.

Sánchez, qui est une personne intelligente et même brillante, ne peut ignorer que le rôle qui lui est attribué n’est que la suite, actualisée, de la vieille campagne impériale contre le gouvernement de son pays. Elle a tout le droit de se positionner contre son gouvernement, mais cela ne lui donne pas le droit d’être un recours de propagande de cet empire qui pendant 54 ans à essayer de renverser le système cubain par tous les moyens illicites et criminels connus. La simple réalité est que Sánchez fait partie de cet effort.

L’empire ne peut pas tolérer qu’à 90 milles de son territoire il y ait une république indépendante de ses desseins. Cette anomalie dure depuis 1959 et a payé, et paie, un prix élevé pour exister. Pendant 54 ans le gouvernement de la République de Cuba a souffert toute espèce de pressions et d’agressions, depuis une vraie invasion militaire, jusqu’au terrorisme de toute sorte pour ruiner son économie et pour tuer ses citoyens avec des fléaux induits par la guerre chimique et biologique, en passant par l’assassinat de ses dirigeants, la subvention du schisme de sa population dans des factions irréconciliables et une obstruction implacable et systématique sur l’arène international.

Il est possible que ces circonstances ne justifient pas tous les défauts qui sont attribués au régime cubain, mais il n’y a pas de doute qu’elles en expliquent plusieurs parmi eux. La révolution cubaine, comme par ailleurs toutes les révolutions qui ont défié l’empire, s’est trouvée obligée de revêtir l’uniforme militaire depuis ses origines mêmes, chose qui est toujours difficile de concilier avec une normalité civile. Elle a eu à maintenir une surveillance de fer et même à renoncer à des parcelles de son indépendance à cause de son alliance avec l’Union Soviétique.

La Cuba a payé, sans doute, un fort tribut à cause de cette alliance qui s’est imposée par des impératifs de survie et dont l’alternative était, simplement, la reddition inconditionnelle et perdre toute sa dignité nationale. Mais, grâce à son éloignement géographique de Moscou, grâce à l’existence de l’océan Atlantique, et aussi grâce à sa propre personnalité historique et à celle de ses dirigeants, Cuba n’a jamais été un vassal dans le bloc de l’est, bien loin en comparaison avec ses associés du monde socialiste. Cuba a été l’unique allié de Moscou pleinement souveraine et indépendante.

Plusieurs diront qu’en fuyant le feu de l’empire, l’île est tombée dans les braises d’un système qui a dévalué en grande partie tout ce qui a fait grande la Révolution Cubaine. Mon opinion est que, sans tout cela qui lui fait perdre une partie de son esprit authentique libérateur initial, Fidel Castro et la Révolution Cubaine auraient suivi le destin de Jacobo Arbenz au Guatemala, d’Allende au Chili et de tant les autres. Malheureusement l’histoire ne s’écrit pas sur deslignes symétriques et ordonnées d’un cahier propre, mais sur le chaos et les contradictions les plus infâmes. Enfin, avec tous ses défauts, il y a encore beaucoup de recevable dans la Cuba d’aujourd’hui, beaucoup qui justifie de l’avoir défendu face aux pressions et blocages habituels.

Il est légitime que beaucoup d’observateurs lointains ne soient pas d’accord avec cette approche générale, mais, apparemment, la majorité du peuple cubain l’est, puisque dans le cas contraire l’actuel gouvernement ne se maintiendrait pas et aurait succombé comme ils le prédisaient les fausses prophéties qui ont suivi à la démolition du bloc de l’Est en 1990. Cuba était, et c’est, un peu plus, beaucoup plus, que ce « socialisme réel » qu’il s’est éboulé dans l’Europe d’alors. C’est pourquoi son défi a survécu à la guerre froide dans des conditions beaucoup plus difficiles que celles de tout pays de l’Est de l’Europe.

Sánchez a dit à Berlin qu’elle est arrivée à l’adolescence, « dans une époque où (à Cuba) il n’y avait pas beaucoup en quoi croire », mais même depuis ce nihilisme il ne faut pas perdre le sens de la décence, spécialement quand on veut être un rebelle. Dans mon humble cas, je suis arrivé à l’adolescence dans une époque où il était très clair pour la jeunesse que l’empire n’avait rien à faire droits de l’homme. Cela continue d’être malheureusement ainsi le cas, et il ne pourrait pas en être autrement, donc il n’y rien de plus antihumaniste que l’empire lui-même

Sur la lutte avec Cuba il s’agit, presque toujours et surtout, de ce péché révolutionnaire original. Bien sur qu’il y a d’autres sujets, mais tous, même les hontes du régime, sont enveloppés, imprégnés et conditionnée dans et par cette grande revanche historique. Washington et Bruxelles (celle-ci comme capitale collective de l’Europe néo impériale), font partie des plus grands violeurs de droits de l’homme et destructeurs de vies du monde actuel. Bien qu’elle soit seule par son bellicisme – et il ne s’agit pas seulement de cela. Il faut continuer de punir la République héritière de cette révolution impardonnable, spécialement maintenant quand son corps fatigué trouve de nouveaux appuis politiques capables en Amérique Latine capables de lui donner de l’oxygène. Ne soyons pas ingénus, Sánchez n’est pas un nouveau produit. Elle ne représente pas ce nécessaire consensus basique constructif entre Cubains, mais le changement de régime qui est promu pour Cuba depuis 1959. Et c’est pourquoi elle est soutenue.

Rafael Poch para La Vanguardia

La Vanguardia, Barcelone, le 11 mai 2013.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi.

El Correo. Paris, le 15 mai 2013.

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