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11 mars 2015

Comment les intérêts de l’Iran et des USA s’entrecroisent en « Syrak »

par Pepe Escobar *

 

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Un débat qui ne manquera pas de suspense nous attend ce mercredi (11 mars) devant le Comité des affaires étrangères du Sénat des États-Unis, quand témoigneront dans la même pièce le secrétaire d’État, John Kerry, le nouveau chef du Pentagone, Ashton Carter, et le chef d’État-Major des armées des Etats-Unis, Martin Dempsey.

Le vif du sujet : le Château de cartes, pardon, le Congrès des USA, qui rumine son doute à propos des véritables enjeux derrière la proposition de l’administration Obama de recourir à la force armée en Syrie, tout en se demandant s’il faut ou non imposer une zone d’exclusion aérienne pour protéger les rebelles syriens.

Obama dispose déjà d’un émissaire spécial du président au sein de l’orwellienne coalition globale contre l’État islamique, en la personne de John Allen, général du corps des Marines à la retraite. Ce dernier promet que les USA vont protéger les rebelles formés et armés par Washington, en plus d’appuyer sans réserve l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne au dessus du nord de la Syrie.

L’émissaire ne fait que répéter comme un perroquet la voix de son maître, soit l’administration à la stratégie autoproclamée d’éviter les conneries, qui est convaincue que sa demande d’autorisation du recours à la force armée en Syrie résistera à l’examen du Château de cartes, pardon, du Congrès des USA.

La zone d’exclusion aérienne, c’est précisément ce que défend depuis toujours le gouvernement du sultan de Constantinople, pardon, du président de la Turquie Tayyip Erdogan. Le plan directeur du sultan Erdogan consiste à solidifier une base à partir de laquelle l’opposition syrienne armée pourra combattre non seulement l’EIIS/EIIL/Da’ech, mais aussi les forces armées syriennes de Bachar al-Assad.

Le ministre des Affaires étrangères turc Mevlut Cavusoglu a publiquement insisté sur le fait que c’est exactement ce à quoi l’on s’attend des rebelles syriens. Ankara, il semble que nous avons un problème !

Car voyez-vous, le Pentagone affirme maintenant, par l’entremise de son porte-parole, le contre-amiral John Kirby, que la composante syrienne de cette campagne vise l’État islamique. C’est ça l’objectif principal, pas le régime d’Assad. Rien n’a changé à propos de la politique écartant toute solution militaire contre Assad par les USA.

De deux choses l’une : ou bien on a affaire à une mascarade de désinformation, ou bien Erdogan vit au royaume des Bisounours. En fait, il pourrait s’agir d’une autre illustration de la tactique du bon et du méchant.

Parlant de méchants, nos salopards des monarchies du golfe Persique sont vraiment imbattables.

Les agents secrets du Qatar ont rencontré nul autre que le chef du front al-Nosra en Syrie, Abou Mohammed al-Joulani, en lui proposant l’offre proverbiale qu’il ne pouvait refuser : si vous coupez votre cordon ombilical avec Al-Qaïda, nous vous ferons pleuvoir des liasses d’argent liquide.

Le fait que le front al-Nosra soit considéré comme une organisation terroriste diabolique par le département d’État des USA n’a pas d’importance. Après tout, le Qatar n’a jamais vacillé dans son obsession de voir partir Assad, contrairement à l’administration Obama. La fin justifie les moyens une fois de plus.

Au même moment, l’Empire du Chaos garde vivante la fiction ambivalente d’une coalition globale combattant l’EIIS/EIIL/Da’ech, en mettant en veilleuse son intention cachée d’affaiblir Assad.

En Syrie, ce sont des conseillers militaires iraniens qui coordonnent l’armée arabe syrienne, avec l’aide de combattants du Hezbollah expérimentés et de miliciens chiites d’Irak.

Comme il n’y a plus d’opposition syrienne modérée (tous ont rejoint le faux califat), l’intention à peine cachée de l’Empire du Chaos derrière cette autorisation de recourir à la force armée serait de maintenir en place un groupe de rebelles armés sélectionnés par la CIA, juste pour maintenir la pression sur Damas. Il apparaît maintenant évident que ce n’est pas l’Empire du Chaos qui l’emportera sur le faux califat, mais bien l’alliance formée par l’armée arabe syrienne, les combattants du Hezbollah et les milices chiites supervisées par l’Iran.

Rock Star iranienne

Il se passe quelque chose de semblable sur le front irakien, que le ministre de la Défense de l’Irak, Khaled al-Obeidi, résume bien en disant que Bagdad se sent à l’aise avec l’aide qu’elle reçoit de Téhéran pour combattre sérieusement l’EIIS/EIIL/Da’ech sur le terrain.

Ce qui nous amène au véritable vif du sujet : le ballet croisé complexe auquel se livrent Washington et Téhéran en Syrak. Car ce n’est pas l’hyperpuissance qui est en train de repousser et de soumettre le faux califat sur le terrain en Irak, mais bien l’Iran, qui apporte son soutien tactique, stratégique et aérien à Bagdad.

Comme l’armée irakienne formée par les USA est une pagaille complète, ce sont les milices qui font le gros du travail. Les milices irakiennes comptent dans leurs rangs au moins 100 000 combattants pleinement mobilisés par de puissants dignitaires religieux chiites dans leur contre-djihad les opposant au faux califat, qui dépeint les chiites comme des apostats dont la seule destinée convenable repose six pieds sous terre.

Leur haut commandant est nul autre que le général Qasem Soleimani, le chef de la Force (d’élite) Al-Qods, qui jouit d’une renommée digne des rock stars en Iran. Soleimani est présent sur tous les écrans de télé iraniens et irakiens. Sa dernière apparition, au grand plaisir des photographes, c’était à Samara, où on l’a vu encourager les milices et les soldats irakiens à lutter contre les brutes du calife.

Derrière Soleimani, on retrouve deux personnalités incontournables : Hadi al Ameri et Abou Mahdi Mohandes.

Ameri a été ministre des Transports sous l’ancien premier ministre Nouri al-Maliki. Il est devenu depuis le chef de la milice numéro un en Irak, les brigades Badr.

Mohandes, un ex-membre de l’opposition à Saddam Hussein exilé en Iran, a été député au parlement lui aussi. Il est en quelque sorte l’homme de main de Soleimani, en plus d’être chargé de superviser le retour des sunnites dans les villes irakiennes reprises à l’EIIS/EIIL/Da’ech.

Ce sont donc ces hommes et ces forces qui sont sur le point de prendre Tikrit, l’ancien fief du clan de Saddam Hussein, à seulement 130 km au nord de Bagdad. Une fois Tikrit prise, il n’y a qu’un pas à franchir pour arriver à Mossoul, une ville comptant 1,5 million d’habitants, qui pourrait être libérée à la fin du printemps.

La considération déterminante, c’est que l’Empire du Chaos ne fait absolument rien pour débarrasser l’Irak de l’EIIS/EIIL/Da’ech, à part demander au gouvernement à Bagdad, par l’entremise du général Martin Dempsey, de se réconcilier avec les sunnites et d’expliquer ses relations avec Téhéran.

Voici une explication plausible : pendant que vous poursuivez vos inepties, ils nous aident à enrayer un cancer que vous avez permis de s’étendre.

Pagaille tous azimuts

L’administration Obama, avec sa politique étrangère décousue fondée sur sa stratégie autoproclamée d’éviter les conneries, rend complètement dingues les véritables Maîtres de l’Univers, ceux qui contrôlent le système mondial en place.

Ce qui n’est pas étonnant, car ils n’ont pas la moindre idée de ce qu’ils veulent vraiment accomplir en Syrak.

La RAND Corporation (groupe de réflexion des USA – NdT) a tenté de rendre les objectifs parfaitement clairs.

Puis le Council on Foreign Relations (autre groupe de réflexion des USA – NdT) a perdu les pédales, en affirmant que la seule manière de s’en sortir, consistait à remettre le palais impérial à l’ordre en le confiant à un groupe de sages formé d’Henry Kissinger, de Brent Scowcroft, de Zbigniew Brzezinski et de James Baker.

La proposition a été toutefois été discréditée en long et en large par Andrew Bacevich.

Que ce passe-t-il vraiment alors ? La nouvelle Stratégie de sécurité nationale de l’administration Obama est volontairement vague. Elle vante en quelque sorte les vertus de la coalition globale, qui est en fait une alliance entre l’Empire du Chaos et nos salopards des pays du golfe Persique dans la lutte contre l’EIIS/EIIL/Da’ech, dont l’objectif n’est pas de le détruire pour de bon, mais de le laisser couver pour affaiblir Damas perpétuellement.

D’autres factions à Washington préféreraient contenir et détruire le faux califat, d’abord en Irak, puis en Syrie, ce qui implique un appui tacite de Washington aux efforts de l’Iran.

Le chef du Pentagone, Ashton Carter, pourrait bien avoir concocté son propre scénario. Il a réuni des experts de Washington et des intervenants au Moyen-Orient comme Robert Ford, ancien ambassadeur des USA en Syrie et fomenteur notoire de la campagne Assad dégage, qui travaille maintenant pour l’AIPAC (eh oui !). Il est important de se rappeler que l’AIPAC, craint davantage l’Iran, la Syrie sous Assad et le Hezbollah que la peste noire, mais ne considère toutefois pas l’EIIS/EIIL/Da’ech comme une menace pour Israël.

En attendant, la coalition globale entretient la fiction qu’elle bombardera le faux califat jusqu’à sa destruction complète. Dans la réalité, ce sont les forces coordonnées par l’Iran qui sont en train de gagner la bataille sur le terrain en Syrak.

Il serait naïf de croire qu’en poursuivant sur cette voie, l’Empire du Chaos va nécessairement jeter du lest dans sa diabolisation croisée de la Syrie, de l’Iran et de la Russie.

La campagne Assad dégage ne disparaîtra jamais complètement de la feuille de route. Une véritable détente avec l’Iran va dépendre de la conclusion ou non d’un accord sur le nucléaire cet été. Sur ce point, Obama augmente la pression en multipliant les demandes. Quant à la diabolisation de la Russie, elle sera encore plus véhémente.

Ce qui est assez intrigant, c’est que même des généraux étoilés du Pentagone laissent tomber les raisonnements non sequitur [illogique, NdT] à la Rumsfeld, comme la Révolution dans les affaires militaires, selon laquelle un Pentagone technologiquement capable vaincrait facilement tous les ennemis.

En fait, ladite révolution a foiré sur le sol afghan et irakien. Elle ne peut rien non plus contre les forces irrégulières de l’EIIS/EIIL/Da’ech. La seule chose que la domination tous azimuts a réussi à accomplir, c’est la destruction de la Libye à l’aide des bombes de l’Otan et d’une bande de djihadistes déments.

Pepe Escobar para Russia Today

Original : « How Iran and the US intersect in « Syraq » »

Russia Today. Le 11 mars 2015 –

Traduit de l’anglais Le Saker fr par : Daniel, relu par jj pour

* Pepe Escobar est un journaliste brésilien de l’Asia Times et d’Al-Jazeera. Pepe Escobar est aussi l’auteur de : « Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War » (Nimble Books, 2007) ; « Red Zone Blues : a snapshot of Baghdad during the surge » ; « Obama does Globalistan  » (Nimble Books, 2009), Empire of Chaos (Nimble Books, 2014)

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